L'Inde et les Etats-Unis ont encore du mal à jouir de leur lune de miel |
Wang Haixia Lors de sa visite en Inde le 25 janvier, le président américain Barack Obama a assisté aux célébrations du Jour de la République, devenant ainsi le premier président américain à en être l'invité d'honneur. Il aura aussi effectué deux visites d'Etat en Inde durant son mandat. Environ 15 jours avant son arrivée, les médias indiens avaient déjà commencé à aborder les relations bilatérales et le contexte de cette visite. Après son arrivée, presque tous les détails de sa visite ont été médiatisés, ce qui montre l'importance que l'Inde lui accorde. Le premier ministre Narendra Modi s'est rendu lui-même à l'aéroport pour accueillir M. Obama, l'embrassant avec sympathie. En réponse à la réception chaleureuse de l'Inde, M. Obama a déclaré : « Je crois que les Etats-Unis pourront devenir le meilleur partenaire de l'Inde ». Réchauffement des relations bilatérales Selon un article publié par la BBC avant la visite de M. Obama, les dirigeants étrangers invités par l'Inde pour le Jour de la République étaient pour la plupart venus des pays qui ne suscitent pas de controverse ainsi que des partenaires stratégiques. Depuis l'indépendance de l'Inde il y a près de 70 ans, M. Obama est le premier président américain à avoir assisté à ces célébrations, ce qui montre que les relations bilatérales ont été portées à un nouveau niveau. Les relations entre l'Inde et les Etats-Unis ont connu bien des vicissitudes depuis l'indépendance de l'Inde. Lors de la Guerre froide, l'Asie du Sud était divisée en deux camps avec la rivalité Pakistan-Etats-Unis et Inde-Russie. Après cette période, les relations se sont améliorées. Depuis le début des années 2000, Washington lui fait une cour pressante, ce qui a rapidement réchauffé les relations bilatérales. En 2000, la visite de Bill Clinton en Inde a été la première visite officielle d'un président américain dans ce pays en 22 ans. Après l'arrivée au pouvoir de Georges W. Bush, les relations bilatérales se sont renforcées d'une manière plus poussée. En 2005, l'Inde était la première étape de la visite de la secrétaire d'Etat américaine Condoleeza Rice en Asie. Elle a même souligné que « les Etats-Unis vont aider l'Inde à devenir une puissance mondiale du 21e siècle ». En 2009, les relations américano-indiennes continuaient à suivre une bonne voie. Lors d'une conférence de presse consacrée à la visite du premier ministre indien Manmohan Singh, M. Obama a déclaré : « Les relations entre les Etats-Unis et l'Inde seront l'une des relations déterminantes du 21e siècle », ajoutant qu'en tant que deux pays possédant l'arme nucléaire, les Etats-Unis et l'Inde allaient collaborer dans la non-prolifération nucléaire. Les Etats-Unis reconnaissaient ainsi pour la première fois l'Inde en tant que puissance nucléaire. Cependant, ces bonnes perspectives ont été assombries en 2013 : une diplomate indienne a été arrêtée et fouillée au corps. L'Inde a pris des mesures de rétorsion. De plus, les deux pays ne sont pas sur la même longueur d'onde sur certaines questions telles que les réponses à apporter au changement climatique, ainsi que les accords sur l'usage du nucléaire à des fins civiles et les négociations sur la facilitation du commerce. Depuis sa prise de fonction au poste de premier ministre en 2014, Narendra Modi a mis l'accent sur le développement économique et poursuivi une « diplomatie économique ». L'Inde et les Etats-Unis appellent à réparer leurs relations bilatérales. En réponse à la visite de M. Modi aux Etats-Unis en septembre 2014, M. Obama s'est rendu en Inde tout en assistant aux célébrations du Jour de la République. Les deux pays ont publié plusieurs déclarations conjointes sur la visite du président américain en Inde et sur la « Stratégie conjointe en Asie pacifique et dans l'Océan indien ». Des progrès importants ont été réalisés dans la coopération en matière d'usage de l'énergie nucléaire à des fins civiles, de défense nationale, d'économie et de commerce, et de changement climatique. L'Inde va établir un fonds d'assurance de 15 milliards de roupies (240 millions de dollars) afin d'aider les fabricants américains de réacteurs nucléaires à contourner les risques liés à la « Loi indienne sur la responsabilité nucléaire ». Les deux pays vont également poursuivre la recherche et le développement dans le secteur de la défense. Les Etats-Unis vont fournir à l'Inde 4 milliards de dollars sous forme d'investissements et de prêts, à savoir 2 milliards investis dans des projets d'énergie renouvelable, 1 milliard de prêts pour le développement des PME indiennes et 1 milliard pour l'aide aux exportations de produits américains sur le marché indien. Le « rêve américain » de M. Modi Par des actions concrètes, les leaders des deux pays expriment devant le monde entier leur souhait d'intensifier les relations bilatérales. Pour l'Inde, développer ses relations diplomatiques avec les Etats-Unis, première puissance mondiale possédant des technologies et des fonds attrayants, revêt évidement une portée de première importance et correspond à ses intérêts actuels. Cela permet aussi à l'Inde de promouvoir son économie nationale. L'Inde a besoin des technologies avancées et des fonds américains et souhaite que les entreprises américaines investissent en Inde. Les succès économiques obtenus dans le Gujarat ont indubitablement contribué aux succès politiques de M. Modi, qui a remporté les élections générales. Le développement économique est donc la première mission qu'il s'est donnée après sa prise de fonction. L'Inde a grand besoin des investissements directs étrangers afin de renforcer la construction d'infrastructures et d'améliorer l'environnement des investissements d'une part, et de promouvoir le développement de différents secteurs, de résoudre le problème de l'emploi et de stimuler la croissance économique d'autre part. Lors de sa visite aux Etats-Unis en septembre 2013, M. Modi a déclaré que les entreprises américaines seraient les bienvenues pour investir en Inde. De plus, l'Inde développe activement les énergies renouvelables et les Etats-Unis sont sans aucun doute un partenaire idéal avec leurs technologies avancées et leurs capitaux. Le développement de ses relations avec les Etats-Unis permet à l'Inde d'accroître son influence dans la région Asie-Pacifique. Les Etats-Unis soutiennent depuis toujours la participation croissante de l'Inde aux affaires de la région. Cette fois-ci, les deux pays ont publié une déclaration conjointe concernant la situation dans les régions Asie-Pacifique et de l'Océan Indien. Selon ce document, un étroit partenariat entre l'Inde et les Etats-Unis est indispensable pour promouvoir la paix, la prospérité et la stabilité de l'Afrique jusqu'en Asie de l'Est et les deux pays vont collaborer pour accélérer l'interconnexion des infrastructures et l'intégration économique en Asie du Sud, du Sud-Est et Centrale. Cette déclaration aborde aussi le problème de la Mer de la Chine méridionale. Le journal Times of India estime même que « l'Inde n'a plus besoin de cacher sa position en faveur du centre de gravité stratégique des Etats-Unis ou de leur politique de rééquilibrage vers la région Asie-Pacifique ». Pour l'Inde, le développement de ses relations avec les Etats-Unis lui permettra de posséder plus d'atouts dans son jeu avec les grandes puissances comme la Chine et la Russie, d'avoir plus de chance de devenir membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU et de gagner plus de soutien pour son adhésion au Groupe des fournisseurs nucléaires et à l'APEC. Impossible d'avoir toujours le vent en poupe Bien que l'Inde et les Etats-Unis souhaitent renforcer les relations bilatérales, les deux pays ont encore du mal à entrer rapidement dans une phase de « lune de miel ». Washington souhaite que New Delhi joue un rôle d'appui stratégique dans la région Asie-Pacifique, mais c'est seulement dans les domaines correspondant à ses propres intérêts que le pays agit de concert avec les Etats-Unis. De plus, l'Inde poursuit une politique diplomatique de non-alignement en raison de sa « fierté nationale » et il lui est difficile de toujours se soumettre à la volonté américaine. En tant que grand pays émergent, l'Inde a ses propres priorités et applique une politique étrangère indépendante. C'est plutôt à partir de ses intérêts actuels que l'Inde développe ses relations avec les Etats-Unis. Pour autant, il n'est pas absolument nécessaire que New Delhi s'allie stratégiquement avec Washington. Alors que les Etats-Unis et la Russie lui font des avances, l'Inde cherche à leur montrer un même visage avenant sans pour autant éviter de provoquer le mécontentement des Etats-Unis. Avant la visite de Vladimir Poutine en Inde, New Delhi a déclaré ne pas être favorable aux sanctions de l'Occident envers la Russie. De plus, dans la délégation russe se trouvait le dirigeant de Crimée Sergueï Aksionov. La porte-parole du département d'Etat américain Jen Psaki avait fait savoir que les Etats-Unis s'en étaient inquiétés. En même temps, elle a aussi évoqué la signature d'un nouvel accord sur le nucléaire et la défense entre l'Inde et la Russie, estimant qu'à l'heure actuelle, « ce n'est pas le moment opportun pour faire des affaires avec la Russie comme si de rien n'était ». Du côté indien s'est aussi exprimé le mécontentement quant au développement des relations entre les Etats-Unis et le Pakistan, soulignant que les fonds fournis par Washington à Islamabad avaient assombri les relations bilatérales. De plus, du fait de la différence en matière de développement et d'intérêts prioritaires, l'Inde et les Etats-Unis ne sont pas sur la même longueur d'onde sur des questions comme la réponse à apporter au changement climatique. Washington attend de New Delhi la formulation de son objectif de réduction des émissions, mais New Delhi insiste pour préciser que sa marge est limitée en raison de son développement et de la lutte contre la pauvreté. En ce qui concerne l'approfondissement de la coopération économique, l'Inde a besoin d'améliorer d'une manière plus poussée son environnement d'investissement pour rassurer les investisseurs américains. Bien que le gouvernement indien s'efforce de promouvoir la réforme économique et d'améliorer l'environnement commercial, certains problèmes tels que sa faible efficacité administrative, son haut niveau d'imposition et les difficultés d'obtention de terrains sont difficiles à résoudre rapidement. La réforme économique concerne la redistribution des bénéfices et fait l'objet d'une grande résistance. De plus, l'Inde est un pays fédéral dont les Etats jouissent d'un haut niveau d'autonomie. Par exemple, pour accroître l'efficacité de l'exploitation et de l'alimentation en électricité, le gouvernement indien a lancé une réforme dans le secteur du charbon, qui a suscité la plus grande grève sectorielle depuis 1977, avec la mobilisation de près de 500 mille ouvriers. Le mouvement s'est apaisé après que le gouvernement s'est engagé à protéger les intérêts des sociétés nationales de charbon et des ouvriers, disant qu'il n'avait pas l'intention de privatiser le secteur de la houille. Cet incident a eu une influence négative sur les investisseurs et démontré que le gouvernement indien se trouvait confronté à de grands obstacles dans la réforme.
L'auteur est chercheuse-assistante de l'Institut des relations internationales contemporaines de Chine.
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