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Publié le 07/02/2014
Gérer son argent en ligne

Zhou Xiaoyan

Wang Kang, 27 ans, travaille dans une succursale de Beijing de la Banque industrielle et commerciale de Chine, une grande banque publique et la première banque mondiale en termes d'actifs. Même si son poste lui offre la possibilité d'accéder plus facilement à des produits financiers, elle a choisi d'investir sur Yu'ebao (ce qui littéralement veut dire « le solde du trésor »), un placement en ligne proposé par le groupe Alibaba, une société de commerce en ligne de premier plan.

Yu'ebao est un produit de placement en ligne créé par Alibaba en juin 2013 par l'intermédiaire de sa plate-forme de paiement Alipay (cette version chinoise de Paypal compte 800 millions de comptes). Il permet aux utilisateurs de placer leur épargne dans des fonds monétaires.

Wang Kang a choisi Yu'ebao plutôt que d'autres placements car elle peut notamment obtenir un rendement plus important que le taux proposé par les autorités. Il n'y a pas de plancher imposé aux dépôts et les fonds peuvent être transférés et retirés rapidement et simplement sans pénalités.

C'est le premier produit d'investissement sur internet. Le 15 janvier, le groupe Alibaba annonçait que Yu'ebao comptait 49 million d'usagers pour des dépôts totaux de 250 milliards de yuans (41,3 milliards de dollars).

« Le secteur chinois de la finance, notamment le secteur bancaire, ne répond qu'aux besoins de 20% des clients, et donc 80% des clients ne sont pas concernés. Les services financiers devraient s'adresser à une clientèle de base, plutôt que de cibler toujours les mêmes ». Telle est l'analyse de Jack Ma, le PDG-fondateur d'Alibaba, quand il a annoncé que sa société allait se lancer dans les services financiers.

Le secteur chinois des services financiers a pendant des décennies été dominé par les banques publiques et contrôlées par l'Etat. Jusqu'à présent, il y avait peu de placements qui proposaient des rendements élevés et des risques faibles, mis à part les produits de gestion du patrimoine. Ces derniers nécessitent cependant une mise de départ de 50 000 yuans au minimum (8 260 dollars).

Pour y répondre, les sociétés chinoises sur internet veulent modifier la donne et accélérant leur offensive dans les services financiers en ligne. Ils utilisent leur expertise dans le commerce en ligne et leurs plates-formes pour proposer une offre via des sociétés d'investissement qui soit à la fois accessible et disponible pour tous les usagers d'internet.

Les acteurs financiers fourbissent leurs armes

Le succès immédiat de Yu'ebao a attisé la concurrence dans la finance en ligne. Les principaux acteurs de l'internet chinois lui ont en effet emboité le pas pour lancer des produits similaires.

En octobre 2013, Baidu, le premier moteur de recherche de Chine, a lancé une plate-forme de gestion de patrimoine pour proposer des placements qui peuvent rivaliser avec Yu'ebao.

Le janvier 2014, Tencent a lancé sa première formule de placement par le biais de son application de messagerie pour téléphonie mobile WeChat afin de concurrencer Yu'ebao. Licaitong, c'est son nom, a enregistré une performance annualisée de 7,394% le 22 janvier. Pour mémoire, la Banque populaire de Chine, la banque centrale du pays, a fixé son taux de référence sur un an à 3,25%.

Le même jour, un produit semblable était mis sur le marché via une plate-forme de paiement électronique affiliée à Suning, une société spécialisé dans l'électroménager.

La bataille ne se livre pas seulement entre sociétés internet, elle les oppose aussi aux banques traditionnelles.

Face aux transferts sans cesse plus importants vers des plates-formes de finance en ligne, les banques réagissent et certaines, comme la banque Ping'an, la Banque des communications et la Banque industrielle et commerciale de Chine, ont pris les devants et lancé des produits semblables.

C'est dans ces conditions que les experts tentent d'envisager l'avenir du paysage financier chinois.

Wu Xiaoqiu, professeur de finance à l'université Renmin de Chine, estime que la finance en ligne pourrait changer le secteur financier chinois de manière fondamentale. Pour lui, c'est une évolution positive.

Il fait remarquer que ce secteur est très monopolistique et que les institutions financières ne remplissent pas bien leur rôle économique dans le pays. Il estime qu'internet et la finance sont complémentaires.

Par exemple, les transactions de paiement sur internet sont plus rapides et les procédures de demande et d'approbation de prêts peuvent être plus efficaces pour les deux parties grâce à la disponibilité des fichiers de crédit et de transactions. Toujours selon Wu Xiaoqiu, l'internet permet de gérer l'épargne et de diffuser l'information plus rapidement et plus largement.

Huo Deming, professeur d'économie de l'université de Beijing, est moins optimiste. Selon lui, il faudra encore plusieurs années avant que les produits financiers en ligne ne transforment véritablement le secteur chinois de la finance.

« Le secteur bancaire chinois est fortement règlementé par la Banque populaire de Chine. Les services financiers que les banques peuvent fournir sont donc limités », déclare Huo Deming quand il explique pourquoi les formules de placement en ligne comme Yu'ebao sont devenus des phénomènes. « Ce sont des concurrents en puissance des dépôts bancaires ordinaires ».

Il estime cependant que les montants investis sont encore très limités quand on les compare aux dépôts substantiels recueillis dans les banques.

Un rapport de la société de bourse Guotai Junan prévoit que moins de 5% des dépôts bancaires ou des produits de placements bancaires seront affectés. Seuls les plus jeunes parmi leur clientèle sont en effet réceptifs, mais leurs revenus ne sont pas élevés et ils n'ont accumulé que peu d'épargne.

Dai Zhifeng, un analyste de la société de bourse Haitong, pense que les dépôts sur Yu'ebao pourraient plafonner à 300 milliards de yuans (49,56 millions de dollars).

Selon lui, la finance en ligne peut difficilement faire la différence car des flux substantiels de capitaux ont tendance à se placer dans les banques, plus professionnelles et qui proposent plus de services haut de gamme.

« La finance sur internet sera un supermarché de la finance, mais ne sera pas une boutique haut de gamme ».

Les risques potentiels

Même si les investisseurs ont accueilli favorablement les produits financiers en ligne, ils comportent certains risques, notamment ceux liés aux fonds d'investissements et aux organes de régulation.

Les dépôts recueillis par ces géants de l'internet sont gérés par des fonds d'investissement, qui allouent les capitaux dans des organismes de placement collectif en valeurs mobilières. Ils comportent un certain degré de risques.

Les fonds se positionnent généralement sur des obligations à faible risque, notamment des obligations d'Etat à court terme, des titres de banque centrale, de pensions livrées d'obligations souveraines et les dépôts bancaires. Ils sont généralement considérés comme étant aussi sûrs que les dépôts bancaires tout en assurant un rendement plus élevé.

Chen Zhiwu, un professeur de finance à l'université de Yale, exprime cependant ses craintes sur les risques liés aux produits d'investissement en ligne.

« Si n'importe quelle société internet est autorisée à commercialiser des produits d'investissement similaires à ceux de Yu'ebao, demande Chen Zhiwu, comment les organes de régulation pourront-ils les garantir ? Comment seront-elles sanctionnées en cas de non-respect des termes contractuels ? Dans quelle mesure ces compagnies sont-elles suffisamment incitées à choisir les bons investissements pour leurs utilisateurs ? »

Liu Shiyu, vice-gouverneur de la Banque populaire de Chine, constate que la finance sur internet est un nouveau phénomène dans le secteur financier, et que par conséquent, la banque centrale n'a pas suffisamment de données pour se prononcer.

« Il doit y avoir une période d'observation. L'innovation et le développement de la finance en ligne doivent être encouragés, mais dans le même temps, estime Liu Shiyu, la banque centrale surveille étroitement le développement des services financiers sur internet pour s'assurer que les compagnies ne franchissent pas les limites fixées par la loi ».

Selon Huo Deming, le professeur d'économie de l'université de Beijing, la banque centrale continue toujours d'observer la tendance dans le secteur des produits financiers en ligne. Si la finance en ligne prend une certaine importance et si des entreprises y investissent, la finance sur internet sera soumise à une réglementation plus stricte, confie-t-il.

« D'ici là, gardons les doigts croisés et regardons jusqu'où elles pourront se développer alors que la libéralisation des taux d'intérêt n'est pas entrée complètement en vigueur en Chine ».

 

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