Festival Croisements 2015 : Journée internationale du jazz |
Le 30 avril marquait la journée internationale du jazz et dans le cadre du festival Croisements 2015, l'Institut français de Beijing avait organisé une rencontre sur le thème du jazz en Chine. Jacques Fourrier
La médiathèque du Centre culturel français de Beijing accueillait les légendes de la scène chinoise du jazz avec la figure tutélaire du vétéran Liu Yuan, leader du Liu Yuan Jazz Quartet et propriétaire du « East Shore Live Jazz Café » à Houhai, et Huang Yong, fondateur du Festival international de jazz de Beijing « Nine Gates ». Ding Ni, pianiste de formation et enseignante de jazz au Conservatoire central de musique de Chine, était aux côtés de Pierre Pradat, pianiste de jazz professionnel et professeur à l'Académie de musique contemporaine de Beijing. Etaient aussi présents Jonathan Campbell, percussionniste, bloggeur de la scène rock chinoise entre 2000 et 2010, auteur du livre « Red Rock » et Long Shanshan, du label Tree Music. Badr Benjelloun, propriétaire du Caravan Club, animait le débat sur le thème de la scène jazz à Beijing. La scène jazz à Beijing : une greffe difficile Les puristes parlent du jazz comme d'un idiome, d'un langage composé de signes dont il faut maîtriser les signifiants et les signifiés pour pouvoir à la fois pleinement s'exprimer et le comprendre. La gageure à Beijing et partout en Chine, c'est de faire germer des pousses sur un sol qui n'a pas été enrichi par les alluvions centenaires de styles musicaux venus d'Amérique et d'Europe. « Il faut du temps pour éduquer le public », explique Ding Ni, qui ouvre ainsi le débat en dressant de manière implicite un bilan en demi-teinte. Elle rappelle cependant qu'à Shanghai, le jazz s'était implanté dans les concessions étrangères dans les années 1930, mais pour Liu Yuan, ce n'est vraiment que dans les années 1980, après l'ouverture de la Chine, que l'on peut dater l'arrivée du jazz dans le pays. Il faudra attendre les années 1990 avec l'ouverture du CD Jazz Café de Liu Yuan en 1996 pour que Beijing se dote d'une vraie scène de jazz. Le mouvement s'accélère dans les années 2000, avec la création des premiers festivals de musique (festival MIDI, festival Strawberry) et du premier festival de jazz, le « Nine Gates », sous l'égide de Huang Yong, en 2006. Le vent de modernisme et le désir de montrer au monde le visage d'une ville ouverte, cosmopolite et inclusive avant les Jeux Olympiques de Beijing 2008 contribuent sans doute à ce phénomène. Le jazz, jusque-là cantonné aux lobbies des hôtels internationaux et aux ascenseurs, est à la mode : branché, symbole d'une appartenance à une sous-culture élitiste, le jazz sous toutes ses facettes s'installe dans les restaurants et les bars de la capitale (comme le Jianghu, le VA et autres établissements nocturnes du quartier de la Tour et de l'Horloge). Huang Yong rappelle que la première œuvre de jazz chinoise a été composée en 2004 et qu'entre 2008 et 2011, 24 ensembles de jazz ont été formés à Beijing. Derrière les chiffres se cache pourtant une réalité plus complexe, celle d'une greffe difficile qui ne touche pas seulement le jazz, mais aussi d'autres styles musicaux. Les festivals MIDI et Strawberry, deux rendez-vous que les moins de trente ans ne sauraient manquer à Beijing, ont été annulés sine die cette année. Le festival « Nine Gates », tout comme le récent « Post Moutain Jazz Week », restent réservés, ne serait-ce par leur aspect institutionnel, les prix pratiqués et leurs affiches confidentielles, à un public averti. Comme le faisait remarquer Pierre Pradat, il manque à Beijing cette atmosphère si particulière que l'on peut trouver dans les festivals français qui se déroulent en plein air dans des cadres majestueux, à la fois faciles d'accès et qui permettent une vraie communication entre le public et les artistes. L'avenir du jazz en Chine : une simple question de formation ? Jonathan Campbell a souligné l'engouement des jeunes Chinois pour le rock et ses entrées de blogs illustrent bien, durant la période 2000-2010, la vitesse avec laquelle ce genre musical s'est développé et enraciné à Beijing grâce notamment à des salles de concert (MAO livehouse notamment) ou des hauts-lieux de la musique punk comme le défunt Dos Kolegas. « A la différence du rock, où n'importe quel jeune peut prendre une guitare et s'en servir comme d'une arme, le jazz nécessite un long apprentissage », explique Huang Yong, qui poursuit : « Nous, les Chinois, nous n'avons pas pris de chemins de détour, donc le niveau est plus élevé ». Il cite le petit génie du jazz pékinois, Ah Bu, jeune prodige du piano de 15 ans qui se produisait à Paris aux côtés de Herbie Hancock pour l'édition de cette année de la Journée international du jazz. Le jazz s'enseigne dans des instituts privés, mais aussi au plus haut niveau au Conservatoire central de musique de Chine ou à l'Académie de musique contemporaine de Beijing. Deux enseignants soulèvent certaines difficultés. « Le jazz, c'est l'improvisation et le rythme », précise Pierre Pradat, et il préconise une sensibilisation et un apprentissage dès le plus âge, « avant que les mécanismes mentaux ne se bloquent ». Ding Ni intervient sur cette notion de « fossilisation » des mécanismes mentaux, un phénomène qu'elle qualifie de « catastrophe » pour le jazz en Chine, en disant que les jeunes musiciens chinois qui ont reçu une formation classique doivent entreprendre « un long processus de transition pour passer du classique au jazz ». S'il faut commencer plus tôt, cette enseignante qui est aussi animatrice de programme musicaux sur Radio Chine Internationale en appelle à la responsabilité des médias. Comme toute démarche qui s'éloigne de la norme, l'apprentissage du jazz nécessite un investissement, une passion, un goût de la découverte. Pierre Pradat rappelle qu'en Chine, la plateforme musicale en ligne xiami.com propose gratuitement tout le catalogue Blue Note, de quoi susciter des vocations précoces pour qui n'aurait pas les moyens de voir des musiciens sur scène. Pierre Pradat : « Beijing offre une plus grande liberté »
Pierre Pradat est un pianiste nancéen de 33 ans qui réside en Chine depuis près de 10 ans. Venu du classique, il a étudié à la Music Academy International de Nancy avant d'y enseigner. Il poursuit son parcours d'enseignant depuis 2006 à l'Académie de musique contemporaine, située à Tongzhou, à l'est de la capitale chinoise, tout en donnant un caractère plus commercial à son activité en jouant dans des événements promotionnels à travers la Chine, en se produisant dans des restaurants ou en enregistrant des bandes-son pour le cinéma. Il s'est aussi lancé récemment dans l'échantillonnage musical en créant une bibliothèque de sons composée de 15 instruments de musique traditionnelle chinoise pour un grand fabricant européen de claviers électroniques. Il apprécie cette liberté qu'il a trouvée à Beijing tout en reconnaissant qu' « il y a sans doute plus de musiciens de jazz à Nancy, avec son agglomération de 250 mille habitants, que dans tout Beijing ». Il constate en effet que le jazz reste un genre marginal dans un pays où la dimension vocale est essentielle. Selon lui, le jazz exige une prise de risques en termes d'improvisation et de rythme qui trouve difficilement sa place en Chine, et il parle de manière générale de « fadeur » pour qualifier le jazz en Chine. Pris entre les aspirations artistiques et les impératifs du quotidien, le musicien étranger en Chine se trouve contraint à effectuer des compromis en donnant au public ce qu'il veut entendre et voir. Pierre Pradat se décrit ainsi comme l'Occidental-qui-joue-des-standards-de-jazz, une dimension qu'il souhaiterait dépasser pour enregistrer des œuvres du répertoire américain qu'il affectionne particulièrement, voire même se lancer dans la composition, et ainsi offrir au public chinois une touche plus personnelle et originale. Badr Benjelloun a conclu cette table-ronde en posant deux questions à l'assistance : qui parmi vous est allé voir un concert de jazz ce mois-ci ? Qui a prévu d'en voir un prochainement ? Une ou deux mains seulement se levèrent. Une fois de plus, le constat est amer : si tout le monde est d'accord pour que prospère le jazz à Beijing, encore faut-il le soutenir pour qu'il puisse vivre.
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