Des grands patrons chinois contraints à l'exil |
Certains grands patrons chinois choisissent de devenir citoyens d'un Etat des Caraïbes pour pouvoir contourner la réglementation sur les introductions en bourse en vigueur sur la partie continentale de Chine. Une stratégie d'évitement qui reste toutefois un pis-aller. « Un investissement immobilier d'au moins 400 000 dollars ou une contribution de 250 000 dollars à la reconversion de l'industrie sucrière (SIDF) et vous aurez votre passeport de la Fédération de Saint-Kitts-et-Nevis ». M. Feng de la société d'immigration hongkongaise Mefortune.com semble intarissable pour présenter ces deux îles des Caraïbes à ses clients. La plupart sont des grands patrons de la partie continentale de Chine. Mais quels sont les attraits de cet Etat pour ces candidats à l'émigration, des patrons de sociétés chinoises cotées ? Un exil insulaire volontaire « Mi-2012, Saint-Kitts-et-Nevis ne comptait que moins d'une vingtaine d'émigrés chinois. Aujourd'hui, leur chiffre a été plus fois multiplié. Nombreux sont cependant les nouveaux citoyens qui se plaignent d'avoir été obligés d'émigrer afin de contourner une réglementation boursière stricte dans leur pays d'origine », nous apprend M. Feng. En 2013, les actions chinoises cotées dans les bourses américaines étaient touchées par le phénomène de vente à découvert. Les introductions en bourse sur le marché chinois étaient aussi en suspension. Hongkong est alors devenu la place financière de premier choix pour les entreprises de la partie continentale soucieuses de lever des capitaux. Le marché boursier hongkongais, si proche géographiquement, est pourtant hors d'accès depuis la promulgation en 2006 par le ministère du Commerce de Chine des « dispositions provisoires sur les acquisitions d'entreprises domestiques par les investisseurs étrangers » (appelé « document numéro 10 »). Selon les grands patrons, ce « document numéro 10 ») n'est qu'un morceau de papier car les entreprises qui ont enfreint ses dispositions n'ont jamais été poursuivies et pénalisées. Par contre, pour les entreprises qui en respectent les termes, il s'agit d'un véritable instrument de dissuasion. La bourse de Hongkong, soumise aux règlementations de la partie continentale, a donc le pouvoir de rejeter les demandes d'introduction en bourse des sociétés de la partie continentale, leur faisant perdre des millions de yuans. Depuis la promulgation du « document numéro 10 », aucune entreprise de la partie continentale n'a réussi à s'introduire en bourse de Hongkong. Ces patrons réalisent finalement qu'il ne reste qu'une seule issue : devenir étranger ! L'obligation de résider entre 4 et 10 ans, requise par la plupart des pays, les dissuade pourtant, en raison de la nature même de leurs responsabilités. C'est la raison pour laquelle ces patrons ont choisi Saint-Kitts-et Nevis, un des trois pays au monde qui n'impose pas de conditions de résidence aux candidats à la citoyenneté. C'est de plus un Etat membre du Commonwealth. Un passeport de Saint-Kitts-et-Nevis permet son titulaire de voyager sans visa dans plus d'une centaine de pays. Par ailleurs, les revenus perçus par ses citoyens à l'étranger, héritage ou plus-values boursières, sont exemptés d'imposition. Ces patrons ne profitent cependant pas de la beauté de ces îles paradisiaques et ils n'y séjournent que rarement. Tout ce qu'ils veulent, c'est d'acquérir la citoyenneté pour faciliter l'introduction en bourse de leur société. Cette citoyenneté est incomplète cependant car ils ne peuvent participer aux élections, que ce soit en tant qu'électeurs ou candidats. Par ailleurs, conformément à la loi chinoise, en obtenant une nationalité étrangère, ils abandonnent spontanément la nationalité chinoise et perdent ainsi toute chance d'occuper des fonctions politiques en Chine. En tant qu'étranger, ils n'ont enfin plus le droit d'investir dans les secteurs relatifs aux intérêts nationaux. Personne n'y gagne Normalement, une société de la partie continentale de Chine qui souhaite s'introduire dans un marché boursier étranger doit d'abord former une compagnie offshore, qui en rachète les actions ou procède à un échange de titre. Elle peut ainsi procéder à son introduction en bourse. Cependant, en vertu du « document numéro 10 », cette société doit obtenir l'approbation du ministère du Commerce ou même de l'organe de supervision boursière relevant du Conseil des affaires d'Etat. Par ailleurs, le certificat d'approbation n'est valable qu'un an, une durée insuffisante pour que l'entreprise remplisse toutes les formalités pour son introduction. Des patrons se plaignent du manque de marge de manœuvre de la société durant la phase d'introduction en raison d'une ingérence abusive du gouvernement. La société est donc confrontée à des risques : un risque politique et un risque boursier. Une transition est en cours pour passer d'un mécanisme de ratification à celui d'inscription sur le marché boursier chinois. Mais le « document numéro 10 » reste une barrière pour les introductions en bourse à l'étranger. Si les grands patrons chinois choisissent la solution de l'émigration, le gouvernement perdra non seulement son pouvoir de supervision, mais aussi, ce qui est préjudiciable, des actifs sociaux.
Beijing Information |