L’économie mondiale déstabilisée par le séisme japonais ? |
Mei Xinyu (chercheur adjoint à l'Institut de coopération commerciale et économique internationale du Ministère du Commerce)
En raison de la puissance industrielle, des fortes exportations et de la richesse en capitaux du Japon, le grand séisme qui a frappé l'île asiatique a fait trembler l'ensemble du système économique mondial. Le Japon joue un rôle clé dans la fabrication de produits intermédiaires, et constitue le principal approvisionneur de pièces d'équipements dans le secteur manufacturier avancé, notamment dans l'automobile et l'électronique. La récente catastrophe a donc mené à la suspension de certaines productions et à l'augmentation des prix. Même si les régions prospères de Tokyo-Yokohama et d'Osaka-Kobe n'ont pas été les plus touchées, des facteurs d'incertitudes comme les répliques successives, la destruction d'infrastructures, les coupures d'électricité et la dispersion de particules radioactives provoquée par l'accident dans la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, ont entraîné la fermeture des usines de certaines régions. En ce qui concerne l'industrie électronique, les conséquences du séisme sont les suivantes : Les matières premières japonaises pèsent pour 70 % du marché mondial de l'électronique. Les principaux centres de production se trouvent dans des régions épargnées, comme Kansai, Kyushu et Shikoku. Des entreprises japonaises telles que Hitachi Chemical, ADEKA, JX Holdings et Nippon Kasei Chemical ont eu moins de chance, et ont été contraintes de fermer leurs unités de production. Par ailleurs, bon nombre d'usines ont également suspendu la production en raison des coupures d'électricité. Le Japon est le premier fabricant mondial de film conducteur anisotrope ACF, composant des écrans à cristaux liquides LCD. Les usines de Hitachi Chemical, qui produisent plus de 50 % des ACF, se situent à Yachiyo. Actuellement, plus de 40 % de l'ACF utilisé par des marques célèbres comme Samsung, LG, AUO, CMO and Sharp proviennent de chez Hitachi Chemical. Si les usines venaient à s'arrêter, la production des écrans LCD en serait fortement influencée. Shin-Etsu et SUMCO fournissent la moitié des semi-conducteurs dans le monde. Les régions les plus touchées comme Miyagi, Iwate, Akita et Fukushima abritent 18 usines de wafer en silicone, dont la capacité de production mensuelle est de 390 000 unités, soit 4 % du marché mondial. Pour cette raison, les fabricants de semi-conducteurs doivent s'approvisionner chez des fournisseurs étrangers comme WACKER ou MEMC, ce qui fait monter les prix. Le Japon est le premier producteur d'équipements pour la fabrication de semi-conducteurs et d'écrans. Quant aux équipements de photolithographie, à part la société hollandaise ASML, ces produits sont tous fabriqués au Japon, par Nikon, Canon ou NSK notamment. L'usine de machines de précision de Nikon se trouve dans les districts de Miyagi et de Tochigi. Plusieurs usines de Canon, qui produisent des semi-conducteurs et des écrans se situent à Tochigi et à Ibaraki. Toutes ces informations témoignent du rôle crucial que joue le Japon en matière d'industrie manufacturière avancée. A court de pièces de rechange japonaises, General Motors a été obligé de suspendre la production de trois de ses usines, aux Etats-Unis, en Allemagne et en Espagne. Par ailleurs, la production automobile mensuelle de Renault en Corée du Sud a chuté de 15 à 20 %. D'autres produits comme l'Ipad 2, et le Boeing 787 font également face à une pénurie de pièces clés. Même dans les secteurs épargnés par le séisme, les prix ont augmenté en raison de la panique. Sur le marché de la mémoire informatique, les usines des deux principaux fabricants, Elpida pour la DRAM et Toshiba pour la NAND Flash, se trouvent respectivement à Hiroshima (sud du Japon) et à Nagoya (centre du Japon), loin des régions les plus frappées. Cependant, dès le lendemain de la catastrophe, presque tous les fournisseurs ont préféré constituer des stocks, engendrant une hausse des prix. Certains détaillants ont augmenté leurs prix de 0,3 à 0,5 dollar par unité. Et cette hausse des prix a également touché la Chine et d'autres grands pays. Deux ou trois jours après le séisme, les prix avaient été gonflés de 20% dans de nombreux magasins. Afin de pallier cette pénurie, de nombreuses entreprises se sont tournées vers les fournisseurs d'autres pays. En outre, afin de redorer leur réputation, de nombreuses entreprises japonaises ont transféré une partie de leur production vers leurs usines d'outre-mer afin de réaliser des livraisons ponctuelles. Cela déclenche une nouvelle série de restructurations industrielles en Asie de l'Est. Sur les marchés de change, le tremblement de terre a fortement affecté le taux de change du yen, la monnaie japonaise. Pour les pays ayant peu d'actifs étrangers, une telle catastrophe naturelle affecte sérieusement leur capacité de production réelle et la richesse du pays. S'il s'agit d'une mauvaise nouvelle pour la valeur du yen, pour le Japon, qui possède de nombreux actifs à l'étranger, en particulier les investissements de ses compagnies d'assurance, le séisme est plutôt positif pour le yen à court terme. Beaucoup de gens prédisent que les assureurs japonais vont vendre leurs actifs à l'étranger pour acheter du yen, et satisfaire aux besoins de la reconstruction. Mais dans les faits, les entreprises japonaises ne seront pas reconstruites en totalité, car bon nombre d'entre elles espèrent transférer une partie de leurs capacités de production à l'étranger. Et certaines ont d'ores et déjà renoncé à reconstruire sur l'île, ce qui constitue une mauvaise nouvelle pour la monnaie japonaise. Sur les marchés des marchandises en vrac, les effets à court et moyen termes seront différents mais contraire à ceux pour le yen : d'abord mauvais puis meilleurs. En outre, la pression inflationniste ne doit pas être négligée. Le séisme a entraîné une chute des prix des matières premières et une aggravation de l'inflation mondiale. En tant que grande puissance industrielle, l'arrêt de la production à grande échelle au Japon suscite une forte baisse de la demande en énergie et en matières premières. On estime que l'arrêt de la production des sidérurgistes japonais se traduit par une diminution de 22 millions de tonnes de la demande de minerais de fer. Par conséquent, à la suite du tremblement de terre, le prix du pétrole, qui était monté en flèche en raison de la crise dans le monde arabe, notamment la guerre en Libye, a commencé à baisser. Et le prix du minerais de fer a chuté de 200 à 170 dollars la tonne en deux jours. Même si le marché prévoit une énorme demande d'acier liée à la reconstruction du Japon, la confiance des investisseurs et des commerçants n'a pas été pleinement rétablie. Cependant, au fur et à mesure de la reconstruction, les prix de certains produits en vrac vont probablement augmenter, en particulier celui du pétrole. Si la voix des anti-nucléaires est assez forte pour ralentir le développement de cette énergie, les prix du pétrole vont sûrement flamber. En outre, si la guerre en Libye, qui prend une tournure internationale, se poursuit et détériore la situation du monde arabe, la hausse des prix n'en sera que plus forte. Le financement à grande échelle de la banque centrale japonaise risque de produire une bulle inflationniste. Le 14 mars, le Japon a décidé de verser 18 000 milliards de yens (223 milliards de dollars) afin de stabiliser le marché monétaire à court terme, soit le plus important versement en état d'urgence. Le Japon a également décidé d'injecter temporairement 41 milliards de yens (508 millions de dollars) dans le système bancaire à travers le pays. Par la suite, une série de nouvelles mesures de financement ont été réalisées. De 2008 à 2009, au pire moment de la crise financière mondiale, une série de mesures anti-crises prises par de nombreux pays ont directement entraîné une inflation mondiale et les bulles des marchés émergents depuis début 2010. Alors, quels effets les mesures d'urgence japonaises produiront-elles ? Le Japon est depuis longtemps l'un des principaux exportateurs de capitaux sur le marché financier mondial. Sa liquidité excessive finira par se répandre à travers le monde. Ce n'est qu'une question de temps.
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