Limiter les pouvoirs des responsables pour lutter contre la corruption |
Les autorités chinoises en charge de la lutte contre la corruption ont annoncé le 8 mai que Liao Shaohua, anciennement membre du comité permanent du comité provincial du Parti communiste chinois (PCC) de Guizhou et responsable du PCC de la ville de Zunyi, dans la même province, avait été exclu du Parti et relevé de ses fonctions officielles. Selon un communiqué de la Commission centrale pour l'inspection de la discipline (CCID) du PCC, l'enquête a montré que M. Liao s'était rendu coupable d'abus de pouvoir et avait accepté des pots de vin. Il est aussi responsable d'avoir fait subir un préjudice à des biens publics et enfreint les règles du Parti. Son cas a été remis au ministère public. M. Liao a été relevé de ses fonctions quelques jours après l'annonce par la CCID de l'ouverture de son enquête. Les analystes estiment que ce cas reflète la réalité de la concentration des pouvoirs aux mains des responsables locaux. Selon Fu Siming, professeur à l'école du Parti du comité central du PCC, « les responsables locaux monopolisent habituellement les ressources, la gestion du personnel et les décisions sur les projets d'investissement, il leur est donc facile de céder à la corruption car il y a peu de supervision ». Le gouvernement central a reconnu la gravité de la situation et est déterminé à restreindre encore plus l'exercice du pouvoir des responsables et à accroître la supervision. Le Troisième plénum du XVIIIème Congrès du comité central du PCC en novembre dernier avait mis l'accent sur l'approfondissement de la réforme : les responsabilités et la nature des pouvoirs attribuées aux principaux responsables du Parti et des agences gouvernementales devraient être bientôt annoncées. Un pouvoir illimité En septembre dernier, le procès de Bo Xilai, l'ancien chef du Parti de la municipalité de Chongqing et ancien membre du bureau politique du comité central du PCC, avait fait les gros titres. Il a été condamné à la prison à vie par la cour intermédiaire de Jinan le 22 septembre 2013 pour corruption, détournement de fonds et abus de pouvoir. Le jugement a reconnu Bo Xilai coupable d'avoir accepté des pots de vin pour un total de 20,44 millions de yuans (3,28 millions de dollars), directement ou indirectement par sa famille, entre 1999 et 2012. Pendant cette période, il a été promu, passant de maire de Dalian au poste de secrétaire du PCC de Dalian, avant de devenir gouverneur du Liaoning, puis ministre du Commerce et d'accéder enfin au poste de chef du Parti de la municipalité de Chongqing. Il a notamment aidé ceux qui lui donnaient des pots de vin à obtenir des quotas préférentiels pour l'importation de véhicules et des contrats dans des projets dans le secteur pétrochimique. Dans le jugement, il apparaît aussi que Bo Xilai, en sa qualité de chef du Parti de Dalian en 2000, avait nommé Wang Zhengguang, alors directeur du bureau de l'Aménagement urbain et rural et du Territoire, pour qu'il se charge de projets d'investissement pour le compte d'une autorité supérieure au bénéfice de Dalian. Des financements provenant des autorités de Dalian ont été initialement utilisés pour les projets et en mars 2002, une fois les projets achevés, l'autorité supérieure a versé pour 5 millions de yuans (802 mille dollars) de remboursements. Wang Zhengguang a proposé à Bo Xilai, devenu gouverneur du Liaoning, d'utiliser les fonds pour sa famille. Bo Xilai a accepté et son épouse Gu Kailai a organisé la transaction pour effectuer le virement. « Les chefs du Parti au niveau local ont eu entre leurs mains un pouvoir incroyable pendant plusieurs années, estime Yan Jirong, professeur à l'école d'administration de l'université de Beijing, mais s'ils font des erreurs ou prennent de mauvaises décisions, personne au niveau local n'est capable de corriger leurs erreurs ». D'après la CCID, plus d'un tiers des fonctionnaires à l'échelon du comté ou plus et relevés de leurs fonctions ces dernières années pour des affaires de corruption étaient directeurs d'agences gouvernementales ou d'organes du Parti. Une décision adoptée lors de la Troisième session plénière du comité central du PCC a souligné que les services en charge de faire respecter la loi et les fonctions de supervision des autorités d'audit devaient être renforcés pour s'assurer que les prérogatives répondent à des critères de transparence et de légalité. La CCID a fait savoir dans un communiqué publié en décembre dernier que la supervision visait principalement à surveiller les modalités décisionnelles et d'application des mesures économiques par les principaux reposanbles. Elle vise aussi à mettre à jour les cas d'abus de pouvoir dans les grands projets d'investissement ou quand des fonds publics sont en jeu. La décision souligne par ailleurs les réformes au système d'inspection de la discipline du Parti. Les experts dans le domaine de la lutte contre la corruption estiment que cela va permettre de restreindre les pouvoirs de façon plus efficace. Le comité central du PCC va nommer des inspecteurs de la discipline directement dans les commissions locales d'inspection de la discipline. De plus, les principaux inspecteurs vont être sélectionnés par une commission de haut niveau qui ouvrira des enquêtes en cas de soupçon de corruption où des fonctionnaires locaux sont impliqués. « Auparavant, les enquêtes en cas de soupçon de corruption étaient souvent étouffées par les autorités locales. Elles pouvaient intervenir car la commission d'inspection de la discipline devait travailler sous la direction du comité local du Parti du même niveau. Cependant, après les réformes, la commission pourra rejeter les interventions du comité local du Parti et du gouvernement local », ajoute Ma Qingyu, professeur à l'Académie chinoise de gouvernement. La CCID attache aussi une grande importance à la supervision par le public et sur internet et exige des fonctionnaires qu'ils créent davantage de canaux pour les lanceurs d'alerte et qu'ils ne fassent pas usage de leurs pouvoirs pour se venger sur ceux qui les dénoncent. Internet constitue une plate-forme importante pour la supervision populaire et pour dénoncer les fonctionnaires corrompus. La CCID s'engage à faire preuve de diligence pour enquêter sur les cas de corruption rapportés sur internet. Des programmes locaux de lutte contre la corruption Afin de limiter le pouvoir des principaux responsables, le CCID suggère la création d'un système de supervision mutuelle au sein de la direction du pays. Les responsables du Parti et des agences gouvernementales à différents niveaux se verront confier des tâches, des pouvoirs et des responsabilités préétablies, c'est ce que la CCID a fait savoir dans un communiqué en décembre 2013. « Ils devraient avoir des pouvoirs limités en cas d'intervention dans d'autres dossiers et dans la promotion de subordonnés », a fait savoir la commission. Jusqu'à présent, quelques entités de niveau provincial comme le Shanxi, le Guangdong, le Liaoning, l'Anhui, le Zhejiang, le Yunnan et Chongqing ont lancé des programmes pilotes qui limitent les pouvoirs de leurs hauts responsables, leur interdisant de contrôler les ressources financières ou la promotion du personnel. Les chefs locaux du Parti et responsables d'agences gouvernementales ont des pouvoirs limités en termes de ressources humaines, de budget, de projets d'investissement, de licences administratives et d'achats publics, d'après un reportage effectué par le Beijing Times en février. Ce type de fonctions sera rempli par des fonctionnaires en qualité d'adjoint et les décisions ne seront plus prises par une seule personne, mais collégialement pour éviter toute corruption. Dans le comté de Pan'an, situé dans la province orientale du Zhejiang, où un programme pilote est entré en vigueur dès 2003, la presse a montré, selon l'agence de presse Xinhua, qu'il y avait eu une baisse significative du nombre des cas de corruption parmi les chefs du Parti et responsables d'agences gouvernementales. La CCID s'en est réjoui dans un communiqué en février : « Le programme a pour objectif d'améliorer la gouvernance collective et la prise de décision démocratique, et d'inciter à la transparence ». Hu Xingdou, professeur de sciences politiques à l'Institut de technologie de Beijing, estime cependant que ces limitations ne pourront probablement pas être suffisantes pour inverser la tendance. « La limitation des pouvoirs des principaux responsables est devenu une tendance, mais la structure du pouvoir n'est pas ouverte et transparente, n'importe quel fonctionnaire peut être impliqué dans des actes de corruption », estime-t-il. Une opinion qui reçoit l'assentiment de Zhu Lijia, professeur à l'Académie d'administration publique de Chine à Beijing. Il suggère de diffuser publiquement à la télévision la procédure de sélection des postes gouvernementaux pour garantir la supervision du plus grand nombre. Il appelle aussi à une publicité similaire pour les appels d'offres concernant les projets de travaux publics, notamment la construction d'autoroutes et de ponts. Selon lui, il est crucial de donner une vocation institutionnelle au rôle de supervision des législatures et des congrès du PCC à différents niveaux, qui ont le pouvoir d'élire et de nommer les fonctionnaires. Selon Yan Jirong, les règles actuelles visant à limiter les pouvoirs des principaux responsables ne peuvent être appliquées qu'à un niveau local et individuel. Des efforts doivent être faits pour mettre en place des réglementations clairement définies à cet effet pour des réformes à venir et pour les appliquer dans tout le pays.
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