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Publié le 14/09/2012
Une décennie de relations sino-européennes

Alors que Wen Jiabao devrait bientôt quitter ses fonctions, Kerry Brown, directeur du centre d'études chinoises de l'université de Sydney, revient sur le rôle joué par le Premier ministre dans les relations sino-européennes au cours de la dernière décennie.

Kerry Brown

Cette année se tiendront deux réunions du Sommet Chine-UE. La première, initialement prévue en octobre dernier à Beijing, a dû être reportée, les dirigeants européens se débattant avec la crise de la zone euro. Un an a passé, et la crise se poursuit. Les rumeurs du retrait de la Grèce de la zone euro ont provoqué de vives protestations de l'Allemagne, principale économie européenne, qui estime que tant que la Grèce se montrera déterminée à s'attaquer à ses problèmes, les 17 membres de la zone euro pourront rester unis.

Lors de la première réunion, qui s'est finalement tenue le 14 février dans la capitale chinoise, Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, et José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, ont rencontré le Premier ministre Wen Jiabao. Le communiqué publié conjointement à l'issue de la réunion a parlé d'un « partenariat stratégique global qui a grandi en force et en profondeur ». La déclaration poursuit : « Les deux parties ont convenu d'adopter une vision positive de l'autre en matière de développement et d'apporter un soutien pertinent. La Chine réaffirme son soutien constant au processus d'intégration de l'UE. L'UE a noté la croissance soutenue, régulière et rapide de l'économie chinoise ainsi que son importante contribution à la croissance mondiale, et a réaffirmé son soutien au développement pacifique de la Chine et au respect de sa souveraineté et de son intégrité territoriale ».

Changement radical

Le 15e Sommet Chine-UE qui se tiendra à Bruxelles ce mois-ci marquera également la 10e année du mandat de Wen Jiabao, qui prendra sans doute sa retraite politique à l'occasion de l'Assemblée nationale populaire au printemps prochain. Cette réunion sera donc sans doute sa dernière en tant que représentant du gouvernement chinois. Pendant une décennie, M. Wen a été la figure de proue dans la direction qui a nourri et développé la relation entre les deux parties.

Cet homme a fait beaucoup pendant cette période durant laquelle la Chine et l'UE ont toutes deux connu de grands changements. En 2002, l'économie chinoise ne représentait qu'un quart de ce qu'elle est aujourd'hui. Le pays venait d'entrer à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il y avait toutes sortes de questions sur les conséquences que pourraient avoir les conditions d'entrée de la Chine à l'OMC. Mais cela semble très lointain maintenant. Au cours de la dernière décennie, la Chine a dépassé successivement l'Italie, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon, pour devenir la deuxième économie mondiale derrière les Etats-Unis. Et parallèlement, l'UE est devenue son principal partenaire commercial. Leurs intérêts économiques communs n'ont jamais été aussi grands.

Durant cette période, l'UE a elle aussi connu de grands changements. En 2002, l'Union ne comptait que 15 membres. En 2004, 10 nouveaux membres l'ont rejointe, principalement des pays d'Europe de l'Est, puis deux autres en 2007. Lorsque Wen a participé à ses premières rencontres avec l'UE en tant que Premier ministre chinois en 2003, il n'existait pas de diplomatie européenne intégrée, ni de présidence formelle du Conseil européen. Tout cela a été créé en 2009, dans le cadre du traité de Lisbonne, suite à des négociations laborieuses. Entre 2002 et 2012, la Chine et l'UE ont donc connu une période de changement.

Et l'environnement économique international n'a fait qu'accentuer cela. En 2002, peu de gens imaginaient que cinq ans plus tard, le monde connaîtrait une grave récession, et que les économies nord-américaine et européenne en feraient les frais. Depuis 2008, les économies de l'UE ont connu une croissance inégale, avec de longues périodes de récession. Plusieurs des principaux Etats membres, de l'Espagne à l'Italie, ont dû affronter la dette publique et le déficit. La gestion du risque de cessation de paiement de la Grèce a monopolisé les efforts depuis 2009.

La relation avec l'UE dans cette ère de changement était suffisamment importante pour que le gouvernement central chinois publie son premier document de politique officielle sur l'UE en 2003. Dans la préface de ce document, il est écrit : « En dépit de ses difficultés et des défis à venir, le processus d'intégration européenne est irréversible et l'UE jouera un rôle de plus en plus important dans les affaires régionales et internationales. »

Au cours de la période durant laquelle M. Wen a été la figure de proue du côté chinois, la tendance était que l'UE et la Chine étaient des partenaires incontournables, matérialisée dans le mot d'ordre « partenariat stratégique », un cadre qui a été posé dès 2003. Lorsque l'UE a revu sa stratégie envers la Chine en 2006, le document qui l'a annoncée a été simplement intitulé, l'UE et la Chine : un partenariat renforcé, des responsabilités accrues.

Mais les questions sur le non-respect par l'UE d'accorder le statut d'économie de marché à la Chine, et son refus de lever l'embargo européen sur les armes, ont engendré de nombreux moments de profonde frustration. La relation est devenue plus grande, plus complexe et nécessaire. Mais elle n'a jamais été facile à gérer, notamment en raison de l'ampleur du changement des deux côtés et du contexte dynamique dans lequel les deux parties s'inscrivent.

Des liens réels

Cependant, la relation ne devrait pas être évaluée uniquement au plus haut niveau politique. Ce que le communiqué de février reconnaît, et ce qui sera au cœur du sommet à Bruxelles ce mois-ci, ce sont les moyens pratiques de la relation sino-européenne. Et de ce point de vue, tous les voyants sont au vert. Les échanges commerciaux ont considérablement augmenté, tout comme les investissements mutuels. En 2002, ceux de la Chine étaient négligeables, mais sont désormais beaucoup plus importants, avec des investissements clés dans les dernières années tels que le constructeur automobile suédois Volvo ou le groupe britannique Thames Water, ainsi que des plus petits projets dans presque tous les Etats membres de l'UE. Les relations entre les populations ont également explosé, les établissements scolaires de Chine et d'Europe ayant presque tous des liens entre eux. Le nombre de touristes ne cesse d'augmenter, et les étudiants continuent d'affluer des deux côtés.

C'est sans doute dans l'approfondissement de la coopération que les deux parties réaliseront la plus grande percée. Durant la dernière décennie, tout a été fait pour détailler les possibilités de coopération dans les domaines d'intérêt commun : l'énergie, l'environnement et la durabilité. Chine et Europe ont désormais une vision claire des problèmes et de leur localisation, ainsi qu'une meilleure compréhension de leur potentiel d'action commune. Chacun sait ce qu'il veut, et il n'y a plus d'attentes irréalistes qui pourraient brouiller les relations.

Les dirigeants européens ne cessent de répéter qu'ils veulent entretenir de bonnes relations avec la Chine, et qu'ils se réjouissent du renforcement de l'intégration et de la participation de la Chine dans l'économie mondiale et les affaires mondiales. Mais pour beaucoup, il demeurerait une légère résistance à l'idée qu'ils doivent désormais considérer la Chine d'égal à égal, voire un partenaire à bien des égards plus puissant économiquement et plus important. Ils ont probablement du mal à imaginer le jour où la Chine deviendra un innovateur majeur, ainsi qu'un eldorado pour de nombreux Européens qui souhaiteront y émigrer.

Dans la dernière décennie, Wen Jiabao est parvenu à maintenir cette relation critique dans une période tendue, et à veiller à ce qu'elle reste sur de bons rails. Cela n'a pas été une tâche facile, quand on pense à l'évolution de l'environnement économique international, et aux changements internes au sein de l'UE. L'UE qu'il a connue à ses débuts n'est plus la même. Sa contribution a été marquante dans le maintien de liens positifs. L'Union a parfois été un interlocuteur frustrant et complexe. Mais la longue liste des intérêts mutuels et des projets qui a été produite en février, et qui sera presque certainement réaffirmée et enrichie ce mois-ci, témoigne du fait que tout ce travail en valait la peine. Pour tous ses efforts au cours des dix dernières années, les dirigeants de l'UE auront sans doute envie de lui adresser leurs grands et plus sincères remerciements.

Kerry Brown est directeur du centre d'études chinoises de l'université de Sydney, et chef d'équipe au Europe China Research and Advice Network.

 

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