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Publié le 30/06/2015
La Chine, un allié à ne pas oublier

Pan Hong

En cette année qui marque le 70ème anniversaire de la victoire contre le fascisme, un livre de Rana Mitter, professeur d'histoire de la Chine contemporaine à l'université d'Oxford, rappelle le rôle primordial de la Chine durant la Seconde Guerre mondiale.

L'ouvrage de Rana Mitter « Forgotten Ally: China's World War II, 1937-1945 », qui a été publié en cinq langues. La version chinoise a été publiée par les Presses du Nouveau monde sous le titre « La Chine, un allié oublié : histoire complète de la guerre de résistance contre le Japon vue par un Occidental ». Cet ouvrage présente quatre caractéristiques importantes.

Tout d'abord, l'histoire de la guerre de résistance de la Chine contre le Japon a pris un essor considérable avec l'émergence de la Chine et la mondialisation après la fin de la guerre froide. Concernant la direction prise par les recherches, Rana Mitter estime qu'il s'agit de la « dernière histoire qui n'a pas été complètement débattue par les historiens occidentaux ». Selon lui, « avec un peu d'observation, on peut voir qu'il existe une multitude de livres qui parlent du rôle britannique, américain, voire même japonais, relatif à la Seconde Guerre mondiale, mais ceux qui abordent le rôle chinois sont relativement peu nombreux. Dans les faits, l'Occident en sait peu sur la guerre de résistance de la Chine contre le Japon et mis à part certains chercheurs, les débats sur la guerre de résistance contre le Japon n'ont pas de place dans le débat public en Occident ».

Le monde ne comprend pas la Chine et pour l'auteur, l'Orient et l'Occident ont chacun une part de responsabilité, le facteur clé étant la guerre froide. Peu après la fin de la guerre, la Chine est passée du statut de pays allié à celui d'adversaire pendant la guerre froide. Cette période a limité les échanges et les interactions entre les chercheurs chinois et étrangers sur la guerre de résistance contre le Japon et il a été impossible de replacer dans les débats l'histoire de la guerre en Chine dans le cadre historique mondial. 

« Un allié oublié » définit ainsi la contribution de la Chine durant la Seconde Guerre mondiale : entre 1937 et 1945, le Kuomintang (KMT) et le Parti communiste chinois (PCC) ont été les deux seuls partis politiques en Asie orientale à s'engager résolument dans la résistance contre l'impérialisme japonais. Durant le conflit, le KMT a mobilisé environ 4 millions de soldats pour contenir quelque 500 mille soldats japonais, sans quoi ces derniers auraient été transférés vers d'autres théâtres d'opération.  Le PCC a mené des campagnes de guérilla, évitant de manière efficace que l'empire japonais ne contrôle la majeure partie du nord de la Chine et bloquant les troupes et l'approvisionnement en matériels. Si la Chine avait capitulé dès 1938, elle serait devenue une colonie japonaise. La situation en Asie aurait alors été complètement différente : l'empire japonais aurait alors probablement dominé toute l'Asie.

Cette guerre coûta à la Chine près de 14 millions de morts, des déplacements massifs de populations et la destruction de la modernisation naissante du pays.

Le panasiatisme japonais s'était déformé entre les années 1900 et 1930 et les Japonais ont été aveuglés par leur volonté de guider leurs voisins asiatiques, notamment la Chine, pour les libérer du joug de l'impérialisme européen. La notion selon laquelle la Chine aurait développé sa propre vision du nationalisme, considérant le Japon et l'Occident comme des agresseurs, ne rentrait pas dans le schéma cognitif des envahisseurs. Cette dissonance suscita le mépris des troupes impériales pour leurs victimes et les exactions qui s'ensuivirent.

L'auteur éprouve de l'empathie à l'égard des épreuves que la nation chinoise a traversées, de son expérience de la résistance et de ses choix difficiles : il exprime son admiration à l'égard de l'esprit indomptable des Chinois et de la contribution immense de la Chine.

Ensuite, dans sa structure, l'ouvrage combine de manière appropriée la perspective d'ensemble de la Seconde Guerre mondiale  et la perspective spécifique des pays engagés dans le conflit. L'auteur a consulté les archives de nombreux pays et effectué des recherches dans les bibliothèques de la partie continentale de Chine et de Taïwan, examinant une grande quantité d'archives et de documents en chinois. Il a ainsi ignoré le « bon sens » historique des nationalistes chinois et japonais pour que ses lecteurs puissent bénéficier d'une version « corrigée » d'une grande clarté.

Rana Mitter appartient à cette nouvelle génération de spécialistes de la Chine. Il a pu compiler une quantité exhaustive de documents concernant la Chine pendant la Seconde Guerre mondiale. Un travail qui lui aura pris 10 années et qui raconte par le détail le rôle irremplaçable que la Chine a joué sur le théâtre asiatique pendant la Seconde Guerre mondiale. Devant un thème aussi vaste, il effectue une analyse d'une précision méticuleuse qui reflète les mérites profonds d'un chercheur de renommée internationale.

Par ailleurs, cette approche pluridisciplinaire touche l'histoire moderne et la politique contemporaine de la Chine. L'ouvrage est constitué de 4 parties et de 19 chapitres qui analysent notamment l'incident du pont Marco Polo en 1937, le massacre de Nanjing de décembre 1937 à janvier 1938, le bombardement de Chongqing de février 1938 à août 1943, la famine dans la province centrale du Henan en 1942-1943 et la conférence du Caire en 1943.  Il porte un nouvel éclairage sur les forces politiques en présence et les personnages comme Mao Zedong, Tchang Kaï-chek et Wang Jingwei, soulignant leur influence sur la situation politique et sociale de la Chine après la guerre. L'auteur estime que le conflit entre la Chine et le Japon aura été un accident dans le processus inévitable de modernisation de la Chine.

Enfin, l'auteur montre clairement la direction future vers l'interdépendance de la communauté internationale et le développement pacifique. Pour beaucoup d'Occidentaux, depuis des décennies, la Seconde Guerre mondiale n'a été qu'une guerre sanglante menée par les alliés américains, soviétiques et britanniques contre le fascisme. Rana Mitter donne des explications très détaillées qui permettent de dissiper ces conceptions erronées en se basant sur la situation en Chine durant la guerre, sur sa complexité et l'âpreté du conflit. Il estime que la Chine a payé le prix fort et souligne la contribution immense de la Chine qui ne doit pas être négligée, encore moins oubliée. Plus généralement, il fait ressortir la responsabilité de grande puissance de la Chine sur le plan historique.

Selon Rana Mitter, la fin soudaine du conflit en Asie a laissé de nombreuses questions en suspens et par rapport à l'Europe, le chemin est long pour une réconciliation d'ensemble en Asie. Tous les pays doivent tirer les leçons de ce conflit, il faut agir avec un esprit de responsabilité historique, traiter correctement les relations tendues entre la Chine et le Japon, ainsi qu'entre la Chine et les Etats-Unis. Il insiste sur le fait que l'approche à somme nulle qui prévalait durant le conflit est l'une des causes de la guerre menée par l'impérialisme japonais. Une telle perspective n'est plus appropriée dans le contexte actuel. Sur le plan régional, les sphères économiques et politiques deviennent de plus en importantes entre les grandes puissances et le développement pacifique ainsi que la coexistence harmonieuse sont possibles, elles sont même nécessaires. Selon des chercheurs en stratégie internationale de la Chine, les évolutions de la situation stratégique en Asie au cours de ces 120 dernières années, ainsi que les relations entre la Chine, le Japon, les Etats-Unis et la Russie et les grands bouleversements qui se produisent en moyenne tous les dix ans sont directement liés au modèle de développement du Japon. Les relations d'interdépendance de chaque pays dans le monde au cours des 20 prochaines années rendront ainsi l'émergence pacifique à la fois possible et créeront un précédent.

L'ouvrage présente cependant des limites en donnant une part trop grande au gouvernement nationaliste pendant la guerre de résistance contre le Japon et en ne décrivant que de façon parcellaire la guerre du PCC dans les bases arrière ennemies. Mettre Mao Zedong, Tchang Kaï-chek et Wang Jingwei sur le même plan dans leur tentative de modernisation de la Chine en prenant des voies différentes relève de l'indélicatesse scientifique, voire même de l'erreur. Enfin, de nombreux documents utilisés dans le livre proviennent des archives de Taïwan notamment, alors que ceux provenant de la partie continentale ne sont pas suffisamment analysés : il est donc malaisé de discerner le vrai du faux, l'authentique du falsifié.

Ce livre a néanmoins le mérite d'apporter aux lecteurs occidentaux un nouvel éclairage sur la contribution de la Chine dans la lutte contre le fascisme.

 

L'auteur est rédactrice en chef de « Histoire militaire » de l'Académie des sciences militaires.

 

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