Union économique eurasiatique : vers de nouvelles opportunités |
Chen Yurong L'Union économique eurasiatique (UEEA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2015, une grande réussite pour l'intégration économique de la Communauté des Etats indépendants. La création de cette organisation pourra permettre à la Russie de sortir de la crise économique actuelle, à renforcer son statut géopolitique et à tirer des avantages accrus pour répondre à la pression stratégique extérieure sur le continent eurasiatique. L'UEEA fournira par ailleurs de nouvelles opportunités en faveur de l'établissement de la Ceinture économique de la Route de la Soie. Un lancement réussi L'UEEA se compose actuellement de quatre pays membres, à savoir la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Arménie. Elle va s'élargir avec l'adhésion du Kirghizistan le 1er mai 2015. Le « Traité de l'Union économique eurasiatique » signé par les trois premiers pays précités le 29 mai 2014, l'objectif de l'UEEA prévoit de réaliser le libre-échange des marchandises, des services, des capitaux et de la main-d'œuvre d'ici 2025 et d'introduire une politique bien coordonnée dans les secteurs clés comme l'énergie, l'industrie, l'agriculture et les transports. Les pays membres projettent d'établir progressivement un marché pharmaceutique unifié et un marché commun de l'électricité, de même pour le pétrole, le gaz et les produits pétroliers. L'Union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan en est le précurseur. L'UEEA poursuit une politique d'ouverture vers l'extérieur. Selon le président russe Vladimir Poutine, l'union est ouverte à tous les pays voisins : outre les pays de la Communauté des Etats Indépendants (CEI), les partenaires de l'UEEA en Orient et en Occident en sont aussi bénéficiaires. Le Tadjikistan a aussi montré sa volonté d'adhérer à l'union, entamant plusieurs tours de négociations avec la Russie. Selon un député russe, 28 pays au total s'intéressent à l'Espace économique commun. Actuellement, la coopération de l'UEEA avec les pays au-delà de la CEI est limitée à la Zone de libre-échange. Le travail sur la feuille de route concernant l'adhésion du Vietnam à la Zone de libre-échange va bientôt prendre fin. Par ailleurs, l'Iran et la Turquie ont aussi exprimé leur désir d'y entrer. L'UEEA est l'étape la plus cruciale pour la construction de la feuille de route de l'Union d'Eurasie. La genèse de l'union peut être considérée comme un succès diplomatique considérable obtenu par M. Poutine après son retour au Kremlin en 2012. Ayant pour objectif final d'établir un marché commun à haut niveau d'intégration, l'union créera le plus grand marché de la région de la CEI avec plus de 170 millions de personnes. M. Poutine souhaite faire de l'UEEA une passerelle reliant la région Asie-Pacifique et l'Europe, un nouveau pôle de développement économique dominé par la Russie dans le cadre de la CEI et dans un monde multipolaire. Autrement dit, l'intégration économique et militaire au sein de la CEI fournira un soutien stratégique à la Russie pour la réalisation de son rêve de renouveau national. Un parcours qui s'annonce long et difficile 1 - Le rôle de la Russie comme moteur économique est mis à rude épreuve. Il est évident que la Russie jouera un rôle de moteur économique dans l'UEEA, mais le pays est en proie à la crise économique depuis déjà plusieurs mois. En raison des sanctions imposées par l'Occident et de la baisse du prix de pétrole, le rouble a sensiblement chuté fin 2014 et l'économie russe affichera une croissance négative entre 2015 et 2016. Si le lancement de l'UEEA permettra à la Russie de répondre aux sanctions de l'Occident et favorisera l'élargissement du marché russe et la restructuration économique, le faible niveau auquel se situera le cours international du pétrole dans les deux prochaines années mettra à l'épreuve la force réelle de la Russie dans la gouvernance de l'union. 2 - Des pressions stratégiques et concurrence inhérentes. Dans un contexte de crise prolongée en Ukraine, la portée géopolitique et géoéconomique que revêt la fondation de l'UEEA attire l'attention de la communauté internationale. Quand M. Poutine a proposé d'établir l'UEEA, il a immédiatement fait l'objet de critiques de la part de l'Occident. Hillary Clinton, alors secrétaire d'Etat américaine, s'était engagée à empêcher la Russie de rétablir une union basée sur le modèle de l'Union soviétique à travers l'intégration économique. Le Partenariat oriental, une des importantes mesures prises par l'Union européenne (UE) à l'encontre de l'intégration économique de la CEI, équivaut à une « mini-CEI » aux yeux de certains politiciens russes. Ceux-ci pensent que le Partenariat oriental vise à contrebalancer le rôle de la Russie et à diviser la CEI avec l'établissement d'une zone de libre-échange avec les partenaires de la Russie au sein de la CEI, comme une extension vers l'est sous une autre forme. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a déclaré que l'objectif de l'UE était de forcer la Biélorussie et l'Ukraine notamment à choisir et à se ranger soit aux côtés de la Russie, soit aux côtés de l'Occident. L'affrontement entre l'UEEA et l'UE autour de l'Ukraine a directement déclenché la crise dans ce pays. En novembre 2013, au prix de grands sacrifices économiques, la Russie avait persuadé l'administration de Viktor Ianoukovytch de suspendre un accord d'association entre l'Ukraine et l'UE. Cela a déclenché un vaste mouvement de protestation et entraîné l'alternance du pouvoir en Ukraine. En 2014, l'Ukraine a signé l'accord d'association avec l'UE qui prévoit son adhésion fin 2015. Il est évident que l'UEEA va perdre le grand marché ukrainien. En apparence, la crise en Ukraine est née des contradictions entre la Russie et l'UE, mais elle résulte concrètement de la rivalité géopolitique entre la Russie et les Etats-Unis. Après l'éclatement de la crise, la Russie n'a cessé de rejeter sur les Etats-Unis la responsabilité du déclenchement des « révolutions de couleur » : le mouvement de protestation est devenu hors de contrôle suite aux discours séditieux de deux sénateurs américains sur la place de l'Indépendance. Ce sont aussi les Etats-Unis qui ont poussé l'Europe à adopter plusieurs séries de sanctions vis-à-vis de la Russie, de sorte que la Russie et l'UE aux prises se sont affaiblies mutuellement dans le domaine économique. Le bras de fer entre la Russie, les Etats-Unis et l'UE ne prendra pas fin dans un bref délai, de même que celui qui oppose l'UEEA et l'UE autour de la CEI. Les deux mécanismes d'intégration économique de haut niveau sont déjà en concurrence. Le 12 janvier 2015, le président ouzbek Islom Karimov a précisé que son pays n'adhérerait pas à l'UEE ou l'Union douanière, et que l'Ouzbékistan ne sera jamais membre d'un groupe politico-militaire. La position ouzbèke donne à réfléchir. Opportunités réciproques Certains prévoient que l'UEEA sera certainement en conflit avec la Ceinture économique de la Route de la Soie en Asie centrale. Mais si on examine les rapports d'intérêts entre ces deux entités sous tous les aspects, leur avenir s'annonce radieux. Il existe un grand nombre d'avantages en matière géographique et humaine pour la coopération réciproque entre l'UEEA et la Ceinture économique de la Route de la Soie. Géopolitiquement parlant, l'UEEA et la Ceinture économique de la Route de la Soie se chevauchent en Asie centrale. Les pays de l'Asie centrale sont membres de l'UEEA, tout en se situant dans les centres névralgiques de l'Asie centrale, traversés par la Route de la Soie depuis des temps reculés. Dans le domaine des relations bilatérales, la plupart des pays d'Asie centrale soutiennent fermement l'intégration économique de la CEI et maintiennent d'étroites relations économiques et commerciales avec la Russie, tout en étant des partenaires stratégiques et économiques de la Chine. En 2012, le volume des échanges commerciaux entre la Chine et les cinq pays d'Asie centrale s'élevait à 45,9 milliards de dollars. De plus, la Chine et la Russie sont des partenaires importants et le partenariat stratégique sino-russe a été porté à un niveau sans précédent. L'UEEA et la Ceinture économique de la Route de la Soie s'emploient ensuite au développement commun. Ces deux dernières ne sont pas dans un rapport de concurrence : l'UEE est un mécanisme d'intégration de haut niveau, alors que la ceinture économique vise à renforcer l'interconnexion. De plus, la Ceinture économique de la Route de la Soie est ouverte à tous les pays qui s'y trouvent, y compris les pays d'Asie centrale et la Russie. Autrement dit, la Russie est un partenaire, non pas un adversaire. La Chine préconise de combiner harmonieusement la construction de la Ceinture économique de la Route de la Soie et la coopération avec l'UEEA. Cela signifie que ces deux entités doivent non seulement coexister pacifiquement, mais aussi s'employer au développement commun et à la coopération gagnant-gagnant. Le consensus sino-russe est déjà inscrit dans des documents conjoints et précise que les rapports entre la Ceinture économique et l'UEEA sont de coopération, pas de concurrence. Le consensus sino-russe est basé sur les intérêts fondamentaux des deux pays, c'est-à-dire la stabilité et le développement de l'Asie centrale. C'est justement pour cela que la Chine et la Russie collaborent en faveur du développement de l'Organisation de coopération de Shanghai. En fait, la ceinture économique et l'UEEA apportent non seulement davantage d'opportunités pour le développement économique des pays d'Asie centrale, mais elles développent aussi un potentiel pour l'approfondissement d'ensemble de la coopération économique entre la Chine et la Russie.
L'auteur est directeur du département d'Eurasie de l'Institut d'études internationales de Chine.
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