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Publié le 13/06/2007
Dévoiler les Illusions

Un film de Hollywood rappelle la collision et l'intégration entre le christianisme primitif et la culture chinoise sous la dynastie des Tang (618-907).

Yang Jiaqing

Dans les années 1920, un jeune couple anglais se rend dans un village entouré de paysages pittoresques où sévissent la guerre, les épidémies et la misère, parce que le mari, un bactériologiste, est obsédé par le désir d'infliger un châtiment spirituel à sa femme coupable d'adultère.

Le couple des illusions : près des yeux, près du coeur ?

L'adaptation de l'œuvre de W. Somerset Maugham (1874-1965), « Le Voile des Illusions », incarne ainsi un amour tragique car non responsable.

L'histoire se déroule en Chine. Pour les spectateurs d'aujourd'hui, sinisants ou anglophones, les personnages, scènes et intrigues - un gentleman anglais athée mais pris d'un soudain enthousiasme religieux, un couvent isolé où les religieuses soignent les victimes du choléra, la vaste étendue de la rivière enveloppée de brume à Guilin - tissent un « voile » plein d'exotisme et de quiétude.

Pour peu qu'on connaisse son parcours, on est convaincu qu'Edward Norton, qui joue le premier rôle dans le film, n'a aucune intention de plaire à l'audience chinoise. Ayant vécu avec son père dans la province du Yunnan pendant six ans, cet acteur mérite d'être plus ou moins considéré comme « sinologue ». Selon lui, il était prédestiné à tomber sur un livre écrit par un professeur d'histoire de l'Université Yale, d'où provient son inspiration. D'après cet ouvrage, au cours des trois cents dernières années, tous les étrangers qui ont nourri l'espoir de transformer la Chine , missionnaires, soldats, médecins, professeurs, ingénieurs ou révolutionnaires, se sont trouvés confrontés à des défis incontournables.

Cela va de pair avec l'évolution du christianisme initial en Chine caractérisée par l'interruption et la continuité. Avec comme thème principal l'exil et la rédemption de l'âme, « Le Voile des Illusions » rappelle l'intégration et la collision entre la religion occidentale et la culture chinoise.

En tant que passerelle d'échanges entre l'Orient et l'Occident, le christianisme est entré en Chine bien plus tôt que l'on ne le pensait. Pour éclaircir le parcours de cette religion, Beijing Information a rencontré Xu Hui, spécialiste à l'Institut de Recherches historiques de l'Académie des Sciences sociales de Beijing.

Beijing Information : À quand remonte l'implantation du christianisme en Chine ?

Stèle de propagation de la Religion Radieuse de la partie orientale de l'Empire romain dans l'Empire du Milieu.

Xu Hui : Le nestorianisme est la première forme sous laquelle le christianisme est apparu en Chine ; cela remonte au règne de l'empereur Tang Taizong (599-649), plus tard surnommé Wen Huangdi, « l'empereur très lettré ». Fondée par Nestorius (385-451 environ), l'Église nestorienne fut jugée comme hérétique et condamnée au concile d'Éphèse en 431, parce qu'elle professait qu'en Jésus-Christ coexistaient deux personnes, l'une divine, l'autre humaine. Contraint de s'exiler en Orient, le nestorianisme a alors établi une Église syrienne dont l'influence s'étendit rapidement vers la Chine sous la dynastie des Tang (618-907). Cette histoire s'appuie principalement sur la « Stèle de propagation de la Religion Radieuse [du nom donné à l'époque à la doctrine nestorienne] du Da Qin [qui correspond à la partie orientale de l'Empire romain] dans l'Empire du Milieu » ; cette stèle a été mise à jour à Xi'an en 1623.

Pouvez-vous présenter brièvement la découverte de cette stèle ?

En réalité, l'année d'exhumation est controversée : c'était dans tous les cas dans les dernières années du règne de l'empereur Tianqi, 15e empereur de la dynastie des Ming, qui fut au pouvoir de 1605 à 1627 ; Xu Guangqi, éminent scientifique de l'époque, catholique, et vice-ministre des rites, l'estime à 1625. Lors des travaux de construction d'une maison, des ouvriers ont déterré une stèle surmontée d'une croix entourée de fleurs de lys, qui portait un titre en neuf caractères : Da Qin Jing Jiao Liu Xing Zhong Guo Bei, soit « Stèle de propagation de la Religion Radieuse de la partie orientale de l'Empire romain dans l'empire du Milieu ».

Suite à cette découverte, les spécialistes chinois ont parcouru tous les documents classiques sans pour autant trouver la moindre information sur la diffusion de la soi-disant religion en Chine. Par la suite, ce furent les jésuites qui confirmèrent que la stèle érigée par les nestoriens, premiers missionnaires à avoir pénétré en Chine, faisait partie intégrante du christianisme.

Quel est le contenu principal de ce monument ?

L'inscription débute par une partie théologique, suivie d'une présentation historique relatant l'introduction du nestorianisme en Chine par Aluoben, un missionnaire ayant apporté les Saintes Écritures de Perse à la capitale chinoise en 635, où il fut reçu avec pompe par l'empereur Tang Taizong. La religion qu'il prêchait fut reconnue légalement et même favorisée grâce au patronage du souverain suprême, qui fit bâtir dans la capitale le couvent Da Qin pour vingt et un moines et autorisa la propagation des livres sacrés et l'édification d'églises et de monastères sur tout le territoire chinois. À son âge d'or, raconte la stèle, « la religion se répandit dans les dix marches (provinces), [...] et les temples remplirent les cent villes », au point qu'un monument destiné à la description de sa diffusion fut érigé en 781. Composé par Jing Jing, un moine érudit de Perse maîtrisant parfaitement le chinois, le texte expose la doctrine nestorienne à l'aide d'innombrables expressions typiques empruntées au confucianisme, au bouddhisme et au taoïsme ; il se clôt par des prières versifiées.

Combien de temps la diffusion du nestorianisme a-t-elle duré en Chine ?

Xu Hui, spécialiste à l'Institut des recherches historiques de l'Académie des Sciences sociales de Beijing.
(Photo: Shi Gang)

Les jolie fleurs épanouies finissent toujours par se faner. En 845, à l'instigation du taoïste Zhao Guizhen, l'empereur Tang Wuzong, qui était hostile au bouddhisme, proclama un édit visant à proscrire la loi du bouddha. L'ordre fut exécuté dans tout l'empire, avec des résultats dramatiques : 4 600 pagodes disparaissent ; 265 000 bonzes sont laïcisés ; 16 millions d'hectares de terre passent à l'État. Dans le même mouvement, victimes innocentes du malheur, le couvent Da Qin est détruit et la stèle dédié à la diffusion de la Religion Radieuse est enterrée. Terrassé par ce coup terrible, le nestorianisme décline rapidement et disparaît une première fois de Chine vers l'an 1000.

Comment interprétez-vous le déclin du nestorianisme dans une perspective de communication culturelle ?

La Religion Radieuse s'éteint en Chine aussi vite qu'elle avait atteint son apogée. Son déclin est principalement dû à l'imperfection de la traduction des Saintes Écritures et à une mauvaise méthode de diffusion. En l'absence de traducteurs, les missionnaires furent obligés de « prêcher en eau trouble », c'est-à-dire d'user en quantité de termes bouddhiques et taoïstes dans la traduction d'une doctrine trop compliquée aux yeux des Chinois. Leur façon de travailler me rappelle une phrase de Lao Zi : « Obscurcir cette obscurité, voilà la porte de toute merveille » !

Autrement dit, la situation difficile dans laquelle s'est trouvé le christianisme primitif en Chine est imputable à l'obscurité de ses propres caractéristiques. Pouvez-vous donner quelques exemples concrets ?

L'inscription commence par une narration de la doctrine chrétienne déguisée en discours taoïste : « On dit : Être insaisissable dans son immatérialité et constant dans son immuabilité ; antérieur à tout et lui-même sans commencement, vide puissant et insondable ; survivant à tout et conservant son existence admirable ; axe de l'universel Empyrée et auteur de toutes les formes diverses, manifestant dans la création ses souveraines perfections ; ces expressions traditionnelles ne peuvent s'appliquer qu'à la personne admirable du Trine, Maître absolu, invisible mais manifesté dans ses œuvres, à Aloha. »

Cependant, le Trine, qui désigne le Dieu en trois personnes (le Père, le Fils et le Saint-Esprit), est trop codé pour être accessible au public chinois. Rien d'étonnant à ce que le jésuite Gaobil (1689-1759) prenne le signataire du texte Jing Jing comme un adepte de Lao Zi. Pire, le missionnaire britannique Timothy Richard (1845-1919) va jusqu'à croire que Lü Xiuyan, qui avait calligraphié l'inscription, était la réincarnation de Lü Dongbin, un légendaire immortel qui aimait se mélanger aux simples mortels, récompensant les bons et punissant les méchants à l'aide de son épée!

Ce qui mérite une attention particulière, c'est que les adeptes de la Religion Radieuse se travestirent en abusant du bouddhisme, tout en saupoudrant de taoïsme. Dans le texte sautent souvent aux yeux des mots relevant du lexique bouddhique tels que « barque de la miséricorde », « moine » et « grande vertu ». Deux cents ans après le déterrement de la stèle, on a découvert dans la grotte bouddhique de Mogao, près de Dunhuang, des documents nestoriens en huit volumes mélangés avec des soutras bouddhiques. Cependant, dans ces écrits consacrés à la Religion Radieuse, certains termes bouddhiques sont ostensiblement et artificiellement greffés : Dieu a été changé en « bouddha » ; le baptême, en « observance des préceptes » ; le fidèle chrétien, en « ami de bien ». Quant à la venue du Messie dans ce monde, elle a pour objectif de « faire passer, à tous les êtres, l'océan de l'existence ». Résultat prévisible : confusion des lecteurs chinois.

Étant donné la vie monastique des nestoriens, très similaire à celle des moines bouddhistes - célibat à vie, crâne rasé, barbe conservée -, il est naturel pour les sujets du Fils Céleste de les prendre pour des adeptes du Bouddha appartenant à une autre secte, et pour l'empereur Wuzong de faire subir au nestorianisme le même sort que le bouddhisme en raison de leur ressemblance en matière de rites. Ces deux religions étrangères ne se différencient que par la croix, car les églises persanes étaient connues sous le nom de « temples de la croix », et les moines persans, « adorateurs de la croix ».

En somme, la première diffusion du christianisme en Chine s'arrête là à cause de la différence culturelle et de l'obstacle linguistique. Sa deuxième entrée dans l'Empire du Milieu aura lieu sous la dynastie des Yuan, au XIIIe siècle.



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