Coup d'envoi de la réforme financière |
Lan Xinzhen La Chine est entrée dans la phase initiale d'une réforme financière, qui débute à Wenzhou, Zhejiang, centre de l'économie privée, dans un effort pour mieux soutenir le développement de l'économie réelle. Le 28 mars, le Conseil des affaires d'Etat a autorisé l'établissement d'une zone pilote pour la réforme financière globale à Wenzhou. Le plan exige que le gouvernement de la ville mette en place un mécanisme financier pour faciliter le développement social et économique local. Il décrit également les 12 tâches que compte le processus de réforme, dont l'encouragement et le soutien à la participation du capital privé dans la réforme des institutions financières locales. Le 12 avril, Shenzhen, ville de lancement de la réforme économique dans les années 1970, a emboîté le pas avec des directives pour la réforme financière. La réforme financière de Shenzhen sera au service du développement de l'économie réelle, y compris l'introduction de projets pilotes de prêts transfrontaliers entre le continent et Hongkong, la mise en place du Shenzhen Qianhai Equity Exchange avant la fin de cette année, et le développement du marché obligataire. Jusqu'à présent, 16 zones pilotes ont été mises en place pour connecter technologies et finance dans des villes comme Tianjin et Chengdu, et d'autres travaux sont effectués pour innover dans le soutien financier aux entreprises scientifiques et technologiques. Mme Guo Yanhong, chercheur à l'Institut de recherche relevant de Huachuang Securities Co. Ltd, estime qu'un réajustement économique est généralement accompagné de possibilités d'améliorations institutionnelles. En Chine, le récent ralentissement de la croissance économique et l'intensification des risques de liquidité justifient la nécessité de la réforme financière. Selon Guo, l'ancien mécanisme économique va faire face à une série de défis. Pour éviter la récession économique, il est nécessaire d'adopter des mesures pour empêcher l'économie de se contracter. Historiquement, après des périodes de crises économiques, des innovations institutionnelles ont généralement suivi. Les réformes financières pilotes à Wenzhou et Shenzhen visent également à faire avancer le mécanisme financier chinois. La réforme de Wenzhou va réguler les capitaux privés, tandis que la réforme à Shenzhen bénéficiera à la transformation du mode de croissance économique et se concentrera sur l'intégration du capital à travers des canaux diversifiés. Briser le monopole Selon l'agence de presse Xinhua, une réunion des membres permanent du Conseil des affaires d'Etat tenue le 28 mars a décidé de créer une zone pilote pour la réforme financière globale à Wenzhou. Quelques jours plus tard, le Premier ministre Wen Jiabao a effectué une visite dans la province du Fujian et a annoncé que le gouvernement central était déterminé à briser le monopole des entreprises d'Etat dans le secteur bancaire. « Je pense qu'il a été trop facile pour nos banques de faire des profits, a-t-il dit. La raison en est qu'un petit nombre de grandes banques d'Etat détient un monopole dans le secteur. C'est pourquoi nous allons permettre aux capitaux privés d'entrer dans le secteur des services financiers, ce qui requiert à terme de briser le monopole ». Le gouvernement central est mécontent du monopole des entreprises d'Etat dans le secteur financier. Il a déjà publié plusieurs documents visant à faire entrer l'économie non-publique dans le secteur financier, et à encourager les capitaux privés à créer des banques dans de vastes zones du pays en milieu rural. Toutefois, en raison de divers obstacles, cette entrée des capitaux privés reste difficile. A ce jour, aucune des mesures gouvernementales n'a réussi à affaiblir le monopole des banques d'Etat. Le principal problème résultant est que le crédit bancaire est généralement accordé aux grandes entreprises d'Etat, au détriment des PME privées. Le Premier ministre Wen a dit le 28 mars que la récente rupture dans la chaîne des capitaux et la fuite de patrons à Wenzhou avaient eu un impact négatif sur la stabilité économique et sociale locale. Réaliser une réforme financière globale, résoudre les problèmes dans le développement économique de Wenzhou, en guidant le développement sain du financement privé et l'amélioration de la capacité du secteur financier à servir l'économie réelle sont d'une importance vitale non seulement pour le bon développement de Wenzhou, mais aussi pour l'exploration des réformes financières et de développement économique de l'ensemble du pays. Le plan général de la réforme financière de Wenzhou montre que les décideurs veulent permettre aux capitaux privés de mettre en place un nouveau type d'institution financière. Parmi les 12 tâches de la réforme financière globale de Wenzhou, la plupart des médias chinois pense que le plus important est d'encourager et de soutenir la participation des capitaux privés dans la réforme des institutions financières locales et la création de banques de village, de sociétés de prêt, de coopératives financières rurales et d'autres types d'organisations financières, conformément à la loi. Cela signifie que le capital privé peut désormais établir de véritables banques privées, dont le personnel de gestion est choisi par les actionnaires, et non par le gouvernement. Pan Zhengyan, directeur adjoint du Centre de recherche financière de l'Académie de sciences sociales de Shanghai, estime que briser le monopole de l'Etat sur les banques est un choix de la société, et que des réformes plus stratégiques du secteur bancaire étaient inévitables. Mais seule une réforme financière orientée vers le marché sera en mesure de briser ce monopole. Selon Pan, la première chose à faire, c'est de renforcer la concurrence dans le secteur financier, en agrandissant l'accès au marché. Un des objectifs importants du projet pilote consiste à mettre en place un système financier multiple et rationnel, plutôt que la domination par les institutions financières publiques. Intégrer le capital privé au secteur financier permettra non seulement d'améliorer les forces du marché, mais aussi d'élargir le secteur. Toujours selon lui, afin de briser le monopole d'Etat, le gouvernement devrait également modifier les règles de concurrence. La formation des taux d'intérêt est un mécanisme spécial dans le secteur bancaire chinois. C'est-à-dire que les prix des fonds propres des banques (taux d'intérêt) sont décidés par le pouvoir, au lieu du marché. Le mécanisme des prix ne joue pas un rôle décisif ni pour les fournisseurs (banques), ni pour les acheteurs (entreprises). Il est difficile pour les PME d'obtenir des prêts à des prix raisonnables. Il y a donc un conflit dans l'industrie financière chinoise : d'une part, les PME, en particulier les entreprises privées, ne peuvent compter que sur des financements à taux d'intérêt élevés et à risque tels que les prêts usuraires ou le financement illégal, avec des taux d'intérêt plus élevés que la moyenne, et d'autre part, grâce à un mécanisme de tarification spéciale, les banques de différentes tailles profitent de « taux d'intérêt négatifs » causés par l'inflation. Un tel mécanisme de formation des prix pour les fonds propres des banques est bénéfique pour le secteur bancaire et conduit directement à des profits et un monopole dans le secteur financier. Légaliser les prêts privés Liu Yuanchun, directeur adjoint de la Faculté d'Economie de l'Université Renmin de Chine, estime que l'objectif principal de la réforme de Wenzhou est d'abord de réglementer les prêts privés et de faciliter l'entrée de capitaux privés dans le secteur financier. En Chine, le prêt privé est illégal. Dans la province du Zhejiang, où l'économie privée est plus développée que dans d'autres régions, de nombreuses personnes ont déjà été poursuivies pour ce genre d'activité. Les chiffres montrent qu'en 2008, il y avait près de 200 cas impliquant des dépôts clandestins et plus de 40 cas impliquant des collectes frauduleuses de fonds. Le récent cas de Wu Ying a suscité un tollé dans l'opinion, qui conteste le caractère illégal de cette pratique. Wu Ying, 31 ans, ancienne personne morale du groupe Zhejiang Bense Holding, a été arrêtée le 16 mars 2007par la police pour son implication dans des levées de fonds illégales. La Cour populaire intermédiaire de Jinhua, Zhejiang, l'a condamnée à mort pour fraude le 18 décembre 2009, jugement confirmé par la Cour populaire supérieure du Zhejiang le 18 janvier 2012. Cette condamnation à mort a suscité un vif débat public. Sur internet, la majorité écrasante des gens se sont rangés du côté de Wu, estimant que son crime ne justifiait pas une condamnation à mort. La célèbre commentatrice du secteur financier Ye Tan pense que le débat sur la condamnation à mort de Wu est en fait un débat très ancien qui concerne la légalité des prêts privés. Le Premier Ministre Wen a dit le 14 mars que le cas de Wu devait être traité avec soin et sur la base des faits. Il a également déclaré qu'une étude approfondie devrait être faite sur le statut et le principe des prêts du secteur privé afin de superviser strictement ces activités. Il est rare qu'un dirigeant chinois exprime publiquement son opinion sur une affaire de collecte illégale de fonds. L'affaire dépasse déjà le seul cas de Wu Ying. Probablement sous la pression publique, la Cour populaire suprême a décidé, le 20 avril de rejeter la condamnation à mort de Wu Ying et a renvoyé l'affaire devant la Cour populaire supérieure du Zhejiang. « L'expérience de la réforme financière à Wenzhou va ouvrir une fenêtre de tir pour faire entrer le financement privé dans le secteur bancaire, a déclaré Yi Xianrong, chercheur à l'Institut des finances de l'Académie chinoise des sciences sociales. Son importance ne doit pas être sous-estimée pour faire avancer la réforme du marché financier chinois, en particulier la réforme complète du système financier ». Selon Yi, là où les prêts privés sont actifs, les économies locales sont généralement plus développées. La plupart des fonds du secteur privé se sont dirigés vers le marché immobilier, et la plupart de ces fonds viennent en fin de compte du secteur bancaire. Si le prêt privé s'effondre, l'économie du sud-est et des zones côtières sera certes touchée, mais le marché chinois de l'immobilier et le système bancaire dans son ensemble seront aussi très affectés. A l'heure actuelle, l'ampleur des prêts du secteur privé s'élève à 4 billions de yuans (634,92 milliards de dollars), et le montant des prêts clandestins à Wenzhou a dépassé les 120 milliards de yuans (19,05 milliards de dollars). « Les problèmes des prêts du secteur privé sont le résultat d'un contrôle trop strict sur le système financier légal. La priorité à Wenzhou doit être de légaliser les prêts privés actuels et ensuite de réguler les prêts privés en Chine », a déclaré Yi. Dans le plan détaillé pour la réforme financière, Wenzhou propose d'établir des sociétés de microcrédit basées sur des capitaux privés et de leur faire couvrir tous les cantons. Cette année, la ville va mettre en place 30 sociétés du genre dont l'actif net sera de 20 milliards de yuans (3,17 milliards de dollars). Fin 2013, elles seront 100 à Wenzhou, avec un actif net total de 40 milliards de yuans (6,35 milliards de dollars). Zhou Dewen, vice-président de l'Association chinoise des PME, a déclaré qu'encourager l'investissement privé pouvait non seulement consolider le développement de l'économie privée, mais aussi augmenter la contribution de l'économie privée dans le développement économique chinois. Au bénéfice des PME « Légaliser les prêts privés sera bénéfique pour les PME, et permettra de résoudre leurs difficultés de financement dans une certaine mesure », a prédit Cao Fengqi, directeur du Centre de recherche des finances et des valeurs mobilières de l'Université de Beijing. Aujourd'hui, 90 % des entreprises chinoises sont des PME, qui représentent 60 % du PIB, 80 % de l'emploi urbain et 50 % des recettes fiscales du pays. En outre, 65 % des brevets d'invention et 80 % de la R&D sur de nouveaux produits sont le fait de PME. Malgré ces chiffres éloquents, plus de 90 % d'entre elles affirment ne pas réussir à obtenir des crédits auprès des banques, selon un rapport d'enquête sur le développement des PME publié par la Fédération chinoise de l'Industrie et du Commerce en 2011. Selon ce rapport, la raison en est claire : les quatre plus grandes banques commerciales d'Etat ont progressivement réduit les ressources financières des petites et moyennes banques, et ainsi limité leur capacité de prêt aux PME. Par appât du gain et pour éviter les risques, les quatre grandes banques refusent de prêter aux PME. Pour financer leurs activités, les petites et moyennes entreprises se sont donc tournées vers les prêts privés, qui n'ont aucun statut juridique dans le système financier légal. Et c'est ce réseau informel de prêt qui s'est effondré, menant de nombreuses entreprises à la faillite. La présente réforme financière entend par conséquent légaliser ces prêts privés, afin de sauver les PME. La réforme financière de Shenzhen propose deux politiques importantes de soutien aux PME : une offre de prêts favorables aux nouvelles industries stratégiques ainsi qu'aux PME, et l'encouragement d'un système financier multi-marchés et multi-niveaux. Appels à la conception locale Les 12 tâches de la réforme ont été conçues par des unités du gouvernement central, dont la Commission chinoise de contrôle bancaire. Le gouvernement de la ville de Wenzhou et les acteurs du marché tels que les prêteurs et les emprunteurs privés ont été exclus du processus, ce qui conduit à douter de l'efficacité de cette réforme. « Parmi les décideurs, personne n'est réellement prêt à briser le monopole. Car ce n'est qu'en permettant la création de vraies banques privées que cela pourrait arriver », estime un investisseur anonyme cité par le Southern Weekend. Ainsi, Zhou estime qu'il y a là un vrai débat : la réforme doit-elle être conçue par le gouvernement central ou par le gouvernement local ? Pour lui, la question est déjà tranchée, car il est absolument nécessaire d'être à l'écoute des acteurs qui sont sur le terrain, afin de satisfaire leurs désirs. Ma Guangyuan est un autre déçu de la réforme, pour qui elle apparaît bien au-deçà des attentes du marché. Pour ce chercheur à l'Institut de recherches sur les investissements à risque de l'Université de Beijing, les problèmes du secteur financier sont nombreux : briser le monopole, légaliser les prêts privés, et, urgence absolue, libéraliser les taux d'intérêt. La présente réforme ne répond malheureusement à aucune de ces priorités. Une chose est sûre pour Ma, il y a actuellement une fenêtre de tir, et c'est maintenant qu'il faut lancer une importante réforme financière. Les conditions sont réunies pour légaliser les prêts privés, faire entrer les capitaux privés dans les institutions financières publiques, et libéraliser la formation des taux d'intérêt. Lorsque cette fenêtre de tir se refermera, les réformes deviendront plus difficiles à mettre en œuvre.
Beijing Information |