Adrien Goetz, maître français du "polart" |
Yang Jiaqing Un meurtre au château de Versailles, Chateaubriand menacé par un fanatique… Ne cherchez plus l'auteur, ni l'arme du crime : c'est signé de la plume d'Adrien Goetz. L'historien de l'art s'est extirpé du dédale de la Sorbonne le temps d'une promenade dans la Cité interdite. Beijing Information a rencontré ce maître du polar artistique.
Vous êtes à la fois journaliste, historien et écrivain, comment jonglez-vous entre ces trois métiers ? Je suis d'abord enseignant. J'enseigne à la Sorbonne l'histoire de l'art du 19e siècle. Ensuite, j'essaie d'organiser mon temps pour écrire des romans pendant la nuit, des articles pour Le Figaro le week-end, et le reste du temps, corriger les copies de mes étudiants, de faire tous les travaux universitaires. C'est la même passion : transmettre l'amour de l'art. C'est finalement le même métier, mais par des moyens différents. Par exemple, quand je fais un cours sur Ingres, je raconte la naissance de son grand chef-d'œuvre, la Grande Odalisque. Et je mentionne le fait quecette belle femme brune, avait un pendant, un tableau représentant une femme blonde. Mais celui-ci, La dormeuse de Naples a disparu. Ca, c'est mon cours pour mes étudiants. Pendant la nuit, je rêve, et je me dis : « Si je faisais un roman à partir de ce chef-d'œuvre perdu, La dormeuse de Naples ». C'est comme ça que le travail de l'historien de l'art sert pour le roman. C'est la graine qui me donne l'envie de raconter une histoire dont l'héroïne n'est pas une femme, mais un tableau. Vos travaux d'historien de l'art vous ont notamment conduit à étudier les œuvres d'Ingres. Comment est venue cette passion pour ce peintre néo-classique ? C'est un très grand dessinateur aux tableaux très mystérieux. Au premier regard, on les comprend. Mais plus on les regarde, plus on se pose de questions. Je peux rester des heures devant un tableau d'Ingres au Musée du Louvre. Il est néo-classique, bien sûr, mais, il y a en plus quelque chose d'étrange chez lui, que les autres artistes néo-classiques n'ont pas.
Et parmi ses tableaux, lequel préférez-vous ? La Grande Odalisque, au Musée du Louvre. Et La Source, aussi, au Musée d'Orsay, très grand chef-d'œuvre. Il l'a commencé dans sa jeunesse, et terminé très âgé. C'est un tableau de toute une vie, un peu comme sa source d'inspiration, la source de sa peinture. Et ses tableaux sont conservés dans différents musées ? Oui, mais il y en a beaucoup au Musée du Louvre et au Musée d'Orsay, à Paris. Ingres est sans doute le plus grand dessinateur du 19e siècle. Par ailleurs, plus de quatre mille de ses dessins sont conservés dans sa ville natale, à Montauban. Je pense qu'ils pourraient susciter l'admiration des peintres chinois, parce qu'il y a une précision, une sûreté du trait, qui s'apparentent à la calligraphie chinoise. Que pensez-vous du portait de Napoléon 1er sur le trône impérial ? Un tableau fascinant, avec une construction très symétrique. On est comme hypnotisé par cet Empereur qui n'est plus un homme. C'est très différent de tous les autres tableaux de Napoléon. David, par exemple, restitue l'Empereur comme un personnage historique, un chef de guerre, un souverain qui travaille, alors qu'Ingres figure l'Empereur dans une majesté presque divine, totalement isolé du reste des hommes. Ce tableau, conservé au Musée de l'Armée, n'a pas été apprécié à l'époque, Napoléon ne l'a pas aimé, à tel point qu'il n'a pas une place dans les grands tableaux du 19e siècle français. Et pourtant, il est absolument hypnotique, absolument fascinant.
Cette idée d'Empereur totalement isolé du reste des hommes, je l'ai peut-être eue cet après-midi en découvrant la Cité Interdite. Dès mon arrivée à Pékin, j'ai voulu aller voir la Cité interdite, c'était un rêve depuis toujours. Il y a cette image d'un Empereur totalement au-dessus du monde des mortels. Ingres a peut-être fait un portrait de Napoléon en Empereur chinois ! Voilà, c'est mon hypothèse d'aujourd'hui. |