L'Égypte en transition |
Alphonce Shiundu L'Égypte est, de tout le continent africain, le pays qui continue de surprendre le plus. Peu après la constitution d'un nouveau cabinet par le Président Mohamed Morsi et son premier ministre Hisham Qandil, les discussions dans les cercles continentaux évoquaient la possibilité d'une entente entre Morsi et les dirigeants militaires, pour le moment au moins, puisque ces derniers tiennent les rênes du pays et parce que Morsi doit stabiliser au plus tôt la situation dans le pays. Les militaires dirigeaient le pays depuis février 2011, par le biais du Conseil suprême des forces armées (SCAF), après qu' Hosni Moubarak fut déchu du pouvoir par la révolte populaire. Pour Morsi et Quandil, il était donc difficilement envisageable d'écarter les hauts responsables de la SCAF, tel que le maréchal Hussein Tantawi, au motif qu'un nouveau cabinet devait être formé. Les dirigeants militaires, qui exerçaient du temps de Moubarak et ceux désignés par la SCAF pour assurer le gouvernement de transition, avaient été maintenus aux postes clefs de la défense, des affaires étrangères et de la finance, qui sont le moteur de toute administration. Dans tous les cas, ce sont ces ministères qui détiennent le pouvoir. Le maréchal Tantawi s'était alors saisi du pouvoir de commandant en chef des forces armée, avait dissout le parlement et s'était réservé le droit de former l'équipe en charge de la rédaction d'une nouvelle Constitution pour l'Égypte, quelques jours à peine avant que Morsi ne prête serment. Un désaccord opposa ensuite Tantawi et Morsi, au moment de l'investiture de ce dernier, car Morsi rappela le parlement alors que Tantawi estimait cette décision illégale. Morsi ne s'était pas opposé à la décision de son premier ministre Qandil de nommer Tantawi ministre de la Défense. Le diplomate de carrière Mohamed Kamal Ali Amr avait été nommé ministre des Affaires étrangères. Amr, tout comme Qandil, avait été choisi par les militaires pour participer au gouvernement intérimaire, et Momtaz Saed Abu El-Nour avait été maintenu au poste de ministre des Finances. Le peuple s'était alors demandé pourquoi Morsi gardait à ses côtés les anciens membres du gouvernement de Moubarak. Il apparaît clairement que pratiquement toutes les personnes nommées par les militaires étaient des proches de Moubarak. La raison en est que tous les dirigeants du SCAF avaient été nommés par Moubarak. À sa chute, ces derniers ont évidemment cherché des alliés dans leurs propres cercles. D'aucuns pensent par ailleurs que Qandil, qui avait été désigné par le SCAF comme ministre de l'Irrigation, avait simplement retourné la faveur à ses amis militaires. « L'instabilité politique va continuer à peser lourdement sur l'économie, en conséquence de la baisse des entrées de nouveaux capitaux, du ralentissement de l'industrie manufacturière et d'un tourisme en berne », a indiqué le Service des renseignements économiques. Les Égyptiens voulaient de nouvelles têtes au sommet de l'Etat et dans les ministères, ainsi que des dirigeants inspirant la confiance, pour assurer le retour de la stabilité dans le pays. Le jeu du pouvoir s'interrompit brusquement le 5 août suite à la mort de 16 soldats égyptiens, tués par un commando non identifié dans le désert du Sinaï, à la frontière avec Israël. Morsi limogea immédiatement le chef des renseignements pour cette faille dans la sécurité nationale. Il envoya des milliers de soldats dans cette zone pour écraser les rebelles, afin de donner au peuple égyptien l'image d'un pouvoir fort et stable. Les décisions prises ensuite firent l'effet d'une bombe. Morsi limogea le chef d'état major des forces armées Sami Anan, le chef d'état major de l'armée de l'air Rezza Abd al-Megid, le commandant de la marine Mahab Muhamed Mamish et le chef d'état major de la défense aérienne Abd Al-Aziz Muhamed Seif. Cette décision surprit tout le monde, et provoqua un séisme politique en Égypte. Abd al-Fatah Sissi succeda au maréchal Tantawi, tandis que le général Sidki Sobhi fut nommé chef d'état-major. Des milliers d'Égyptiens célébrèrent cet évènement sur la place Tahrir au Caire. Il est rare en Égypte de voir des hauts fonctionnaires démissionner et encore moins d'être renvoyés. Il est difficile de ne pas faire le lien entre le renvoi des hommes forts de l'armée et l'offensive dans le Sinaï, suite à la brèche dans la sécurité intérieure. Mais certains murmurent que Morsi aurait simplement profité de cette opportunité pour chasser les proches de Moubarak. D'autres pensent que Morsi et ses alliés parmi les Frères musulmans, qui détiennent la majorité des sièges au parlement, souhaitent faire main basse sur tous les postes clés du pouvoir. Mais rien n'est certain avec l'Égypte. Morsi s'est engagé à constituer une équipe gouvernementale venant de divers horizons, pour assurer une meilleure efficacité politique. Ces décisions s'inscrivent dans une stratégie globale pour attirer à nouveau les investisseurs, relancer l'économie, garantir l'unité nationale, relancer le tourisme, améliorer la sécurité et assurer la démocratie. Qandil a conscience de ces enjeux, ce qui explique peut-être les réunions sectorielles organisées avec les responsables de ces domaines d'activité, dans le but d'accélérer les réformes et fournir des emplois aux Égyptiens. Morsi déclara à propos de ces limogeages : « Je ne cherche pas à dénigrer qui que ce soit, (sous-entendu les dirigeants militaires), je travaille dans l'intérêt de cette nation et de son peuple. » Le nouveau président a en charge la mise en place d'une nouvelle politique et doit se montrer à la hauteur des espoirs de la révolution. Le monde entier observe les évolutions du pays, s'interrogeant sur les conséquences géopolitiques, avec Israël et la Palestine, du rapprochement de Morsi avec les Frères musulmans.
Beijing Information
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