La traversée de la Méditerranée, une épreuve pour les clandestins |
He Wenping La traversée de la Méditerranée par les clandestins est un phénomène ancien qui a connu une aggravation au cours du premier semestre de cette année. Les nombreux drames sont là pour le rappeler. Selon l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, de janvier à février 2015, plus de 1800 clandestins ont péri en Méditerranée dans la traversée entre la Libye et l'Italie, soit 20 fois plus que durant la même période de 2014. Parmi ces malheureux, certains venaient de Syrie, en proie à la guerre civile, alors que la plupart sont originaires de pays africains tels que l'Erythrée, la Somalie, la Libye, la Gambie, le Nigéria, etc...Qu'est-ce qui a conduit ces clandestins à se lancer dans ce périple au mépris de leur vie ? Que sous-entend l'augmentation rapide du nombre des migrants illégaux ? Comment les pays européens y répondent-ils ? De quelle manière faut-il résoudre ce phénomène qui frappe la communauté internationale ? La pauvreté et la guerre sont à l'origine du problème Bien que le développement de l'Afrique est dans son ensemble favorable, c'est encore la région la plus pauvre du monde : plus de 45 % de sa population vit en-deçà du seuil d'extrême pauvreté, avec un revenu journalier par habitant inférieur à 1,25 dollar. Selon des rapports de l'ONU, notamment le « Plan du développement africain après 2015 », malgré la croissance économique rapide depuis 2002, l'Afrique n'a toujours pas résolu le problème de la pauvreté, à tel point que le nombre des démunis ne cesse de croître, passant de 290 millions en 1990 à 376 millions en 1999, pour d'atteindre 414 millions en 2010. La pauvreté est aussi à la source des troubles sociaux et des idées radicales. Le « Printemps arabe » qui a éclaté fin 2010 en Tunisie a été causé par le retard dans le développement économique et le taux de chômage élevé. La chute des anciens régimes autoritaires en Tunisie, en Egypte et en Libye n'a pas conduit à l'avènement d'un nouveau pouvoir caractérisé par la stabilité, la démocratie et la liberté. Quatre ans et demi plus tard, la vie politique en Libye est toujours marquée par les affrontements entre tribus armées et un appareil d'Etat incomplet, alors que les thèmes récurrents en Egypte sont l'instabilité de la situation politique, les manifestations et la répression. Du temps de Mouammar Kadhafi, l'émigration illégale était efficacement freinée en Libye grâce aux contrôles stricts aux frontières. Cependant, la guerre civile déclenchée par l'Europe et les Etats-Unis a non seulement provoqué sa chute, mais a aussi ouvert une « boîte de Pandore » qui est à l'origine des trafics d'armes, des conflits entre seigneurs de la guerre, de l'apparition de forces extrémistes et de la vague migratoire. En plein chaos politique, la Libye a maintenant « deux parlements », « deux gouvernements », et « deux états-majors généraux », tout en étant confrontée à l'implantation sur son sol de l'Etat islamique. Tous ces événements préjudiciables ont considérablement affaibli la capacité du gouvernement libyen à contrôler ses frontières, validant la prédiction pessimiste de Mouammar Kadhafi : « Sans moi, la Libye sera divisée ! Le pays deviendra un avant-poste de l'émigration clandestine vers l'Europe ». Après la guerre civile en Libye, armes et combattants se sont dispersés dans les pays voisins comme le Mali, le Niger, la Mauritanie, de sorte que l'Afrique noire est en proie à une escalade du terrorisme. Ces dernières années, les trois groupes radicaux originaires d'Afrique, à savoir Al-Qaida au Maghreb islamique, Al-Shabbaab en Somalie et Boko Haram au Nigéria, n'ont cessé d'intensifier leurs attaques terroristes, contribuant à l'augmentation du nombre des réfugiés. Selon un rapport publié en juin 2015 par l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, au cours des cinq dernières années, au moins 15 conflits armés ont éclaté ou ont repris de nouveau dans le monde, dont 8 en Afrique et 3 au Moyen-Orient. Avec la guerre civile qui dure depuis plus de quatre ans, la Syrie remplace l'Afghanistan pour devenir la première région d'origine des sans-abris. Vers la fin 2014, 3,88 millions de Syriens se sont exilés vers les pays et régions environnants. Actuellement, plus d'un million de réfugiés venus de Syrie et d'Afrique subsaharienne sont regroupés en Libye, en attendant que des passeurs les aident à partir dans de minuscules bateaux pour l'autre rive de la Méditerranée. Un trajet court mais plein de risques qui laisse deux options : survivre à la traversée ou périr en mer. L'aide de l'Europe est loin d'être suffisante Face à l'afflux migratoire et aux naufrages croissants en Méditerranée, l'Europe fait l'objet de critiques de la part de la communauté internationale pour son aide très insuffisante, tout en risquant d'être victime à son tour des problèmes sociaux causés par l'immigration clandestine. L'Italie et la Grèce sont depuis longtemps des accès importants au continent européen aux yeux des migrants. A seulement plus de 100 km des côtes tunisiennes, l'île italienne de Lampedusa est une destination de choix pour les réfugiés africains, ce qui contraint l'Italie à assumer une part de responsabilité plus lourde et plus directe dans la lutte contre l'immigration illégale et le secours aux rescapés de naufrages. En 2013, l'Italie a lancé « Mare Nostrum », une opération visant plus à « sauver des vies en mer » qu'à « porter des coups » à l'immigration illégale. Résultat : les vagues migratoires se sont succédées les unes après les autres, et les passeurs n'avaient rien à craindre. Pire encore, le budget de « Mare Nostrum », soit 9 millions d'euros par mois, a été suspendu fin 2014 parce que d'autres pays membres de l'UE refusaient d'apporter leur quote-part. L'opération « Triton », coordonnée par l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex), a remplacé « Mare Nostrum », avec un budget mensuel de seulement 2,5 millions d'euros et une aire d'action réduite à seulement 30 milles marins des côtes européennes. Selon l'UE, l'objectif de « Triton » est de contrôler les frontières, et non pas des opérations de recherche et de sauvetage. De ce fait, « Triton » est qualifié de mesure qui « économise de l'argent au détriment de la morale ». Cette année, plusieurs bateaux de réfugiés ont fait naufrage en Méditerranée, ce qui a poussé l'UE à « partir à la recherche de la morale perdue ». Le 20 avril 2015, les ministres des Affaires étrangères et ceux de l'Intérieur de l'UE ont tenu à Luxembourg une réunion d'urgence lors de laquelle a été présenté un plan d'action en dix points. Selon ce document, l'UE va renforcer ses opérations de patrouilles maritimes en Méditerranée, en débloquant davantage de fond et de matériel, et en étendant le champ des patrouilles à une zone maritime plus vaste. L'UE va engager des efforts systématiques pour capturer et détruire les navires utilisés par les passeurs, déterminer leur mode opératoire, trouver leurs sources de financement et les traduire en justice. Les services des différents Etats de l'UE prendront les empreintes digitales de tous les migrants, les services d'assistance aux demandeurs d'asile de l'UE vont envoyer des équipes en Italie et en Grèce, afin de traiter les demandes d'asile, la Commission européenne va lancer un projet pilote, sur une base volontaire, pour répartir les réfugiés entre les pays membres de l'UE, cette dernière examinant des options pour un mécanisme de relocalisation d'urgence des migrants. Malgré l'augmentation du budget (de facto le même niveau que le financement de « Mare Nostrum ») et l'intensification des efforts consacrés à la lutte contre les passeurs, le « Plan d'action en dix points » ne suffit pas du tout à endiguer la vague d'immigration, parce que ce phénomène a pour origine le chaos engendré par les guerres et la pauvreté. Ayant détruit d'anciens régimes par ses interventions militaires en Libye, au Mali, en Syrie et en Irak, l'Occident ne veut ni ne peut aider ces pays à établir un nouvel ordre. Pour éradiquer l'immigration clandestine, il faudra entamer le dialogue politique et la reconstruction pacifique pour garantir la stabilité et le développement dans les pays concernés au Moyen-Orient et en Afrique. Par ailleurs, l'UE devra également assumer ses responsabilités de façon courageuse et généreuse, afin de coordonner les actions de secours de ses pays membres. En somme, en réponse à l'afflux migratoire, il ne suffit pas de contrôler les frontières européennes, encore faut-il prendre en considération des questions de mondialisation tels que l'édification de la paix et de la sécurité, le développement socio-économique, la lutte contre le terrorisme et la construction d'une société plurielle et diversifiée. L'auteure est chercheuse supérieure à l'Institut Chahar et chercheuse à l'Institut des études d'Asie de l'Ouest et d'Afrique relevant de l'Académie des sciences sociales de Chine.
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