Cinéma : des coproductions sino-étrangères |
Tang Yuankai
Peu après le début du tournage du dernier opus Zhang Yimou, Christian Bale, qui y tient le premier rôle, est rentré aux Etats-Unis chercher son Oscar. « Tous les cinéphiles de la planète attendent avec impatience de voir la star hollywoodienne dans un film chinois », s'est exclamé Zhang Weiping, qui finance les films de Zhang Yimou ces dix dernières années. Le budget de ce nouveau film est colossal : l'équivalent de ceux de Hero, Le Secret des poignards volants et La Cité interdite cumulés ! Un autre Américain, Joss Williams, a également été embauché pour superviser les effets spéciaux. « Nous avons mis de gros moyens pour faire venir les meilleurs spécialistes mondiaux du septième art. Nous espérons pouvoir sortir une superproduction internationale. Les spectateurs ne s'y tromperont pas, ils récompenseront nos efforts », a déclaré Zhang Yimou. Et le réalisateur chinois l'assure, ce nouveau film ne se contente pas de porter l'étiquette « coproduction » ou « international ». Le rôle incarné par Bale n'est pas un personnage fantoche, il incarne la rédemption, l'internationalisme et l'altruisme. « J'ai reçu le scénario en 2007. Il raconte la vie de treize prostituées qui risquent leur vie pour sauver une dizaine d'écolières dans le contexte du massacre de Nankin, pendant la guerre de résistance contre l'envahisseur japonais. L'histoire du film est assez singulière, et arrive à mettre en valeur l'esprit de notre Nation. Depuis ces quatre dernières années, nous retravaillons sans cesse le synopsis. Le premier rôle masculin est un étranger, c'est pourquoi nous avons invité un acteur hollywoodien », explique Zhang Yimou. Christian Bale connaît bien la Chine. En 1987, il y a tourné L'Empire du soleil, réalisé par Steven Spielberg. « A l'époque, les Américains n'ont tourné que quelques séquences hors du studio. Lors du tournage, le Bund a été fermé pendant un mois, et 1 300 climatiseurs d'un bâtiment ont été provisoirement démontés. Cela est tout bonnement inimaginable aujourd'hui », a rappelé Ren Zhonglun, président de la Shanghai Film Group Corporation (SFG). Vingt années se sont écoulées. En 2007, le tournage de La Momie : la Tombe de l'Empereur Dragon a impliqué la participation de la même compagnie chinoise. « Cette coproduction n'en porte que le nom, a poursuivi Ren. Nous étions producteur de ce film pour le marché chinois. Notre travail s'est borné à l'assistance au tournage de quelques séquences. Tout le reste a été fait par les Américains ». Depuis deux ou trois ans, les films coproduits entrent dans une nouvelle phase, les cinéastes chinois étant de plus en plus à l'origine du scénario. « Auparavant, les coproductions étaient seulement caractérisées par une superposition des ressources financières, humaines et matérielles. Mais cette année, les sponsors chinois et étrangers commencent à travailler ensemble sur la rédaction du scénario, le contexte de l'histoire et le déroulement de l'intrigue », a indiqué Zhang Xun, PDG de la CFCC (China Film Co-Production Corporation). Ces dernières années, le nombre de films coproduits augmente de 10 % par an ; 30 % pour 2011. Le marché est aussi sur de bons rails. Affinité prédestinée Récemment, le grand producteur Mike Medavoy est venu à Shanghai. Il a déclaré avec Ren Zhonglun qu'ils allaient porter à l'écran A Jewish Piano, un roman de Beila, femme écrivain chinois résidant à l'étranger. Un film éponyme et un feuilleton seront tournés en même temps. Né des parents juifs qui ont trouvé asile à Shanghai pendant la Seconde Guerre Mondiale, Mike Medavoy y a vu son premier film. A l'âge de 12 ans, son père l'a rejoint avec sa grand-mère. Son travail de mécanicien auto lui permettait de mener une vie de classe moyenne. Depuis, sur les 300 films qu'il a produits, sept ont remporté l'Oscar du meilleur film, dont Vol au-dessus d'un nid de coucou, Amadeus, Platoon, Danse avec les loups, et Le Silence des agneaux. Pour cet homme, produire un film sur la vie des réfugiés juifs à Shanghai était une évidence, voir une mission. Le hasard a voulu que la SFG envisage de porter à l'écran A Jewish Piano, et cherche un partenaire pour réaliser ce projet. « A la première rencontre avec Medavoy, nous nous sommes compris. Il était évident qu'il était le collaborateur idéal », a dit Ren Zhonglun. Le roman raconte une émouvante histoire d'amour qui se déroule à Shanghai, où des juifs européens se réfugient pendant l'invasion japonaise. Le feuilleton qui sera réalisé en parallèle est l'adaptation d'une idée de la scénariste américaine Daniella Kuhn, et aborde d'une manière plus détaillée la vie et le parcours des Juifs à Shanghai. Actuellement, une équipe de tournage composée d'Américains et d'Européens a déjà été mise en place. Les acteurs, les costumes, ou les photographes viennent tous de différents pays et régions. A cela s'ajoute la participation de célèbres scénaristes américains comme Nicholas Meyer. « Je souhaite que notre film soit apprécié tant par les lecteurs du roman que par les spectateurs qui ne le connaissent pas », explique Mike Medavoy. D'après lui, les Chinois ne sont pas les seuls capables d'écrire une histoire qui se passe en Chine. « En lisant des livres et des documents, les étrangers peuvent également connaître l'histoire et la culture de la Chine de l'époque. De plus, le septième art est déjà de plus en plus internationalisé ». Et le président Ren laisse entendre que la découverte de certains documentaires réalisés par des reporters étrangers à ce moment en Chine pourra aider le tournage du film. « A travers cette coopération, nos collègues chinois auront l'occasion de beaucoup apprendre », ajoute le producteur américain. « J'éprouve même une certaine peur, car on attend beaucoup de moi. De plus, mon amour pour Shanghai me contraint de faire un excellent film, a avoué Mike Medavoy, lors d'une conférence de presse tenue à Shanghai. Avant de prendre l'avion, j'ai passé un coup de fil à ma mère. Elle m'a supplié de l'emmener avec moi. Mais j'ai refusé, en raison de son grand âge. Furieuse, elle m'a raccroché au nez… Je souhaite qu'elle puisse vivre jusqu'à ce que le film sorte ». Gagnant-gagnant « Actuellement, de plus en plus de cinéastes étrangers s'intéressent à la politique chinoise en matière de coproduction. Ils essaient tous de travailler avec nous », affirme Mme Zhang Xun, PDG de la CFCC (China Film Co-production Corporation). Fondée en 1979, sa compagnie a réussi à coproduire 800 fictions avec des producteurs ou des sociétés d'une trentaine de pays, ainsi que de Hongkong, de Macao et de Taiwan, tout en les aidant à tourner 700 court-métrages de diverses catégories. « Auparavant, nous prenions l'initiative de chercher des opportunités de coproduction, alors que maintenant, de plus en plus de cinéastes étrangers viennent nous proposer des projets », explique-t-elle. D'après elle, l'essor de la coproduction a deux raisons : d'une part, les cinéastes étrangers découvrent l'émergence des opportunités sur le marché chinois du septième art (10 milliards de yuans de box-office l'année dernière) ; d'autre part, la politique chinoise s'est considérablement assouplie ces deux dernières années. D'après l' « Accord sur la coproduction » que la Chine a signé avec certains pays, les films coproduits peuvent bénéficier, et en Chine et dans les pays concerné, du même traitement que les films nationaux, comme le soutien financier du gouvernement, et la simplification des formalités d'accès au marché (ces films peuvent être projetés en tant que films nationaux). « L'année dernière, j'ai accompagné le président français Nicolas Sarkozy à Beijing lors de sa visite en Chine. C'est à cette occasion que la Chine et la France ont signé un accord sur la coproduction cinématographique », raconte Eric Garandeau, président du Centre national du cinéma et de l'image animée de France. « En un an, la Chine et la France ont tourné plusieurs films ensemble. Ils ont à la fois une identité française en France et une identité chinoise en Chine. On peut dire qu'il s'agit d'un événement historique ». C'est aussi l'année dernière qu'un accord du même genre a été conclu entre la Chine et Singapour. « Grâce à cet accord, les films sino-singapouriens ne sont plus soumis aux quotas d'importations lors de leur projection en Chine. De plus, ils pourront bénéficier au Singapour d'une aide gouvernementale et du soutien financier de 1,5 milliard de dollars d'un fond de médias privé singapourien », explique Christopher Chia, président de l'Autorité de développement des médias (MDA). Les négociations sur l'accord de coproduction sino-singapourien ont débuté fin 2008 et ont duré un an et demi. D'après ce document, un pays tiers, qui a déjà signé avec la Chine ou Singapour un accord du même genre, pourra participer à la production de films sino-singapouriens. Singapour est le premier pays asiatique à avoir signé un tel document avec la Chine, et le sixième pays après l'Australie, l'Italie, le Canada, la France et la Nouvelle-Zélande. Interactions « Coproduire des films peut être considéré comme un processus d'apprentissage réciproque et de respect mutuel », dit Zhang Xun. Lors du tournage de The Dragon Pearl, l'équipe australienne a pris en considération l'avis de la partie chinoise sur la couleur du dragon, alors que l'équipe chinoise a laissé à leurs collaborateurs australiens déterminer la chorégraphie du dragon. « A cause de la différence culturelle, nous n'avons pas les mêmes valeurs et les mêmes visions esthétiques. Il en résulte des malentendus sur la culture de l'autre. A vrai dire, la coproduction n'est pas une simple combinaison de deux cultures. Il faut beaucoup de communication et de compréhension ». Zhang n'est pas favorable à transplanter mécaniquement dans les films coproduits certaines idées ou intrigues déjà réussies dans d'autres pays. « Les faits prouvent que ce genre de productions subissent souvent un échec sur le marché chinois », affirme-t-il. Selon Zhang, les cinéastes chinois sont encouragés à rédiger conjointement le scénario avec leurs partenaires étrangers. Cela permet de mieux intégrer les différents concepts et de mieux exploiter le marché de distribution. « Pour Looper, un film financé à la fois par la Chine et les Etats-Unis, la partie chinoise s'engage dans une série d'opérations comme la préparation, la rédaction du scénario, le casting, le tournage et la production, au lieu de se limiter à une simple coopération financière », a dit Dan Mintz, président de DMG, une compagnie chargée d'introduire des films étrangers en Chine. « Die for Marriage, premier long métrage chinois sorti en 1913, est une coproduction sino-américaine », indique Christopher J.Dold, président de l'Association américaine du cinéma. Selon lui, bien que la coopération entre les deux pays au niveau du septième art ait connu beaucoup de vicissitude, le cinéma chinois devient une industrie assez mûre, le partenariat entre les cinéastes des deux pays gagne du terrain. La Chine a une philosophie longue et profonde, elle doit profiter des techniques avancées pour faire connaître sa culture à davantage de spectateurs. « Nous sommes très favorables au programme de développement de l'industrie cinématographique chinoise, une clause inclue dans le 12e plan quinquennal. Nous voulons jouer un rôle plus important ». Selon Bennett Walsh, producteur de Kill Bill, Hollywood et les cinéastes chinois doivent trouver un point d'équilibre pour que les deux parties s'engagent pleinement dans la coopération au niveau du commerce et de l'emploi des éléments chinois lors de la création artistique. Sur les 47 films chinois vendus à plus de 60 pays et régions l'année dernière, 46 sont des coproductions sino-étrangères. « La rentabilité des films chinois augmente très rapidement. Leur box-office dépasse déjà les 100 millions de dollars, et va bientôt franchir le seuil de 200 millions », a dit Wang Zhongjun, président de Huayi Bros. Media Group. Selon lui, il est maintenant facile de réunir instantanément les fonds nécessaires pour un bon projet de coproduction. Le plus important, c'est de trouver des talents. Un point de vue partagé par Yu Dong, président de Bona Film Group. Celui-ci a indiqué que dans l'avenir, les films coproduits en anglais seront la première branche d'investissement pour le cinéma chinois. « Ces dernières années, les coproductions sino-étrangères font preuve d'un dynamisme et d'une innovation sans précédent », conclut Mme Zhang Xun.
Beijing Information
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