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Publié le 26/08/2009
La Chine contre le protectionnisme européen

 
 Une nouvelle usine du groupe Shougang dans la province du Hebei, possède une capacité de production d'acier de 4,85 millions de tonnes. (LUO Xiaoguang)

Le déclin économique ne ralentit pas, et le protectionnisme pourrait persister encore longtemps en Europe.

Liu Mingli, chercheur à l'Institut des Relations internationales contemporaines de Chine

Les frictions commerciales récentes entre l'Union européenne (UE) et la Chine, respectivement la première et la troisième économies mondiales, ont suscité l'attention du public. Le 27 juillet, l'UE a décidé d'instaurer des taxes antidumping de 24,2 % sur les fils en acier importés de Chine. C'est la première fois que l'UE adopte des mesures antidumping en invoquant une « menace de préjudice ». Quatre jours après, la Chine a déposé la plainte auprès de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) contre les taxes antidumping imposées par l'UE sur les pièces de fixations en acier et en fer fabriquées en Chine. Il s'agit de la première plainte déposée par la Chine depuis son adhésion à l'OMC il y a 8 ans.

La mise en place par l'UE de taxes antidumping est-elle un signe avant-coureur d'un retour du protectionnisme ? Comment se défendra la Chine ?

Des mesures antidumping abusives

Les désaccords concernant le « dumping » ne sont guère un phénomène nouveau dans les relations commerciales entre la Chine et l'Europe. Ces dernières années, qui ont été marquées par un accroissement rapide du volume du commerce sino-européen et par l'élargissement de la balance déficitaire européenne, la décision capricieuse de l'Europe d'instaurer des mesures antidumping contre les produits chinois n'a cessé de provoquer des frictions commerciales entre les deux parties et a entravé les relations économiques et commerciales bilatérales. Au cours du premier semestre de cette année, les deux enquêtes et les trois nouvelles mesures antidumping menées par l'UE avaient véritablement pour cible la Chine.

Concernant la question de l'antidumping, la Chine et l'UE affichent des opinions différentes : l'UE prétend agir en vertu des règlements de l'OMC de façon à protéger les secteurs concernés face à une concurrence inégale, tandis que la Chine est convaincue que la pratique de l'UE déguise un véritable protectionnisme commercial. Qui d'entre elles a raison ? Il faut chercher la réponse dans la définition fondamentale de l'« antidumping ».

D'après les règlements de l'OMC, si un pays exporte ses produits à un prix inférieur au niveau normal, cette exportation est considérée comme « dumping ». De plus, si ce dumping a provoqué un préjudice réel à l'industrie concernée du pays importateur, ce dernier a le droit de prendre des mesures antidumping. Cette règle a été fixée de façon bien intentionnée afin de garantir un bon environnement commercial et de lutter contre la concurrence déloyale. Cependant, elle est souvent invoquée abusivement par les protectionnistes, et va à l'encontre de l'égalité commerciale.

En Europe, par exemple, les protectionnistes se servent souvent de l'estimation du « prix normal », comme élément crucial pour justifier un dumping. Dans la mesure où elle ne reconnaît pas le statut d'économie de marché à la Chine, l'UE ne considère pas le prix pratiqué sur le marché chinois comme prix normal, et souhaiterait prendre pour référence le prix pratiqué dans un pays tiers. Cependant, l'OMC n'a pas établi de critères stricts dans le choix du pays et des produits de référence, ce qui donne une grande marge de manœuvre à l'UE dans ses mesures antidumping. Concernant l'imposition des taxes antidumping sur les téléviseurs chinois, l'UE a pris Singapour comme pays de référence. Sur le dossier des pièces de fixations en acier et en fer, elle a comparé le prix des produits chinois bas de gamme à ceux de l'Inde haut de gamme. A travers de telles manœuvres, les produits chinois importés en Europe sont facilement jugés illégaux.

De plus, les mesures antidumping de l'UE manquent de transparence et violent très souvent les règles de l'OMC concernant le nombre valable des initiateurs antidumping et la méthode de calcul du taux de taxation. En tant que nouvelle venue dans ce système international qui connaît pas encore toute la procédure antidumping de l'OMC, la Chine réagit lentement et n'est pas capable de se défendre face aux accusations européennes, ce qui a, par conséquent, encouragé la pratique antidumping de l'UE.

L'UE abuse de l'antidumping de deux manières évidentes. Premièrement, elle profite des défauts juridiques de l'OMC, ce qui est juridiquement légal, mais injuste. Deuxièmement, elle viole carrément les règles de l'OMC, ce qui n'est ni légitime ni loyal. Quelle que soit la méthode utilisée, cet abus de l'antidumping piétine le libéralisme commercial préconisé par l'OMC. Au lieu de défendre le libre-échange, les mesures antidumping deviennent le complice du protectionnisme, une vérité qui s'expose en plein jour malgré les longs plaidoyers prononcés par l'Europe.

Les raisons d'un protectionnisme arrogant 

Le 27 juillet, sans aucune discussion, le Conseil conjoint ministériel de l'UE a décidé d'imposer une taxe antidumping de 24,2 % sur les fils en acier importés de Chine en raison d'une « menace de préjudice ». En général, avant de prendre une quelconque mesure, le pays accusateur doit d'abord démontrer l'existence d'un préjudice réel sur ses affaires intérieures et prouver le lien de causalité entre le dumping et ce préjudice. Une accusation de dumping en invoquant une simple  « menace » est particulièrement rare, et ne dissimule pas sa nature protectionniste.

Or, les nuages de la crise financière ne se sont pas encore dissipés. La situation économique internationale n'est pas optimiste, et sera pire encore si les pays ferment leur porte d'échanges en faisant preuve de protectionnisme. Les différents gouvernements doivent faire preuve de  clairvoyance face à ce danger. Lors de la réunion du G20 qui a eu lieu au début du mois d'avril à Londres, les différents chefs d'Etat ont souligné d'une seule voix l'importance du libre-échange. Alors pourquoi l'UE laisse-t-elle planer le spectre du protectionnisme qui va à l'encontre de la volonté générale ?

Pour trouver la réponse, il faut connaître la procédure antidumping de l'UE. La Commission européenne (CE) est chargée de mener les enquêtes antidumping et de prendre les mesures nécessaires. Normalement, en protégeant les secteurs nationaux concernés, l'antidumping peut aussi entraîner la hausse du prix des produits concernés sur le marché intérieur, ce qui nuit aux intérêts des consommateurs, des détaillants et des industries. Dans ce cas-là, la CE devrait mesurer l'impact de sa décision antidumping par rapport aux intérêts communs des pays européens.

Cependant, dans la pratique, la CE ne protège que les intérêts de certains secteurs industriels dans la mesure où ces derniers ont établi des fédérations sectorielles puissantes. Ces lobbies sont capables de persuader les membres de la Commission européenne d'agir en leur faveur. Quant aux consommateurs et aux détaillants qui n'ont pas assez d'influence, ils deviennent les principales victimes de ces mesures antidumping. Dans le contexte de la crise financière, les entreprises européennes en difficulté exercent une forte pression sur la CE qui, à son tour, recourt aux mesures antidumping sans réfléchir aux intérêts des plus faibles et au risque de représailles commerciales.

Prenons toujours le cas de l'antidumping sur les fils en acier chinois, il est le résultat de la pression exercée par l'Eurofer, grand lobby du secteur sidérurgique européen, sur la CE. Selon les statistiques, la sidérurgie européenne a été profondément touchée par la crise financière. En raison de la diminution du marché et de la concurrence des produits étrangers, le secteur ne peut animer que 55 % à 60 % de sa capacité de production, ce qui constitue une question de vie ou de mort. Cette lourde pression a obligé la CE à trouver un compromis par le biais du protectionnisme, ce qui est quand même regrettable.

D'un point de vue plus large, la détresse persistante de l'économie est à l'origine du spectre du protectionnisme en Europe. On constate que l'actuelle crise financière qui s'est propagée depuis les Etats-Unis a touché l'économie européenne de façon plus profonde et plus longue. En comparaison avec la Chine où on sent déjà l'odeur du redressement économique, l'Europe se trouve dans une situation plus défavorable. Cela est dû au grave déficit des gouvernements européens, au manque de flexibilité sur le marché de l'emploi ainsi qu'aux politiques économiques mal coordonnées. Les statistiques montrent que le taux de chômage au sein de l'UE a grimpé à 9,4 % en juin 2009, un record dans l'histoire. Le déclin économique durable encourage sans doute le protectionnisme qui a été appliqué, dans un premier temps, au secteur sidérurgique et qui devrait très certainement s'étendre à plusieurs autres domaines. L'antidumping ne sera pas le seul outil de ce protectionnisme.

Des contre-mesures à prendre

Le retour du protectionnisme européen pose un problème à la Chine. D'une part, elle doit contre-attaquer les protectionnistes afin de défendre ses propres intérêts, et d'autre part, elle ne doit pas trop les énerver afin d'éviter une bataille commerciale. Etant donné que l'Europe ne sortira pas du déclin économique dans un court laps de temps et que le protectionnisme risque de persister pendant encore longtemps, la Chine doit se réserver le temps pour trouver des contre-mesures efficaces.

Premièrement, il faut entreprendre une contre-attaque selon les règles du jeu. Les Occidentaux apprécient les règles et savent particulièrement bien les utiliser à leur avantage. Ayant été intégrée dans le système commercial initié par l'Occident, la Chine doit apprendre à hurler avec les loups. Dans la mesure où l'UE profite des défauts des règles, la Chine doit creuser ces règles de manière à mener une contre-attaque juridique, et lancer ainsi un avertissement à l'arrogance européenne. Elle pourrait porter plainte auprès de l'OMC contre la pratique illégale de l'UE. C'est ce qu'elle a d'ailleurs fait le 31 juillet concernant le dossier des fils en acier. Elle pourrait également imposer des taxes antidumping sur les produits européens dans le cadre juridique. En fait, l'UE n'est pas invaincue dans les différends commerciaux internationaux. Mais pour saisir ses erreurs et se mettre dans une position favorable, il faut bien analyser le processus antidumping et les moyens d'application de cette adversaire.

Deuxièmement, les entreprises chinoises doivent réagir de façon plus active face aux mesures antidumping européennes tout en conjuguant leurs efforts. Dans le cas des fils en acier, aucun autre fabricant chinois, à l'exception d'une entreprise du Hunan, n'a répondu à l'accusation de l'UE portée en juillet 2008. Résultat : une taxe antidumping de 7,9 % a été imposée sur cette entreprise du Hunan tandis que le taux de taxation sur le reste des fabricants chinois était de 24,2 %. Si les petites et moyennes entreprises ne sont pas capables de répondre aux mesures antidumping étrangères à cause de leurs ressources financières et humaines limitées, les fédérations sectorielles pourraient bien jouer leur rôle d'initiateur, comme c'est très souvent le cas en Europe. De plus, la Chine doit prendre des mesures préventives en suivant de près l'orientation antidumping de l'UE. Selon les statistiques, une fois qu'un processus antidumping est lancé, il a 70 % de chance de conduire à des mesures antidumping réelles, telles que la taxation. S'il s'agit d'un antidumping sur les produits chinois, il obtiendra facilement un soutien politique dans la mesure où la théorie de la « menace chinoise » règne en Europe. Par conséquent, le gouvernement chinois doit renforcer ses communications avec la Commission européenne et essayer de résoudre les différends commerciaux avant que ces derniers ne conduisent à un processus antidumping.

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