Annie Bergeret Curien: ALIBI et littérature chinoise contemporaine |
Depuis la fin des années 1970, le champ littéraire chinois s'est montré particulièrement actif et productif. Sur fond d'ouverture économique tournée vers le futur et portée par une dynamique de modernisation du pays, la littérature s'est mise à examiner le passé, et notamment les dernières décennies. Yang Jiaqing Sinologue, traductrice et chercheuse en littérature chinoise contemporaine au CNRS, Annie Bergeret Curien est directrice du Programme Chine de la Fondation Maison des sciences de l'Homme. En 2002, sous l'égide de cette institution, elle a fondé l'Atelier LIttéraire BIpolaire, connu sous le nom « ALIBI ». Celui-ci a pour objet la création littéraire la plus actuelle en associant plusieurs types d'acteurs appartenant aux aires d'expression du français et du chinois et à des domaines différents : écrivains, traducteurs, chercheurs et universitaires.
Dialogue littéraire, autre lieu, autre moment Les activités de l'ALIBI, qui signifie en latin un autre endroit, s'articulent autour de réunions périodiques : deux écrivains, l'un d'expression chinoise, l'autre d'expression française, sont invités à composer sur un thème commun un récit ou un poème. Une fois rédigés, ces deux textes sont confiés à des traducteurs littéraires. S'ensuit l'atelier proprement dit : les auteurs y développent un dialogue attentif sur leur écriture, dialogue relayé par les interventions des traducteurs, d'un interprète et d'un public composé notamment de spécialistes de littérature comparée. L'enthousiasme se lit dans le regard d'Annie Bergeret Curien lors de sa rencontre avec le journaliste de Beijing Information. Selon elle, l'idée de cet atelier est venue après qu'elle avait organisé plusieurs rencontres entre écrivains et chercheurs, d'abord à Beijing, en 1994, puis à Paris à la bibliothèque nationale. « Bien sûr, cela ne veut pas dire que tout le monde partage une même idée. Mais les rencontres du genre entre des personnages de différents horizons culturels sont très intéressantes », affirme-t-elle. Les colloques de l'ALIBI ne se limitent pas aux frontières physiques des deux pays, s'étendant aussi aux littératures sinophone et francophone. Du côté chinois, la sinologue invite non seulement des écrivains venus de la Chine continentale, mais aussi de Hongkong, de Taiwan ou de la diaspora. Et du côté français, sont conviés des auteurs belges, canadiens, suisses, etc… « En 2009, l'ALIBI a invité une Roumaine francophone installée dans l'Hexagone. Le principe de notre atelier est de mettre l'accent sur la compétence d'expression écrite d'un écrivain, que ce soit en chinois ou en français », ajoute Annie Bergeret Curien. D'après cette spécialiste de littérature chinoise contemporaine, l'écrivain véritable est celui qui est apte à utiliser sa langue d'une façon personnelle et particulière. La langue, au lieu d'être figée par nature, est souple et peut évoluer au gré des explorations de l'écrivain. « C'est par les mots, et forcément les mots et la langue, que l'on va être un peu nouveau ; sinon, ce n'est pas de la littérature », affirme-t-elle. Traduire ? La fidélité d'abord Si les ateliers permettent de découvrir les auteurs et leurs œuvres, c'est aussi une rare occasion d'entendre les points de vue des traducteurs. Certains penchent en faveur de la modification de l'atmosphère de l'original, afin d'intégrer les connaissances du pays de l'auteur nécessaires à la compréhension de l'œuvre. Pour Annie Bergeret Curien, ce genre d'attitude n'est pas acceptable : « le plus important dans la traduction est de saisir l'atmosphère, le style, le rythme et le goût de l'original, avant de les restituer parfaitement dans un autre système de langue ». Par exemple, les lecteurs français se rendent bien compte que l'expression chinoise n'est pas celle du Français, et que la langue chinoise n'a pas forcément le même rythme. « ALIBI, c'est cet espace de réflexion. Notre discussion, portant toujours sur une question concrète, cherche à apporter à chaque fois un nouveau contenu, une nouvelle atmosphère », indique Annie Bergeret Curien. |