Impressions sur l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France |
Le 9 janvier 1964, M. de Beaumarchais était comme convenu de nouveau à l'ambassade de Chine en Suisse et les deux parties ont fait progresser les négociations et sont parvenues à un accord sur le contenu du communiqué conjoint. Elles ont aussi atteint un consensus sur la date de la publication. Le 27 janvier 1964, Paris et Beijing publiaient simultanément un bref communiqué conjoint : « Le gouvernement de la République populaire de Chine et le gouvernement de la République française ont décidé d'un commun accord d'établir des relations diplomatiques. Ils sont convenu à cet effet de désigner des ambassadeurs dans un délai de trois mois ». Le lendemain, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a prononcé une déclaration solennelle promulguant l'établissement des relations diplomatiques. En voici le texte : « C'est en tant qu'unique gouvernement légal représentant tout le peuple chinois que le gouvernement de la République populaire de Chine est entré en négociations avec le gouvernement de la République française et est parvenu avec lui à un accord sur l'établissement de relations diplomatiques entre les deux pays. Selon l'usage international, reconnaître le nouveau gouvernement d'un pays signifie naturellement ne plus reconnaître la clique dominante renversée par le peuple de ce pays. Par conséquent, les représentants de cette clique dominante ne peuvent plus être considérés comme des représentants de ce pays, existant parallèlement aux représentants du nouveau gouvernement dans un même pays ou dans une même organisation internationale. C'est selon cette compréhension des choses que le gouvernement de la République populaire de Chine est parvenu avec le gouvernement de la République française à un accord sur l'établissement de relations diplomatiques et l'échange d'ambassadeurs entre la Chine et la France. Le gouvernement chinois estime nécessaire de réaffirmer que Taiwan est territoire chinois et que toute tentative de détacher Taiwan du territoire chinois ou toute autre tentative de créer"deux Chine"est absolument inacceptable pour le gouvernement et le peuple chinois ». Le 31 janvier, le général de Gaulle s'exprimait dans une conférence de presse. Il annonçait la reconnaissance officielle de la Chine et l'établissement des relations diplomatiques. Il a déclaré que « la Chine, un grand peuple, le plus nombreux de la terre, [est] un Etat plus ancien que l'Histoire. Il y décrit « l'ardeur d'un peuple fier, résolu dans ses profondeurs à s'élever en tous les cas, ainsi qu'aux trésors de courage et d'ingéniosité qu'il est capable de prodiguer, quelles que soient les circonstances ». La Chine est un pays souverain et indépendant et le Parti communiste chinois gouverne avec efficacité presque la totalité du pays ; des succès importants ont été accomplis dans tous les domaines. Le général de Gaulle a particulièrement insisté sur le fait que « la France reconnaît simplement le monde tel qu'il est » et ne peut ignorer l'existence de la Chine. « Il n'y a, en particulier, ni guerre, ni paix, imaginables sur ce continent sans que [la Chine] y soit impliquée ». Non pas sans humour, il déclare que la France « pense que, tôt ou tard, certains gouvernements qui se réservent encore, jugeront bon de suivre son exemple ». Le 10 février, le gouvernement français a officiellement informé le « représentant diplomatique » des autorités taïwanaises à Paris : dès que le personnel diplomatique de Pékin arrivera à Paris, l'organe de représentation de Taïwan perdra sa raison d'être. Sous la pression, les autorités de Taïwan n'ont eu de choix que d'annoncer le jour même la rupture des relations diplomatiques avec la France et de retirer leur ambassade à Paris. Le gouvernement français a également annoncé le retrait des mêmes organes et de son personnel à Taiwan. A ce stade, le dernier obstacle à l'échange d'ambassadeurs entre la Chine et la France a été levé, ce qui a permis d'effectuer les préparatifs à l'établissement de l'ambassade de Chine en France dans des conditions très favorables. Cette décision stratégique majeure prise par le président Mao Zedong et le Général de Gaulle a fait l'effet d'un coup de tonnerre dans le monde entier et constitue une page glorieuse dans l'histoire des relations internationales. La décision a été saluée et soutenue par la majorité des nations. Un petit nombre de pays ont fait part de leur opposition ou de leurs réserves. Les Etats-Unis ont vivement protesté auprès du gouvernement français. Ces cinquante dernières années ont montré que les relations sino-françaises ont toujours été stratégiques, spéciales et exemplaires. Leur signification va bien au-delà des relations bilatérales et elles ont un impact profond sur le développement de la situation mondiale. Les medias internationaux ont qualifié la décision à l'époque de « déflagration atomique diplomatique ». D'abord, la Chine et la France sont deux puissances qui appartiennent à des camps différents mais établissent des relations diplomatiques formelles. Le dialogue permet en lui-même de rompre avec le modèle bipolaire Etats-Unis – Union Soviétique. Ensuite, la Chine et la France mènent une politique étrangère indépendante, créant un modèle qui sera imité par les autres pays. Selon le magazine américain Time, l'établissement des relations diplomatique entre la Chine et la France a ébranlé le monde et fait progressé l'histoire. Troisièmement, la Chine et la France ont souhaité établir des relations diplomatiques le plus rapidement possible, une décision qui répondait à l'environnement stratégique. Le général de Gaulle voulait se débarrasser des restrictions imposées par les Etats-Unis en ayant des relations diplomatiques avec la Chine, afin que la France joue un rôle unique de grande puissance dans les affaires internationales. La Chine était à l'époque isolée par les Etats-Unis, qui faisaient pression, alors que les contradictions avec l'Union Soviétique étaient déjà évidentes. La Chine a de son côté cherché à établir des relations diplomatiques et entamer le dialogue avec une puissance indépendante pour élargir sa marge de manœuvre stratégique sur la scène internationale. Un tel événement n'a pas été seulement dans l'intérêt de la Chine et de la France, mais il a aussi été propice à la paix et la stabilité dans le monde, ouvrant la voie à un monde multipolaire. Je suis convaincu qu'à l'avenir, tant que la Chine et la France continueront à coopérer dans une perspective stratégique et pour le développement gagnant-gagnant, et tant qu'elles privilégieront leurs intérêts vitaux et à leurs préoccupations fondamentales respectives, les 50 prochaines années de relations sino-françaises seront aussi brillantes et contribueront à la paix et la prospérité dans le monde.
Beijing Information |