Les secrets de fabrication de la vuvuzela |
Jiang Xiajuan est une femme ordinaire de la province du Zhejiang, incapable de citer le nom d'un footballeur, et qui d'ailleurs ne connaît même pas les règles du jeu. Quand elle façonne des trompettes dans l'atelier, ses conversations ne tournent qu'autour des membres de sa famille. Jiang ignore que les cornes d'environ un mètre de long qu'elle sculpte tous les jours portent cet étrange nom de vuvuzela, et jamais elle n'aurait imaginé que ces produits en plastique bourdonneraient lors des matchs de la coupe du monde en Afrique du Sud. Cet été, la vuvuzela fait l'objet de l'attention de toute la planète, plongeant les mordus de football au cœur d'un gigantesque essaim d'abeilles. Cependant, pour Jiang Xiajuan âgée de 45 ans, les cornes ne sont qu'un boulot, qui lui rapporte six yuans de l'heure. Et le 25 juin, dans cette cour du village Dalu, district Ninghai, à Ningbo (province du Zhejiang), Jiang fabrique des vuvuzelas comme d'habitude, tout en bavardant avec ses collègues. Un modeste atelier L'usine des produits en plastique Jiying qui emploie Jiang occupe seulement quelques pièces que le patron Wu Yijun a détachées de son appartement. Les employés sont pour la plupart des voisins et des proches du patron. L'atelier de Wu Yijun ne diffère en rien des immeubles voisins, si ce n'est l'attroupement de journalistes qui se pressent devant sa porte. Aussi, peu de visiteurs ont pu imaginer que la plus importante « base de production » de vuvuzelas se trouvait dans un lieu si minuscule. Les trompettes qui font le malheur des tympans en Afrique s'avèrent assez rustiques, entassées dans des coffres ou sacs tressés usés. Elles attendent tranquillement le long voyage. Hormis ces deux ouvriers venus du Yunnan, tous les employés sont de la région, principalement des femmes. Avec les incessantes visites des journalistes chinois et étrangers, ces femmes qui ne s'intéressaient jamais au ballon rond commencent à jeter un œil au poste de télévision. Quand la caméra s'arrête sur les supporters, Wu Jinyan, âgée de 31 ans, s'écrie : voilà les trompettes que nous fabriquons ! Devant la caméra de journalistes étrangers, elle ironise : « nos trompettes ont été qualifiées, mais pas l'équipe chinoise ! » Hasard de la création Lorsqu'il ne reçoit pas de visiteurs ou de marchands, Wu Yijun traite les commandes dans son petit bureau. Le patron travaille dans le plastique depuis son plus jeune âge, et si les affaires sont bonnes aujourd'hui, ce même plastique lui a coûté sa main gauche dans un accident de machine, à l'âge de 19 ans. Mais peu le savent, Wu cache toujours sa main gauche dans la poche. L'idée lui est venue en 2001, en regardant une image sur laquelle un Africain d'une tribu primitive tient une corne longue en dansant. La légende disait : trompette en bambou, utilisée pour chasser les orangs-outans. « Pourrait-on la transformer en trompette pour les fans de foot », s'est demandé Wu. Il a fabriqué des modèles en plastique noir, reproduisant les nœuds du bambou. S'intéressant à tous les objets sonores à ce moment-là, il a imaginé beaucoup d'autres formes de trompettes, dont les échantillons ont été envoyés, avec les vuvuzelas noirs, aux marchés de Yiwu (un des plus grands centres d'exportation de marchandises de consommation courante en Chine) et à la Foire de Canton (Foire d'import-export de Chine), et dont les photos sont affichées sur le site Internet Alibaba. Volume de vente inattendu Wu Yijun espérait gagner beaucoup lors de la Coupe du Monde 2006 en Allemagne, mais peu de gens s'intéressèrent à ses trompettes, alors que des instruments plus classiques se sont bien vendus. « La vuvuzela était sans doute trop difficile à jouer », explique Wu. Au cours des années suivantes, il avait mis de côté ce projet, jusqu'au mois de juillet 2009, date à laquelle un Africain lui en a commandé 1 000 exemplaires. A partir de ce jour, la situation de sa petite usine a énormément changé. Après une semaine de retouche sur le moule, Wu Yijun a rapidement livré cette commande. Et peu de temps après, des commerçants d'Europe et d'Afrique ont pris contact avec lui par Internet. Le nombre des commandes a aussitôt grimpé en flèche. La commande qui a le plus étonné Wu a été passée l'hiver dernier. Le 15 février 2010, le lendemain de la Fête du Printemps, il a reçu un coup de téléphone d'un distributeur belge, qui réclamait des échantillons. Peu après avoir envoyé les produits, il a reçu sa commande : 1,5 million de vuvuzelas. « Impossible à honorer », s'est exclamé Wu. Finalement, il a promis livrer 800 000 vuvuzelas, le tout en deux mois. Le 33e pays qualifié Ce petit district du sud du Yangtsé n'est pas habillé aux couleurs de la Coupe du Monde. Même dans les quartiers les plus animés, dans les cafés ou dans les bars, rien ne rappelle la grand messe du ballon rond. Mais pour les ouvrières, la vuvuzela a ouvert une grande fenêtre vers le monde. Sans ces trompettes, elles ne suivraient pas la Coupe du Monde, et dans le même temps n'attireraient pas l'attention de l'extérieur. Elles se gaussent : « Tout est ‘fabriqué en Chine', sauf l'équipe nationale ». Et à raison, car le « Made in Chine » a bel et bien envie tout le terrain : sièges, vêtements, jusqu'au ballon, baptisé Jabulani. Mais les conversations ne tournent pas qu'autour du football, et les visites font la joie des ouvrières. L'une d'entre elles se renseigne auprès d'un journaliste de Beijing : combien d'argent et combien de temps pour visiter la Place Tian'anmen ? Une autre souhaite aller à Shanghai voir l'Expo, tout particulièrement le Pavillon Angleterre, qui ressemble à un hérisson gigantesque. « La Chine est le 33e pays qualifié de la Coupe du Monde », s'amusent les fans chinois. Beijing Information |