Stephan Rothlin : l'éthique au service de la « nouvelle normalité » en Chine (I) |
Jacques Fourrier
Beijing Information s'est longuement entretenu avec Stephan Rothlin dans les bureaux de son cabinet de consulting aux abords du 4ème périphérique de la capitale chinoise. Originaire de Zurich, très tôt passionné par les philosophies orientales, il a choisi d'en faire le parcours d'une vie. Ses études l'ont conduit à Paris où il a étudié la philosophie et l'éthique auprès des Jésuites au Centre Sèvres. Par la suite, sa thèse sur le concept de justice chez l'économiste autrichien Friedrich Hayek lui a valu un doctorat « à cheval entre économie et philosophie ». Ce polyglotte s'est engagé dans la voie de la recherche, de l'enseignement et de l'entreprise en Chine dès 1997 en se spécialisant dans les questions d'éthique, plus particulièrement la responsabilité sociale des entreprises. S'il intervient dans des universités et écoles de commerce en Asie, il a aussi su gagner la confiance et l'oreille des dirigeants du monde économique et politique en Chine, comme en témoigne son accès privilégié à l'Ecole centrale du Parti communiste chinois (PCC). Actualité politique chinoise oblige, nous aborderons dans un premier volet les « deux sessions » pour les mettre en relation avec les questions d'éthique et de responsabilité sociale des entreprises. Stephan Rothlin nous expliquera aussi dans quelle mesure les entreprises étrangères en Chine peuvent s'adapter à la « nouvelle normalité » qui s'installe dans ce pays. Dans un second volet, nous nous concentrerons sur les questions d'éthique dans la tradition chinoise. Loin des clichés culturels éculés et du discours théorique, Stephan Rothlin prône des choix épistémologiques et une approche méthodologique répondant à des critères pratiques et directement applicables. Stephan Rothlin (dr.) et notre journaliste Jacques Fourrier Le hasard a donc voulu que cette rencontre ait lieu le jour de l'ouverture à Beijing du grand rendez-vous politique annuel chinois, à savoir les « deux sessions », celle du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois et celle de l'Assemblée populaire nationale de Chine. Cette année est marquée sur le plan de la politique intérieure par les « quatre objectifs globaux », à savoir l'avènement d'une société modérément prospère, l'approfondissement de la réforme, l'établissement d'un Etat de droit et l'instauration d'une discipline stricte au sein du PCC. Sur le plan économique, c'est la « nouvelle normalité », mise en avant par le président chinois Xi Jinping lors du sommet des dirigeants économiques de l'APEC, le forum de coopération économique Asie-Pacifique à Beijing le 9 novembre 2014. Cette « nouvelle normalité » met l'accent sur la croissance durable de l'économie. Le signal est clair : il marque une transition historique pour le pays que Stephan Rothlin avait néanmoins perçue et anticipée depuis quelques années déjà, que ce soit dans ses interactions avec les dirigeants d'entreprises, les cadres politiques, les universitaires ou même ses étudiants. Comment relier la responsabilité sociale des entreprises, et plus généralement les questions d'éthique, à cette « nouvelle normalité » et comment l'englober dans la mise en œuvre des quatre grands chantiers que le PCC a fixés ? Comment un pays dont le cadre légal et réglementaire est un des plus avancés au monde peut-il surmonter les rigidités intellectuelles, le poids des traditions et l'inertie au niveau local ? Pour Stephan Rothlin, la question de la mise en pratique des législations est fondamentale. Et d'évoquer la lutte contre la corruption, la lutte contre la pollution, mais aussi plus généralement le défi que constitue l'édification d'un Etat de droit. A la fois éducateur et propagateur, Stephan Rothlin ne veut pas imposer un discours sur l'éthique, mais appelle à la réflexion. « Il est préférable d'avancer un raisonnement que d'avancer un discours qui me plairait », précise-t-il. Ainsi, sur la corruption, il privilégie le questionnement dans une perspective qui dépasse le cadre chinois en demandant à ses interlocuteurs si la corruption est inévitable en Asie, alors que sur des questions plus épineuses, comme les droits de l'Homme, il effectue un changement de paradigme en abordant des problématiques spécifiques, comme par exemple la protection des droits des travailleurs. On l'aura compris, Stephan Rothlin veut sortir du terrain idéologique, forcément polarisant et stérile, pour aborder de biais des questions sensibles et éviter ce qu'il appelle la « crispation ». En faisant évoluer la réflexion du côté de la responsabilité sociale des entreprises, Stephan Rothlin constate que le « dialogue est un peu plus productif ». La « nouvelle normalité » sonne notamment la fin de trois décennies de croissance effrénée et de la course au PIB pour un atterrissage en douceur de l'économie chinoise. Stephan Rothlin résume ainsi la situation : « Maintenant, le défi, c'est le développement durable. La croissance économique est toujours dans les mentalités. La question est vraiment d'arriver à un changement de paradigme pour que le développement économique devienne plus durable ». Les entreprises étrangères qui ont vu dans le marché chinois un nouvel Eldorado doivent évidemment s'adapter à cette « nouvelle donne » et effectuer des choix stratégiques. « Il faut s'habituer à ce que la croissance économique ne soit plus aussi forte », souligne-t-il. Si certaines entreprises étrangères se retirent du marché chinois, Stephan Rothlin y voit davantage un phénomène conjoncturel. Il évoque aussi les conflits largement médiatisés entre des entreprises étrangères et chinoises, comme la « bataille » qui a opposé Danone et Wahaha. Il y perçoit plus une problématique contractuelle et utilise la métaphore du mariage forcé et du divorce douloureux. Dans ce cas, « c'est toujours les deux partenaires qui n'ont pas bien compris l'accord qu'ils avaient conclu ». Il y voit aussi une confirmation de son intuition initiale, celle du renforcement du dialogue, et laisse entrevoir une nouvelle piste. « Je crois beaucoup en l'importance du dialogue entre entreprises étrangères et chinoises ». Stephan Rothlin présente son livre « Becoming a Top-Notch Player » traduit en chinois. Sur un autre registre, il constate que l'exode de certaines entreprises étrangères peut être attribué à des facteurs plus insidieux, comme la rémunération des expatriés et la pollution. « La valeur d'un expatrié en Chine a baissé si on la compare à ce qu'elle était il y a quinze ans. Un Français touchait facilement un quart de million tandis que maintenant, elle a chuté. Si on prend en compte le souci avec les enfants, la pollution, cela joue aussi quand même pas mal ». La question de la corruption est bien sûr primordiale. Il cite l'exemple d'une multinationale dont le code de déontologie prévoyait explicitement l'interdiction de paiements de pots-de-vin, « sauf en Chine ». Stephan Rothlin veut ici souligner que « le discours qu'on peut entendre à Paris ou à Washington, il est totalement différent si on se retrouve en Chine ». Il estime en outre que les agences de relations publiques jouent un rôle non négligeable dans certaines pratiques contraires à l'éthique. Il conseille aux entreprises de prêter une attention particulière au discours chinois en termes de corruption. « La volonté du gouvernement chinois est claire et évidente ». C'est une tendance qu'il observe non seulement en Chine, mais aussi dans d'autres pays, notamment au Nigéria. « S'il existe une culture de la corruption, la volonté de la réduire est bien présente et si l'on est soucieux de présenter sa marque et d'établir sa réputation à long terme, je crois que la responsabilité sociale des entreprises est primordiale dans cette stratégie ». En Chine, les organes du gouvernement ne sont pas les seuls à s'attaquer à la corruption. « Les nouveaux médias comme le China Southern Weekly, ou plus moderne comme le China Newsweek, vous regardent vraiment de près. Il faut les admirer car vu le cadre qui bouge sans arrêt, ce n'est pas évident ». En matière de corruption, l'impunité n'existe plus. (A suivre)
Le docteur Stephan Rothlin est PDG du cabinet Beijing Rothlin International Management Consulting Company. Spécialiste reconnu dans le domaine de la responsabilité sociale des entreprises et des questions d'éthique, il a publié des ouvrages relatifs à l'éthique des affaires, notamment « Dimensions of Teaching Business Ethics in Asia ». Son livre « Becoming a Top-Notch Player » a été traduit en chinois.
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