Réduire les écarts entre les villes et la campagne |
En intégrant les régimes urbains et ruraux de retraite de base, la Chine veut mettre fin à des inégalités criantes et accroître le pouvoir d'achat de la population. C'est une avancée cruciale dans le processus de réforme, même si la question du financement de ce nouveau régime reste le principal défi à surmonter. Lan Xinzhen Le Conseil des affaires d'Etat de Chine a décidé en réunion exécutive le 7 février d'intégrer dans un nouveau cadre les deux systèmes de retraite de base en vigueur actuellement pour les résidents ruraux et urbains. Cette décision est une avancée majeure dans le processus de réforme sociale. C'est aussi une initiative importante dans l'approfondissement de la réforme d'ensemble en Chine, montrant que le pays s'attaque à des questions de fond. Le déséquilibre entre les campagnes et les villes est généralement considéré comme étant le signe le plus visible des inégalités. Les disparités engendrées par un système de retraite dualiste sont les plus criantes, le rendant particulièrement impopulaire ces dernières années. Selon Li Guoxiang, du Centre de recherche sur le développement rural de l'Académie des sciences sociales de Chine, « la création d'un système unique de retraite de base est une percée significative dans le processus de réforme. Cela signifie que la Chine est passée d'un système différencié à un système dualiste pour entrer maintenant dans une nouvelle étape avec la création de ce système intégré ». C'est à grand renfort de dotations budgétaires que le gouvernement compte accélérer le rythme de cette réforme des retraites. Le Conseil des affaires d'Etat veut que le budget national subventionne le régime minimum à hauteur de 100 % dans les régions du centre et de l'ouest de la Chine, contre 50 % dans l'est du pays. Il requiert aussi des autorités locales qu'elles financent tout ou partie du régime minimum des personnes à faibles revenus et encourage la participation des organismes caritatifs. Des programmes pilotes avaient déjà été mis en place en 2009 dans les provinces du Shanxi et de l'Anhui. Selon Li Zhong, le porte-parole du ministère des Ressources humaines et de la Sécurité sociale, ce système est maintenant en vigueur dans 15 provinces chinoises. Réduire les écarts entre les villes et la campagne Le système d'assurance retraite est différent en Chine selon qu'il concerne les fonctionnaires, les employés d'organismes semi-publics, les employés d'entreprises publiques et privées et les inactifs, ruraux ou urbains : la réforme permettra d'établir un minimum vieillesse homogène dont bénéficiera majeure partie de la population. Le régime d'assurance retraite pour les urbains inactifs est entré en vigueur en juillet 2011 et la couverture universelle est une réalité depuis 2012. Peuvent cotiser tous les résidents urbains inactifs âgés de plus de 16 ans (hormis les étudiants) qui étaient exclus des régimes d'assurance retraite. Ils pourront percevoir le paiement mensuel de leurs pensions après 60 ans. Ceux qui ont plus de 60 ans et qui remplissent les conditions nécessaires peuvent déjà percevoir leur retraite sans avoir à cotiser. Le nouveau système d'assurance retraite pour les ruraux couvrait déjà 490 millions d'habitants en 2013. Il concerne les ruraux de plus de 16 ans non couverts par les régimes d'assurance retraite de base. Ils peuvent cotiser sur une base volontaire, tout en recevant des subventions des collectivités et du gouvernement. Il est ouvert à toutes les personnes âgées des zones rurales qui ne perçoivent pas de retraite de base. Les disparités entre ces deux régimes de base sont importantes car pour un même niveau de cotisation, les résidents urbains peuvent percevoir 5 à 10 fois plus que leurs homologues des régions rurales. Ce système dualiste a eu un impact social négatif, ce qui est plus grave. Selon des statistiques du ministère des Ressources humaines et de la sécurité sociale, la Chine compte plus de 200 millions de travailleurs agricoles, et plus de 70% d'entre eux ont migré dans les zones urbaines pour s'y installer. Les assurances sociales ne peuvent cependant pas être transférées, et le ministère a calculé qu'en 2013, le nombre de Chinois qui ne cotisaient plus à leur régime dépassait les 30 millions. Li Guoxiang estime qu'après l'instauration du régime de base unique, l'écart entre villes et campagnes sera inexistant et qu'il garantira des retraites peu ou prou similaires. A terme, le système d'assurance retraite sera plus équitable en termes de financement et de redistribution. Les retraités seront pourvus d'une carte unique de sécurité sociale qui assurera une meilleure gestion du système et établira les bases d'un transfert libre des droits à la retraite. Un tel système est adapté aux besoins de la population des travailleurs migrants qui contribuent au développement de l'économie chinoise. Un impact positif Pour Yang Yansui, directrice du Centre de recherche sur l'emploi et la sécurité sociale de l'université Tsinghua, ce système socialement équitable est important à un moment où l'économie chinoise s'oriente vers le marché. Il permet de réaliser une proposition formulée lors du Troisième plénum du 18ème Congrès du PCC, consistant à « établir un système équitable et durable de sécurité sociale ». L'intégration des régimes de retraite de base entre zones urbaines et rurales est une des initiatives cruciales proposées lors de ce Troisième plénum vers l'harmonisation entre villes et campagnes. C'est aussi une mesure qui s'inscrit dans la réforme du système de résidence et la mise en place d'un marché unifié du travail. Les retraites, l'éducation et la santé sont trois domaines où les inégalités entre villes et campagnes sont les plus importantes. Après l'intégration des régimes de retraite, le paiement des pensions ne se fera plus en fonction du certificat de résidence des cotisants, mais du niveau de vie local et des conditions de vie réelles. Les inégalités liées au double système de résidence, en vigueur depuis 60 ans en Chine, disparaîtront ainsi et sa réforme s'en trouvera facilitée. Selon Li Gaoxiang, l'impact de l'intégration du système de retraite sur la consommation sera significatif. La protection sociale en Chine reste encore fragile, dans les villes comme dans les campagnes. Les Chinois affectent une partie importante de leurs revenus dans l'épargne de prévoyance en cas de maladie et pour la retraite. Alors que les autorités centrales veulent renforcer la consommation intérieure, ce phénomène entrave la dépense des ménages vers les biens de consommation. Près de 70% de la population chinoise est rurale : l'intégration du système de retraite de base va donc dans le sens des ruraux et répond à des préoccupations pressantes. Elle libérera l'épargne qui pourra se porter vers la consommation. Une telle réforme est vitale pour le développement économique et social du pays et pour les « quatre nouveaux chantiers » que constituent l'industrialisation, les technologies de l'information, l'urbanisation et la modernisation de l'agriculture. Cela conduira à une meilleure fluidité du marché du travail, au renforcement du sentiment de sécurité ; les attentes des agents économiques s'en trouveront renforcées, ce qui encouragera la consommation et l'innovation. Wang Zhenyao, directeur de l'Institut de philanthropie de Chine de l'université normale de Beijing, estime que l'intégration des retraites sera bénéfique aux autres réformes. Il est en effet nécessaire de donner une impulsion forte aux réformes. Cette initiative jette les bases d'un service public homogène pour 2020, notamment avec l'intégration du régime de couverture médicale, demandé par l'ensemble de la population. Encore de nombreuses difficultés à surmonter Li Guoxiang remarque que si la richesse accumulée après la réforme et l'ouverture est à même de financer cette intégration, elle ne pourra cependant pas immédiatement venir à bout des inégalités persistantes entre villes et campagnes. Le principal défi consiste en l'application dans les faits de cette réforme pour garantir le versement des retraites. Les fonds de pension ont connu ces dernières années des difficultés qui n'ont pas encore été complètement résolues. Il est donc nécessaire d'inscrire les retraites dans le budget. Les zones pilotes qui ont mis en place des programmes dès 2009 ne sont d'ailleurs pas parvenues à résoudre la question des revenus faibles en raison du manque de fonds. Les cotisations proviennent en effet des salariés, des employeurs et des autorités. Les autorités seules financent cependant le minimum vieillesse, alors que pour le régime de base, ce sont les particuliers qui décident du montant de leur cotisation, l'Etat allouant des fonds de manière proportionnelle. L'intégration des régimes de base signifie que le précédent système appliqué aux régions rurales va se fondre dans le système de retraite des zones urbaines. Le corolaire, c'est que la participation de l'Etat dans le financement des retraites va s'accroître. On estime que la part affectée aux retraites des ruraux pourra jusqu'à tripler par rapport aux niveaux actuels. Compte tenu du vieillissement dans les campagnes, le gouvernement pourrait devoir débourser jusqu'à 300 milliards de yuans par an. Zheng Bingwen, directeur du Centre des assurances sociales dans le monde de l'Académie des sciences sociales de Chine, souligne les deux aspects de l'intégration du régime des retraites. Si le transfert des droits à la retraite pour les travailleurs migrants ne constitue pas un problème insurmontable, la question de l'équité dans la perception des droits reste cependant posée entre les villes de grandes et moyenne importance, les villes de l'est de la Chine, les villes de moyenne et petite importance et les villes des régions de l'ouest du pays. Dans certains cas, les autorités locales ne prennent pas de mesures actives et le gouvernement central ne pourra pas seul en assumer la charge. Dans le système actuel, l'Etat prend presque totalement à sa charge le paiement des pensions dans les zones rurales ainsi que celles des inactifs dans les villes. Suivent les autorités locales. Les collectivités rurales ne contribuent que très modestement. Ce type de financement n'impose donc guère de pression sur les budgets des communautés de base. La Chine se trouve donc face à un problème de taille pour mettre en place un système de paiement des retraites qui soit vraiment équitable.
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