Perspectives de l'APEC : La mise en place d'une zone de libre échange en Asie-Pacifique |
Shen Minghui et Liu Junsheng Chercheurs à l'Institut de la stratégie internationale de l'Académie chinoise des sciences sociales En novembre, Beijing accueille la 22ème rencontre annuelle des dirigeants de l'APEC, la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique. Par le niveau de son étendue économique et sa structure régionale, l'APEC peut être considérée comme l'un des trois grands ensembles de coopérations économiques dans le monde, avec la zone de libre-échange de l'Union européenne et celle d'Amérique du nord. Ce sommet revêt une signification importante pour la région et pour le monde, et l'un des sujets majeurs abordés cette année sera la création de la zone de libre-échange de l'Asie-Pacifique (FTAAP). Ce projet n'est pas nouveau. En 2004, le Conseil de consultation économique de l'APEC avait déjà soumis un rapport préparatoire, visant à encourager le processus de libéralisation économique et à enrayer le déclin subit par l'APEC depuis la crise financière asiatique. En 2006, le revirement de position des Etats-Unis sur la création de la FTAAP a remis cette question au cœur des agendas, et celle-ci est activement soutenue par les pays membres. Lors du sommet de l'APEC en 2010, la feuille de route pour la mise en place de la FTAAP et le détail de son contenu furent approfondis. Une « Déclaration des dirigeants » fut publiée par la suite, indiquant que l'APEC poursuivrait une intégration économique régionale et agirait de façon pragmatique pour promouvoir la mise en place d'une zone de libre échange en Asie-Pacifique. Fondations et perspectives Il existe aujourd'hui de fortes disparités dans le processus de développement économique de la région Asie-Pacifique, et l'intégration des Etats-Unis dans le Partenariat Trans-Pacifique (TPP) en 2010 a engendré un certain désintérêt pour la FTAAP. Tout cela n'a pas été sans conséquence pour la mise en place de cette zone de libre-échange, dont la portée se veut significative, la régulation rigoureuse, et qui vise un haut degré de qualité. Cependant, l'évolution de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est en ASEAN+1, puis en ASEAN+3 et ASEAN+6, la mise en place du TPP et du Partenariat économique régional intégral (RCEP) en 2012, ainsi que les explorations successives de modèles pour l'intégration économique de la région, ont renforcé les fondations d'une construction modulaire de la FTAAP. Aujourd'hui, le TPP et le RCEP sont des composantes importantes de la future zone de libre-échange, qui permettent de faire avancer l'intégration économique de la région. Le TPP représente une coopération institutionnelle de qualité, à la régulation rigoureuse. Le RCEP correspond plus à une coopération fonctionnelle, dont l'institutionnalisation est volontaire, flexible, ouverte et simplifiée. Il reflète l'accumulation des expériences par les pays d'Asie de l'Est, correspond à leur conditions et à leur spécificités, et reçoit une large approbation et un soutien partagé. Le TPP et le RCEP sont deux voies complémentaires pour la mise en place de la FTAAP. D'un point de vue statique, les simulations indiquent que ces deux voies peuvent toutes deux mener à l'établissement de la FTAAP. D'ici à 2025, les revenus annuels du TPP devraient atteindre les 295 milliards de dollars et ceux du RCEP, les 500 milliards de dollars. La FTAAP recouvre une zone qui devrait générer plus de 1920 milliards de dollars. D'un point de vue dynamique, ces deux options offrent au pays de la zone encore plus d'options. Au niveau institutionnel, la future FTAAP met en exergue son caractère contraignant et réciproque, se démarquant du caractère uniquement incitatif de l'APEC. Sur le fond, elle a pour but d'aller au-delà des règles de l'OMC et d'établir un accord de libre-échange de haut standard. Sur la forme, elle couvrira l'ensemble de la région Asie-Pacifique et intégrera les accords de libre-échange bilatéraux et infrarégionaux actuels. Concrètement, la FTAAP peut être vue comme un outil important dans la réalisation des objectifs de Bogor et l'intégration économique de la région. Favoriser le processus de libéralisation économique Depuis le début du 21ème siècle, les problèmes commerciaux entre la Chine et les pays développés ont engendré de profondes oppositions. La crise financière de 2008 a accentué la montée du protectionnisme dans un système de commerce multilatéral mondialisé et l'OMC n'a que mollement répondu à ces problèmes. Selon les statistiques du groupe Global Trade Alert, les cas de protectionnisme suspecté ont augmenté de manière considérable depuis la crise. Parmi elles, plus de la moitié sont des mesures non-conventionnelles difficiles à détecter, qui échappent aux sanctions prévues par l'OMC. Les mesures gouvernementales visant à préserver les entreprises nationales, comme les mesures de sauvetage, d'aides à l'exportation, ou encore de discrimination en matière de marchés publics ne cessent d'apparaître. Mais le cadre actuel de l'OMC manque de solutions rationnelles et efficaces pour y faire face. La mise en place de la FTAAP devrait favoriser le processus de libéralisation économique dans le monde et permettre de mieux répondre à ces problèmes. Depuis longtemps, l'APEC adopte et applique des mesures pour la libéralisation et la facilitation des investissements, qui dépassent les exigences de l'OMC. Elle apporte ainsi sa contribution à l'Uruguay Round et au cycle de Doha. La FTAAP couvrirait l'Amérique du Nord et l'Asie de l'Est, et renforcerait le mouvement actuel de déplacement du cœur de l'économie mondiale vers l'Asie-Pacifique. Un accord de libre échange de cette envergure serait non seulement important pour l'intégration économique de cette région, mais aussi bénéfique au processus de libéralisation que poursuit l'OMC. Plus important encore, le contenu de la FTAAP insisterait sur une économie de « nouvelle génération » et traiterait notamment de l'agriculture, des règles d'origine et des droits de propriété intellectuelle, des questions depuis longtemps sensibles au sein de l'OMC et qui sont autant de failles face au protectionnisme non-conventionnel. La FTAAP pourrait ainsi jouer un rôle d'incubateur sur des règles plus poussées que celles de l'OMC. Consolider et promouvoir le développement de l'APEC Ces dernières années, le nombre d'accords de libre échange (ALE) au sein de l'APEC a connu une croissance fulgurante. Par un effet domino, ils sont passés de 70 en 2002 à 257 au début de l'année 2013. De fait, dès qu'un pays met en place un accord, le pays voisin s'empresse d'en intégrer ou d'en créer un autre, afin d'éviter les pertes que représenterait pour lui une baisse de ses échanges commerciaux. Les enchevêtrements de ces accords sont tels, qu'on parle aujourd'hui d'un effet « bol de nouilles » entravant le développement de l'APEC. Les différents standards des clauses d'origine pour un même produit rendent le commerce international complexe et parfois confus. Cette situation a entraîné une augmentation des frais de fonctionnement et de régulation, mais elle a aussi détourné l'APEC de sa mission première de libéralisation et de facilitation des investissements. Les pays membres de l'APEC ont largement tourné leur attention et leurs ressources vers la signature d'ALE. Mais malgré leur nombre croissant, le taux des entreprises bénéficiant de tarifs préférentiels à l'export n'a pas augmenté. La FTAAP peut être un bon moyen pour juguler la multiplication des ALE et un outil important dans la reprise de la croissance au sein de l'APEC. Son pouvoir de cohésion en serait renforcé, cela permettrait d'éviter que certains membres, dont les économies sont développées, perdent espoir dans le processus de libéralisation des investissements que celle-ci poursuit, et d'éviter aussi, que chacun établisse ses propres accords de libre-échange. De plus, les clauses des ALE actuellement en vigueur dans la région Asie-Pacifique se concentrent uniquement sur les domaines traditionnelles de l'économie et des investissements. Pour réaliser une zone de libre-échange de haut standard, la portée des clauses de la FTAAP dans certains domaines a été relevée à un niveau difficilement atteignable par des ALE. Cela pourrait permettre de casser l'effet domino qui caractérise leur multiplication, et de renforcer plus en profondeur le processus d'intégration économique de la région, ainsi que le développement intrinsèque de l'APEC.
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