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Publié le 08/01/2010
En Chine, les OGM prennent racine

Guillaume Brandel

Alors que la terre accueillera huit milliards d'individus dès 2025 selon les Nations Unies, les effets du réchauffement climatique, déjà perceptibles, contraindront les agriculteurs à produire toujours plus sur des surfaces se réduisant sans cesse. Un chiffre inquiétant illustre ce constat : la production mondiale de riz devra augmenter de 40% d'ici à 2030.

Parmi la palette d'outils dont l'homme dispose pour affronter ce défi majeur, les organismes génétiquement modifiés ne cessent d'alimenter la polémique depuis la première tentative de transgénèse menée par Paul Berg et son équipe en 1972. Car si pour certains, ils représentent une solution face à la famine, la diminution des surfaces cultivables et la réduction de la quantité d'eau allouée à l'agriculture, pour d'autres, les OGM constituent le premier pas vers la mort de la biodiversité végétale, la formation d'un monopole commercial et industriel, le brevetage du vivant, ainsi qu'une menace pour la santé humaine.

Si ces questions sont débattues avec virulence en France, et les plants OGM arrachés dès leur mise en terre, la Chine n'a pas attendu pour commercialiser et développer de nombreuses variétés génétiquement modifiées. Face à la croissance rapide de sa population et la diminution de ses surfaces disponibles, la Chine a lancé en 2008 un programme de 35 milliards de RMB pour les biotechnologies végétales. Avec l'autorisation par le gouvernement de la multiplication des semences de variétés de riz et de maïs génétiquement modifiées le mois dernier, les OGM s'enracinent profondément aux quatre coins du territoire chinois.

A l'occasion du second Café des sciences organisé par le Centre culturel français de Beijing, Philippe Lessard, chercheur en biotechnologie, fait le point sur la situation en Chine. Spécialiste des OGM depuis de nombreuses années, il nous explique en détail la genèse, les applications et les limites de ces organismes si décriés, condition sine qua non d'un débat sain et fécond, comme le souligne Robert Farhi, conseiller scientifique adjoint à l'Ambassade de France en Chine.

Enracinement autour du globe : la montée en puissance des OGM

En 2008, 120 millions d'hectares de par le monde étaient alloués à la culture de quatre espèces principales d'OGM : soja, maïs, coton et colza. La transformation qu'elles ont subie les rend résistantes aux herbicides ou aux insectes, et depuis peu, certaines possèdent même ces deux gènes de résistance.

Orange : les 5 pays cultivant plus de 95% des OGM agricoles commercialisés en 2005  Hachurés : autres pays commercialisant des OGM en 2005  Points : pays autorisant des expérimentations en plein champ

La stratégie chinoise concernant les OGM permet de répondre aux deux défis majeurs que connaît le pays. Sur son vaste territoire, 9,6 millions de km², 87,5% des terres sont infertiles, et cette proportion va grandissante. Par ailleurs, malgré le contrôle des naissances toujours en application, la population chinoise continue à croître. Dans ces conditions, les agriculteurs sont condamnés à produire plus sur des surfaces réduites.

 Le maître du riz hybride
 

Né en 1930, Yuan Longping est le créateur d'un « riz hybride », à partir du croisement artificiel de deux variétés de riz. Professeur à l'université agricole de Changsha, province du Hunan, il a notamment reçu le Prix Wolf en 2004. Ses recherches portent à présent sur un riz encore plus dense afin d'augmenter davantage les récoltes. 

La Chine, dont seuls les laboratoires publics sont autorisés à concevoir des OGM, fut le premier pays à commercialiser des plantes transgéniques dès 1988. Sur le marché depuis 1996, le coton Bt (résistant aux insectes) représente aujourd'hui environ 70% de la totalité du coton vendu, contre 40% en 2006. Une variété de papaye résistante au virus PRSV est cultivée, tout comme des peupliers Bt, dont on peut d'ailleurs apercevoir des spécimens bordant la route de l'aéroport international de Beijing.

Dans une vaste étude sur les biotechnologies en Chine, Catherine Legrand, attachée économique à la Mission économique française de Beijing, estimait en 2006 que la Chine occupait la 4ème position mondiale en terme de surface cultivée, et que plus de 180 variétés de plantes transgéniques y auraient déjà été expérimentées. En 2008, le gouvernement avait par ailleurs approuvé un plan visant à porter la production de céréales au-dessus de la barre des 500 millions de tonnes par an avant 2010, puis des 540 millions durant la décennie suivante.

Du riz génétiquement modifié ainsi que du maïs seront commercialisés dès l'an prochain, et des variétés de blé OGM pousseront aux quatre coins de la Chine dans un avenir proche. Le ministère de l'Agriculture a approuvé récemment de nouvelles variétés de riz et de maïs, qualifiant cette décision « d'important résultat des recherches chinoises sur les technologies d'ingénierie génétique (…) Elle pose de bonnes fondations pour une production commerciale ». Huang Dejun, analyste en chef de Beijing Orient Agribusiness Consultant, confiait à l'AFP que le gouvernement souhaitait être prêt en cas d'éventuelles pénuries de graminées. La technologie nouvellement validée augmenterait les récoltes d'environ 30%, a estimé Huang.

La Chine a récemment certifié deux nouvelles variétés de riz génétiquement modifié. Développées par le laboratoire de culture génétique de l'université agricole de Huazhong, Huahui No1 et Bt Shanyou 63 seront cultivés uniquement dans la province du Hubei. Ces nouvelles variétés permettront selon le laboratoire de réduire de 80% l'utilisation de pesticides, de baisser les coûts pour les agriculteurs, et de minimiser les résidus de pesticides.

Les expérimentations en champs de 2003 et 2004 ont montré que ce riz permettait de ne disperser des pesticides qu'une fois par saison, et offrait un rendement moyen 9% supérieur à un riz classique. La certification de ces nouvelles variétés n'implique par leur commercialisation immédiate, cette date restant pour le moment inconnue.

Fabrication d'OGM : quand la nature aide la science

Les scientifiques ont depuis longtemps dressé la liste des paramètres sur lesquels ils pourraient agir. Parmi eux, certains sont réalisables par sélection classique, alors que d'autres ont besoin de nouveaux gènes, opération rendue possible par les découvertes en génie génétique.

Ainsi, hormis une augmentation du nombre de grains par plante, et leur poids, la science s'intéresse à toutes les formes de résistances possibles et imaginables : herbicides (Round up), maladies, insectes (Bt), sécheresse, froid, etc.

La galle du collet causée par agrobacterium

La dérégulation d'OGM

La commercialisation d'un OGM relève du parcours du combattant. Pas moins de cinq étapes longues et coûteuses doivent être franchies pour obtenir l'aval des autorités.

- Localisation de l'ADN-T contenant le gène introduit,

- Preuve de sa stabilité,

- Batterie de tests sur moutons, rats, cellules humaines,

- Tests complets sur insectes.

La longueur et le coût de cette procédure explique le petit nombre d'OGM commercialisé.

Si les méthodes de modification des organismes par transgénèse, c'est à dire l'insertion dans le génome d'un ou plusieurs nouveaux gènes végétaux ou animaux, sont nombreuses et variées, le recours à agrobacterium, découverte et utilisée depuis 1982, demeure l'une des techniques principales en ingénierie génétique des végétaux.

Bactérie au nom barbare - enfin, au nom latin du moins - Agrobacterium tumefaciens est à l'origine d'une maladie appelée galle du collet. En effet, elle introduit un brin d'ADN vecteur de maladie dans les végétaux qu'elle infecte. Le mécanisme de formation de cette tumeur s'apparente à une transformation génétique… La modification génétique existe donc à l'état naturel !

Sur le papier, l'emploi de cette bactérie dans la transgénèse est simple : il s'agit d'utiliser Agrobacterium comme véhicule pour le gène que l'on souhaite introduire dans notre végétal. Puis, on cultive les cellules transformées pour régénérer des plantes entières. Ne reste plus qu'à mettre en terre, à récolter et replanter les graines, puis, plusieurs mois après, à procéder à des expérimentations en champs.

Sur la paillasse, Agrobacterium fonctionne très bien avec le tabac… Les fumeurs sceptiques quant à l'innocuité des OGM trouveront là une nouvelle raison d'arrêter !

Science avec conscience : anticiper pour prévenir les risques

Si en France une loi sur les OGM a été votée à l'initiative du peuple, la population chinoise ne semble pas inquiète de la présence d'organismes génétiquement modifiés dans son assiette ou dans son bol.

Pour autant, le développement et les innovations liées à cette nouvelle technologie soulèvent plusieurs inquiétudes, dont certaines fondées scientifiquement. Le coût élevé de fabrication d'un OGM conduit les laboratoires à n'en commercialiser qu'un très petit nombre, engendrant de ce fait un risque de réduction de la diversité génétique. En effet, la culture intensive de mêmes variétés partout dans le monde élimine logiquement d'autres graines moins performantes.

Par ailleurs, la proximité de champs OGM et classiques peut entraîner un transfert du gène modifié à une espèce proche. Le vent ne s'arrêtant pas aux clôtures, il charrie avec lui le pollen qu'il trouve là où il souffle. Une conséquence désastreuse est de transférer aux mauvaises herbes le gène de résistance aux herbicides, réduisant à néant tous les efforts. Seule l'interdiction de culture de ces espèces OGM dans des pays où elles peuvent se croiser naturellement avec des espèces sauvages endémiques permet d'éviter cette "fuite" de gènes. De plus, l'utilisation intensive de plantes résistantes aux insectes (le coton Bt par exemple) a un impact sur certaines population d'insecte, allant jusqu'à l'apparition d'insectes résistants au Bt, contraignant les chercheurs à trouver d'autres gènes « insecticides » ou à imposer des cultures non Bt qui constituent autant de "refuge" pour maintenir une certaine biodiversité.

Cependant, toutes les critiques et craintes liées à la culture d'OGM doivent être nuancées et il faut distinguer celles qui sont fondées, des pires fantaisies. L'OGM serait synonyme de culture intensive ? Une démystification s'impose, ce sont de questions tout à fait différentes, la culture intensive se pratiquant avec ou sans modification génétique. La baisse de pesticides et autres herbicides promise par les OGM ne serait pas avérée ? Mais les agriculteurs continuent à asperger leurs champs de produits chimiques, OGM ou pas.

Pourtant, une possible contamination des champs voisins par le pollen OGM peut être minimisée avec des efforts de réorganisation des surfaces agricoles, et ce désagrément peut tendre à disparaître.

Cueillir les fruits du génie génétique

En adoptant une posture anti-OGM de principe, comme c'est souvent le cas en France, l'on occulte malheureusement tous les bénéfices potentiels que ces nouvelles pratiques peuvent apporter.

Les OGM permettent en premier lieu une réduction des apports en insecticides. Produits pulvérisés en hectolitres sur les cultures, les insecticides s'avèrent être des poisons cancérigènes. N'étant pas spécifiques à un type d'insecte, ils éliminent ainsi toute vie dans le champ, et provoquent une détérioration des conditions de santé de ceux qui les inhalent, principalement les agriculteurs.

Les gènes introduits par les chercheurs ont aussi pour objectif principal l'augmentation de la rentabilité des cultures, en permettant une diminution de l'utilisation d'eau et d'azote.

Par ailleurs, le génie génétique peut à terme permettre de résorber la faim dans le monde. L'introduction de gènes rendant les plants résistants à la sécheresse, ou la mise au point d'un riz riche en vitamines constituent des armes de pointe dans la lutte contre la malnutrition.

Enfin, OGM sont trois initiales synonymes de hausse de revenus pour les agriculteurs, et d'amélioration de leurs conditions de santé. Une étude chinoise effectuée sur des cultivateurs de coton, fibre la plus gourmande en pesticides, a révélé une amélioration de leur santé depuis l'utilisation des graines OGM.

« Manger des OGM, ce n'est pas poison », conclut Philippe Lessard, rappelant que le maïs Bt est commercialisé depuis près de quinze ans aux Etats-Unis, sans aucune conséquence néfaste avérée sur la santé humaine.

Jouant sur l'amalgame entre OGM, agriculture intensive et malbouffe, les anti-OGM sont de bien meilleurs communicants que les scientifiques, dont le langage ésotérique ne fait que nourrir les craintes inhérentes à chaque découverte scientifique.

Aussi, ne parlons plus d'OGM en général, mais interrogeons-nous plutôt : quel gène, dans quelle plante, et cultivée où ?

Un OGM n'est pas une « super plante », il a les faiblesses des plantes cultivées. Mais permettant d'utiliser moins d'eau et peut-être, de réduire la famine, les biotechnologies peuvent nous débarrasser de la majorité des pesticides, herbicides et autres fongicides.

Cependant, une plante aura toujours besoin d'azote, d'eau et de soleil.

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Crédit photo : photo-libre.fr

 



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