En Chine, l’alcool coule à flot |
Avec l'amélioration du pouvoir d'achat des Chinois et la formation d'une frange riche de la société, les fabricants d'alcools haut de gamme, Moutai ou autre Wuliangye, se frottent les mains. Parallèlement, les collectionneurs de grands crus se multiplient, ayant repéré une belle source de profit. Lan Xinzhen
Lors de la fête du Printemps, le Noël chinois, l'alcool coule à flot dans les foyers de Chine. Aussi, il est de bon ton d'offrir une bonne bouteille à ses proches. « Chaque année, les ventes d'alcool explosent à la veille de la fête du Printemps. Et d'ailleurs, le prix des bouteilles aussi ! En fait, la crise financière n'aura épargné qu'un secteur : celui des spiritueux », a déclaré Li Mei, vendeur dans un supermarché Shuntianfu. On dénombre actuellement plus de 8 800 producteurs d'alcool en Chine, y compris des entreprises publiques, des joint-ventures à capitaux mixtes et des entreprises privées. Ils fabriquent des produits sous 10 000 marques, dont les prix varient de moins de 10 yuans à plus de 1 000 yuans la bouteille. Selon l'Association nationale de l'industrie des boissons alcoolisées, au premier semestre 2010, 4 millions de kilolitres d'alcool avaient été produits, en hausse de 23,1% en base annuelle, réalisant un profit total de 18 milliards de yuans, en hausse de 45,18% sur un an. Les profits ont réalisé une croissance record depuis 10 ans. Et si les statistiques du second semestre n'ont pas encore été publiées, il y a fort à parier que la hausse des ventes se poursuivra. Produit de luxe Une bouteille de Moutai est vendue 1 800 yuans, soit plus que le salaire mensuel des Chinois à faible revenu. Néanmoins, la demande pour cette marque ne faiblit pas, et de nombreux supermarchés sont en rupture de stock. Une vingtaine de marques se partagent le marché haut de gamme, caractérisé par un prix supérieur à 500 yuans la bouteille. Un marché qui se porte bien. Toujours selon l'Association nationale de l'industrie des boissons alcoolisées, les banquets et les dîners d'affaires sont les principales occasions pour consommer des alcools haut de gamme. 70% des bouteilles de marque ont été achetées par des administrations et des entreprises, seulement 19% par les particuliers, et 11% ont été achetées pour être offertes ou pour être servies à l'occasion de repas de noces. Ces chiffres montrent que le marché est principalement réservé aux classes aisées, ce qui fait de ces bouteilles des produits de luxe. Les Chinois plus modestes ne peuvent se permettre de telles dépenses. Pour Zhong Dajun, directeur du Centre d'études et d'observation économique de l'Université de Beijing, l'essor économique durable du pays a amélioré la consommation des Chinois. De plus en plus de gens riches deviennent consommateurs de produits de haut de gamme, phénomène inévitable au cours du développement économique. Aucun produit chinois n'a encore été étiqueté « produit de luxe », catégorie jusqu'à présent réservées à des produits de marques étrangères. Zhu Mingxia, directrice du Centre de recherche des produits de luxe de Xiangqi de l'Université des Relations économiques et commerciales avec l'Etranger, parie que les alcools deviendront les premiers produits de luxe chinois. Mme Zhu a établi une liste de six catégories de produits chinois susceptibles de devenir des produits de luxe mondiaux : porcelaine, alcool, soie, thé, bijoux et vêtements. A l'échelle mondiale, le luxe concerne principalement les vêtements et les produits de beauté, des secteurs dans lesquels la Chine n'excelle pas, tout comme dans ceux des produits sophistiqués tels que l'automobile, l'horlogerie et le yacht. « Dans ce cas, l'alcool chinois, grâce à sa longue histoire, pourra devenir un produit de luxe au niveau international », a prédit Zhu Mingxia. Selon la chercheur, parmi tous les alcools chinois, Moutai et Wuliangye tirent leur épingle du jeu : excellente qualité, rareté, singularité, longue histoire et marque légendaire. Lors de l'Expo universelle de Panama en 1915, le Moutai avait été élu deuxième alcool mondial. « La réputation de ces produits n'est pas attribuée aux procédés de fabrication, mais à leur influence culturelle et nationale », a-t-elle précisé. Produit d'investissement Lors d'une vente aux enchères le 5 septembre dernier, une bouteille d'alcool de 4 750 ml conservée par le groupe Fenjiu a été vendue 2,09 millions de yuans. Le 13 décembre, une bouteille de Moutai de 1958, achetée 4,2 yuans, a été adjugée à 1,456 million de yuans, battant le record aux enchères pour cette marque. Six jours plus tard, une bouteille de Wuliangye de 9,9999 kg, chiffre faste en Chine, a été négociée à 5,088 millions de yuans. La tendance est perceptible : les prix augmentent avec l'ancienneté de la bouteille. Ge Hua, directeur adjoint permanent de l'Institut national de la Culture internationale d'alcool, rappelle que le marché des alcools communs a également connu une forte hausse. Il y a deux ou trois décennies, une bouteille ordinaire ne coûtait que trois yuans, mais aujourd'hui, elle peut être revendue à un prix mille, voire même dix mille fois plus élevé. D'après Ge Hua, le marché chinois des spiritueux est jeune, et connaitra bientôt un plein essor. Tout d'abord, les réserves de bouteilles anciennes vont diminuer. De plus, les collectionneurs seront toujours plus nombreux, et contribueront donc à faire flamber le marché. Dans ce contexte, l'alcool a de beaux jours devant lui... Si les vieilles bouteilles ont été valorisées, les nouvelles marques ne sont pas en reste. Le 1er janvier, le groupe Moutai a officiellement augmenté ses prix d'usine d'environ 20%. Par exemple, le prix du Moutai 53°est passé de 499 à 619 yuans la bouteille. L'entreprise a proposé un prix maximum de vente au détail de 959 yuans la bouteille, mais en réalité ce chiffre a déjà dépassé les 1 800 yuans suite aux spéculations sur le marché. Avec tous ces indicateurs au vert, certaines analystes voient dans l'alcool un bon investissement. « Investir dans du Moutai sera plus rentable que l'immobilier ou l'or ». Certains détaillants n'hésitent pas à dire que la valeur de bouteilles haut de gamme peut doubler en cinq à dix ans. Peng Jian, conseiller financier de la Banque de Construction de Chine, nuance et met en garde contre des investissements aveugles. D'après lui, l'alcool est un produit de consommation, mais le garder en attendant qu'il se valorise peut être dangereux, car ce produit n'est pas facile à revendre. A l'heure actuelle, les spiritueux ne sont pas négociables chez la plupart des prêteurs sur gages. Ainsi, la revente ne peut s'effectuer qu'auprès des petits magasins, à des prix nettement inférieurs à ceux du marché. L'avenir de l'alcool chinois Des analyses montrent qu'en 2015, la production totale des boissons alcoolisées atteindra les 868,84 millions de yuans. La croissance annuelle des revenus des brasseurs d'alcool chinois sera de 27,7%, et celle des bénéfices, 34,2%. Ces deux indices sont supérieurs au niveau de croissance de l'ensemble des industries du pays pour les cinq prochaines années. A l'heure actuelle, il existe en Chine 15 producteurs d'alcool cotés en bourse, dont le volume des ventes représente plus de 90% du marché. Sur le marché boursier A, les actions les plus chères sont celles des producteurs d'alcool. Jusqu'au 18 janvier, l'action Yanghe Brewery culminait à 212,33 yuans, et celle de Moutai, à 182,56 yuans, les classant en tête. Mais ces alcools doivent désormais affronter la concurrence du vin. Selon Xu Biao, analyste chez CITIC Securities, l'augmentation des revenus des Chinois et l'apparition d'une classe moyenne ont fait évoluer le comportement des consommateurs. Ainsi, dans les rayons, les Chinois font désormais plus attention à la marque des bouteilles, à la qualité et au service. Et, pour le moment, c'est le vin qui répond le mieux à ces exigences des consommateurs.
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