Un plan pour 2012 |
Pour l'économie chinoise, 2012 sera une année pleine d'incertitudes. La Chine devra trouver un équilibre entre le maintien d'une croissance stable, le rééquilibrage de l'économie et la lutte contre l'inflation. Hu Yue
Un porte-conteneurs allemand sur les quais du port de Qingdao, au Shandong (Yu Fanping/Xinhua) Pour l'économie chinoise, 2012 sera une année pleine d'incertitudes. Alors que l'Occident lutte avec une fragile reprise, la croissance des exportations chinoises a marqué le pas, et son avenir paraît sombre. Sur le plan intérieur, beaucoup estiment que le pays est allé trop loin avec son resserrement monétaire, qui pourrait saper la croissance. Cette sombre perspective pèse sur les épaules des décideurs, qui doivent affiner leurs politiques macroéconomiques et orienter l'économie vers une trajectoire stable. En 2012, la Chine suivra des politiques stables et cohérentes, et conservera sa politique monétaire prudente et une politique budgétaire proactive. L'esquisse de cette politique macroéconomique a été tracée lors de la Conférence centrale annuelle sur le travail économique (CEWC), l'un des plus importants sommet économique, tenue du 12 ou 14 décembre à Beijing. A l'issue de la précédente conférence l'an dernier, la Chine avait promis d'adopter une position monétaire prudente pour 2011, marquant une rupture avec la politique modérée adoptée pour contrer la crise financière de 2008. Les malheurs de la croissance « L'économie mondiale est confrontée à de forts vents contraires, avec l'affaiblissement du commerce mondial et les fluctuations des marchés financiers », indique le communiqué de la CEWC. « Parallèlement, les risques de baisse se profilent pour notre économie, et certaines entreprises sont confrontées à des difficultés dans leurs activités, ajoute le communiqué de la conférence. Les pressions inflationnistes demeurent, et le secteur financier fait face à de nombreux dangers potentiels. Cela signifie que la Chine doit rester vigilante sur les incertitudes et préparer des contre-mesures ». L'économie chinoise voit ses exportations baisser, principalement à cause de la crise qui balaie le monde depuis deux ans, et les récentes crises des dettes souveraines. L'agence de notation Standard & Poor a récemment mis 15 pays de la Zone Euro sous « surveillance de crédit » en raison de l'approfondissement de la crise économique et politique dans la région. « Avec la probable récession globale, les exportations chinoises pourraient chuter de 10-12%, détruisant 2,25 points de pourcentage de croissance du PIB, analyse la banque d'investissement suisse UBS dans un récent rapport. En outre, l'effet d'entraînement s'infiltrera dans les investissements et la consommation. » UBS a réduit ses prévisions de croissance pour la Chine en 2011 de 9,3 à 9 % afin de refléter les perspectives plus faibles dans les économies occidentales. Sur le plan intérieur, le moteur de la croissance, si robuste jusqu'à présent, commence à montrer des signes de faiblesse, alors que le gouvernement procède à de vigoureux tours de vis sur le crédit pour combattre l'inflation. Et les premiers à en pâtir, ce sont les PME, qui ont beaucoup plus de mal à obtenir des crédits bancaires que les entreprises d'État. Récemment, la presse a beaucoup parlé de la situation dans la province du Zhejiang, berceau de l'économie privée, où les usines ferment les unes après les autres, et les entrepreneurs se volatilisent dans la nature, laissant derrière eux des ardoises colossales. L'indice des directeurs d'achats (PMI), un baromètre de l'activité manufacturière, a chuté à 49 % en novembre, passant pour la première fois sous la barre d'expansion-récession de 50 % en 33 mois. « À en juger par ce chiffre, la Chine connaît sa période la plus difficile depuis la crise financière mondiale de 2008, et la situation exige que le gouvernement chinois desserre sa politique monétaire », a déclaré Liu Ligang, chercheur chez ANZ Grande Chine. Le China Entrepreneurs Survey System, Institut de recherche relevant du Conseil d'Etat, a récemment mené une enquête auprès de plus de 4000 entreprises du pays. 48,3 % des sondés ont affirmé faire face à d'intenses pressions financières en raison du resserrement des mesures. La Banque populaire de Chine, la banque centrale, a ordonné des hausses de taux d'intérêt à trois reprises cette année et a augmenté le ratio de réserves obligatoires à six reprises. « La demande qui se contracte fait chuter la rentabilité des industries touchées et la confiance des entreprises », a déclaré Peng Wensheng, économiste en chef à la China International Capital Corp. Zheng Xinli, vice-président du Centre chinois pour les échanges économiques internationaux, a déclaré que la CEWC avait envoyé un message clair : la priorité sera d'assurer une croissance stable l'année prochaine. « Les décideurs devraient coordonner leurs politiques monétaires et budgétaires au profit du rééquilibrage économique, et jeter des bases solides pour une croissance soutenue à l'avenir », a-t-il ajouté. Des politiques bien huilées Pour assurer la stabilité économique, le gouvernement central s'est engagé à rendre les politiques plus « ciblées, flexibles et prévoyantes ». « L'objectif est de trouver un équilibre entre le maintien de la croissance, l'approfondissement du rééquilibrage économique et la gestion des prévisions d'inflation », selon la déclaration de la CEWC. « La politique monétaire sera affinée en fonction de la situation réelle, et les politiques budgétaires se concentreront sur la réduction des impôts structurels et d'investissements pour l'amélioration des moyens de subsistance de la population », toujours selon le compte-rendu. La Chine a déjà pris certaines mesures sélectives, orientées vers les petites entreprises, afin d'éviter une profonde récession. La banque centrale a contraint les banques commerciales à faire monter les prêts aux PME à court d'argent et au secteur agricole en difficulté. Durant les trois premiers trimestres, les petites et moyennes entreprises ont reçu 357,03 milliards de dollars de nouveaux prêts, soit 68,4 % de la totalité. Une avancée plus substantielle est survenue le 30 novembre lorsque la banque centrale a annoncé la baisse de 0,5 % du ratio des dépôts que les banques doivent mettre en réserve pour la première fois en trois ans. Cela a été largement perçu comme un signal de changement de politique vers l'assouplissement ciblé. « L'inflation se modère dans le pays, ouvrant une fenêtre de tir pour prendre des mesures et renforcer l'économie », a expliqué Lu Ting, économiste à la Bank of America Merrill Lynch à Hong Kong. Qu Hongbin, chef économiste Chine à la HSBC, estime également que d'autres baisses de ratios sont à prévoir, mais les taux d'intérêt peuvent rester inchangés jusqu'à ce que l'inflation tombe sous les 3 %. « Un vaste assouplissement monétaire n'est pas nécessaire parce que l'exposition de la Chine à la demande extérieure est moindre que lors de la crise de 2008-2009, tout comme sa dépendance aux exportations », a-t-il ajouté. « La force sous-jacente du secteur industriel demeure forte, a-t-il dit. Les décideurs doivent devenir plus souple et surveiller de près la crise des dettes européenne ». Ba Shusong, directeur adjoint de l'Institut de recherches sur les Finances au Centre de recherches pour le développement du Conseil d'Etat, a également souligné qu'il était inapproprié d'adopter des politiques plus agressives, au risque de relancer l'inflation. « Il y a généralement un temps d'attente avant que les effets des ajustements monétaires se fassent ressentir. Une solution plus directe consiste donc à prendre des mesures proactives afin d'éviter un atterrissage brutal de l'économie », a déclaré Liu Tiejun, analyste principal chez Haitong Securities Co à Shanghai. Xia Bin, membre du Comité de politique monétaire de la Banque populaire de Chine et chercheur au Centre de recherches pour le développement du Conseil d'Etat, estime que la clé de la stabilisation de la croissance réside dans le plan budgétaire. « La Chine va pouvoir faire plus de relance budgétaire, comme des réductions d'impôt pour les petites entreprises et les industries stratégiques émergentes, ainsi que davantage d'efforts pour améliorer le filet de sécurité sociale », a-t-il ajouté. Selon Qu, les politiques fiscales devraient jouer un rôle plus important dans la stimulation de l'économie sans provoquer d'inflation. « Le pays a besoin de mettre plus d'investissements dans des projets de logements abordables, l'amélioration des services médicaux et l'éducation », a-t-il estimé. Vers un rééquilibre Alors que la Chine veut rendre sa croissance plus durable, le rééquilibrage économique et l'ajustement structurel deviennent les priorités. La Chine va stimuler la demande intérieure, encourager la consommation, développer la proportion du groupe des personnes à revenu moyen, et favoriser les industries stratégiques émergentes, y compris les technologies de l'information et des nouveaux matériaux, selon le communiqué. Par ailleurs, des efforts continueront d'être déployés pour protéger l'environnement, et améliorer la conservation de l'énergie et les réductions d'émissions. « Le ralentissement a fourni un puissant catalyseur au pays pour accélérer le rééquilibrage économique et se sevrer de la demande extérieure », a déclaré Fan Jianping, économiste en chef au Centre d'Information de l'État. Au lieu de siphonner les prêts et les investissements massifs, comme elle l'a fait en 2009, la Chine devrait accorder davantage d'importance à la recherche d'une croissance plus durable et à l'amélioration des moyens de subsistance des gens. « Par exemple, le gouvernement devrait renforcer les efforts anti-monopoles et encourager les investissements privés en ouvrant des secteurs contrôlés par l'Etat », a déclaré Fan. Le processus de transformation du modèle de croissance est déjà établi. Le 12ème plan quinquennal (2011-2015) promet de vigoureux efforts pour propulser la consommation, développer le secteur des services et éliminer les entreprises polluantes et énergivores. En septembre, le palier pour l'impôt sur le revenu personnel est passé de 2000 à 3500 yuans, afin de soutenir la croissance des salaires et la consommation de carburant. Le Crédit Suisse s'attend à ce que la part de la Chine dans la consommation mondiale passe de 5,2 % (1,72 billions de dollars) en 2009 à 23,1 % (15,94 billions de dollars) en 2020, dépassant les Etats-Unis comme le plus grand marché de consommation au monde. Parallèlement, le ministère du Commerce a récemment publié un plan quinquennal pour le secteur des services, en promettant de généreuses incitations, y compris des politiques fiscales favorables et une aide financière. La surcapacité industrielle est également en train de diminuer. Plus tôt cette année, la Chine a publié des plans pour éliminer 31,22 millions de tonnes de fer de capacités de production arriérées, et 31,22 millions de tonnes de capacités de production de ciment. À la fin septembre, le pays a rempli 90 % de ses objectifs, a déclaré Miao Wei, ministre de l'Industrie et de l'Information, lors d'une conférence de presse en novembre. Les industries économes en énergie et respectueuses de l'environnement ont donc davantage le champ libre. Dans sa tentative de réduire sa dépendance aux combustibles fossiles, la Chine a fait de nombreux progrès dans l'éolien et le solaire. « Le rééquilibrage économique devrait être une tâche à long terme pour la Chine, et ce quel que soit l'environnement externe auquel elle est confrontée, a déclaré Wang Tao, chef économiste Chine chez UBS. La clé est d'approfondir les réformes du marché et de libéraliser les prix de plusieurs facteurs élémentaires comme l'énergie, les terrains et les taux d'intérêt. Il est nécessaire de permettre aux marchés de jouer un rôle prépondérant dans la promotion du rééquilibrage ». Stephen Roach, président non-exécutif de Morgan Stanley Asie, a déclaré que la Chine devrait se concentrer sur la création d'emplois dans les services, stimuler la croissance du revenu par un vaste mouvement d'urbanisation, et améliorer la protection sociale, notamment en investissant dans la sécurité sociale, les pensions privées et l'assurance santé. Justin Yifu Lin, économiste en chef et premier vice-président de la Banque mondiale, estime que la Chine a le potentiel pour connaître encore deux décennies de croissance à 8 %. « Cependant, elle fait face à des défis dans la réalisation de cet objectif en raison d'un triple déséquilibre : une consommation relativement faible, des inégalités de revenus et un environnement dégradé », a-t-il nuancé. « Pour répondre à ces préoccupations, il est impératif de supprimer les distorsions dans les finances, les ressources naturelles et le secteur des services. Car pour le moment, seuls les riches citoyens et les grosses entreprises ont le pouvoir et accès au crédit, au détriment des autres classes », a-t-il ajouté. Justin Yifu Lin a également déclaré que ces changements devraient inclure le développement de petites institutions financières locales, et la promotion de la concurrence dans les télécommunications, l'énergie et les secteurs financiers.
La peur de l'inflation L'inflation demeure un casse-tête pour l'économie, même si elle est aujourd'hui modérée. « Les pressions à la hausse sur les prix à la consommation ne faiblissent pas, et nous allons continuer à prendre des mesures globales pour empêcher l'inflation de rebondir », fait savoir la déclaration de la CEWC. L'IPC est toujours largement conduit par les prix alimentaires, qui ont bondi de 8,8 % en novembre par rapport à la même période l'année dernière. Le prix du porc, en particulier, a augmenté de 26,5 %. L'indice des prix producteurs (IPP) a légèrement progressé de 2,7 % en novembre, 2,3 % de moins qu'en octobre. Pour Shen Jianguang, chef économiste Grande Chine chez Mizuho Securities Asia Ltd, la baisse de l'IPC est due à trois facteurs principaux : un environnement de resserrement monétaire, la baisse des prix internationaux des matières premières et l'augmentation des approvisionnements intérieurs en produits agricoles. Les décideurs politiques ont fait feu de tout bois pour dompter l'inflation. Le gouvernement a distribué des subventions aux agriculteurs dans les régions productrices de blé, a renforcé la supervision des prix et la lutte contre la spéculation. Wang Jian, secrétaire général de la Société chinoise de macroéconomie, dépendant de la Commission nationale pour le développement et la réforme, a déclaré que, si l'inflation était moins nerveuse, elle n'avait pas pour autant disparu. « Le cycle de baisse des prix reste encore à établir, a-t-il dit. La tendance future dépendra en grande partie des prix des produits internationaux et de savoir si la Chine connaîtra une bonne récolte de céréales l'an prochain ». Wang estime que le taux d'inflation devrait rester autour des 5 % en 2012 en raison des pressions persistantes sur l'augmentation des coûts des terrains et du travail. Zhang Yongjun, chercheur au Centre chinois pour les échanges économiques internationaux, a également appelé à la prudence. « Les effets retardés de la frénésie de l'emprunt il y a deux ans diminuent, permettant à l'inflation de se calmer, a-t-il dit. Mais l'inflation pourrait repartir si les Etats-Unis annonçaient un troisième cycle d'assouplissement quantitatif ». « Le défi pour les décideurs consiste à adopter des mesures qui stimulent la demande intérieure et à relâcher les contrôles de crédit, sans alimenter l'inflation et les bulles des prix », a déclaré Jing Ulrich, présidente de JP Morgan pour les marchés mondiaux.
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