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Publié le 18/03/2009
Tranches de vie d'un Tibétain : de jadis à aujourd'hui

Liu Yunyun

La vie heureuse de Mimar Toinzhub

A l'évocation de la réforme démocratique du Tibet d'il y a 50 ans, Mimar Toinzhub ne sait plus mettre une date sur ce jour précis, ses bribes de mémoires relatives à cette occasion lui remémorant néanmoins qu'il obtint un bœuf et 21 mus de champs. Quelques heures avant cette date fatidique, M. Toinzhub était encore un serf taillable et corvéable à merci, au service du maître du Manoir de Pharlha, dépourvu de liberté.

De nos jours, ce patriarche s'est adapté à un nouveau mode de vie, vivant pour lui-même et ses enfants.

Le dernier demi-siècle témoigne des grands changements sociaux survenus au Tibet et dans la vie de nombreuses personnes dont ce septuagénaire, roturier qui ne pouvait manger à sa faim et abattait un travail éreintant dans le passé, est aujourd'hui devenu un paysan aisé grâce à l'élevage du bétail.

Ses 75 ans révolus, celui-ci est un éleveur de vaches et cultivateur réputé dans le district de Gyangze. La vente de lait et de produits laitiers lui rapporte un revenu net annuel de 5 000 yuans qu'il consacre aux dépenses familiales. Hormis son activité dans la filière bovine, il fait pousser de l'orge du Tibet, des carottes, des pommes de terre et des pois, entre autres. Il peut désormais vivre dans l'insouciance.

A présent, M. Toinzhub habite avec la famille de son fils aîné dans un appartement à deux étages d'une superficie totale de 300 m2. Le rez-de-chaussée et la cour servent à stocker le fourrage des bœufs, le premier étage est le lieu de repos de diverses générations. La salle principale du foyer est celle consacrée à la lecture des soutras du bouddhisme tibétain que surplombent un tanka élégant et une statue de Bouddha.

Joies de la vie familiale

Lors de la visite du journaliste de Beijing Information chez M. Toinzhub, Gyaibo venait de regagner sa terre natale pour passer ses vacances universitaires.

Ce jeune homme, petit-fils aîné des Toinzhub, étudie depuis trois ans la langue tibétaine à l'Université Normale de Lhassa. A la fin de cette année universitaire, il espère devenir professeur de lycée.

D'après son grand-père, la jeunesse de Gyaibo fut plus tendre que la sienne. « Aujourd'hui les jeunes ne participent plus aux tâches ménagères, ils se dévouent corps et âme aux études », a souri Mimar Toinzhub en observant son petit-fils de 24 ans. Dans ses yeux, on pouvait à la fois lire la bienveillance apportée par l'expérience et la douleur, rappel de ses souvenirs de jeunesse.

Afin de tirer Gyaibo de l'embarras devant les journalistes, sa mère a nuancé les propos de son beau-père : « Mon fils ne se tourne pas les pouces, il fait la cuisine et s'occupe du bétail pendant ses vacances ».

Gyaibo, passionné par l'écriture, participe à un cercle littéraire de 12 amateurs de la plume à l'université. Ensemble, ils publient une revue nommée « Zhaqia » (« L'écho ») à tirage annuel, composée des meilleures dissertations en langue tibétaine des étudiants.

« J'aspire plus que tout à composer ma propre œuvre littéraire, ma prose s'améliore de jour en jour », a-t-il exprimé fièrement. « Je commencerais sans doute par créer des œuvres en tibétain car mon niveau de mandarin laisse encore à désirer. »

D'après sa mère, tout sépare l'atmosphère de jeunesse qu'a connu son fils de celle de son grand-père ou de la sienne. « Je suis née en 1961, lors de mes plus tendres années, je participais quotidiennement aux travaux champêtres et à l'élevage des bêtes de somme. A cette époque, le secteur éducatif était sous-développé, nous n'avions pas la chance d'aller à l'école. » Depuis les années 1980, après le mariage avec son mari, le calme et le confort ont fait leur entrée dans sa vie.

« Qui travaille plus gagne plus ! » Cette règle d'or m'a profondément influencée et je la transmets désormais à mes enfants.

M. Toinzhub abondant dans le même sens, a indiqué : « Ce proverbe suit parfaitement la tendance de l'époque que nous vivons, néanmoins jadis, nous n'étions que des bêtes de somme douées de parole au service des propriétaires. »

La distribution des bétails aux serfs

Un serf parmi tant d'autres au Manoir de Pharlha

Lors de la deuxième moitié du XVIIe siècle, un décret promulgué par le Ve Dalai-lama stipula que les serfs, les ressources aquatiques, terriennes et sylvicoles étaient totalement conférées aux propriétaires des serfs tibétains. Les propriétaires eurent ainsi le droit de vendre, mettre en gage, céder ou tuer leurs serfs.

Mimar Toinzhub devint le serf du Manoir de Pharlha à l'âge de 13 ans et servit de tailleur deux années plus tard. En tant qu'artisan, sa classe sociale était supérieure à celle d'autres serfs. Il travaillait tous les jours sans interruption de 8 h à 19 h. L'intendant du manoir distribuait aux artisans un registre auquel il apposait un sceau après vérification du travail de chacun de ses subalternes. A condition d'une présence quotidienne au travail, il recevait 14 kg d'orge du Tibet à la fin du mois.

« Les propriétaires versaient du sable dans l'orge, la faim nous torturait chaque jour. » Comme une piqûre de rappel, la vie pénible de ce vieil homme lui revenait à l'esprit de manière limpide.

Les serfs tibétains subissaient d'horribles tortures s'ils venaient à courroucer leurs propriétaires. La femme de Mimar Toinzhub fut la jeune servante de la princesse de Pharlha. Elle cassa une fois un verre lors des tâches ménagères et fut en punition férocement fouettée au visage, les ecchymoses subsistèrent une quinzaine de jours.

La cruauté des punitions de l'époque était sans commune mesure. On leur crevait les yeux, on les amputait de leurs nerfs. Leurs langues étaient coupées, pieds et mains était tranchés. On les enfermait dans une pièce recluse, infestée de scorpions.

La famille de Toinzhub habitait dans un réduit de 6 m². Deux générations s'entassèrent dans cette cage à poules pendant une décennie.

L'opulence des maîtres de serfs tranchait avec ce sombre tableau. Dans le Manoir de Pharlha, trônaient bon nombre de trésors : bijoux d'or, tapis, produits de beauté de luxe jusqu'à des montres Rolex.

Pour les serfs, considérés comme des bêtes de somme, leurs maîtres ne faisaient qu'exercer leurs droits, l'esprit nécessaire pour lutter contre cette réalité inégale leur faisait défaut.

Avant 1959, le Tibet était une société féodale régie par un système de servage caractérisé par l'union du temporel et du spirituel, dont la réalité était plus sinistre que celle de l'Europe médiévale. Les hautes fonctionnaires, nobles et moines supérieurs, 5 % à peine de la population tibétaine se répartissaient la totalité des champs, des pâturages, des forêts et des montagnes, et la plupart du bétail du Tibet. Le reste de la population tibétaine vivait dans le dénuement, dépourvue de terres, de libertés et constituait une main-d'œuvre malléable et corvéable à merci, soumise à un impôt élevé et de l'usure.

Nouveaux maîtres du pays et de son destin

En recueillant le témoignage de Mimar Toinzhub, nous avons appris que dès le début de la réforme démocratique, l'ensemble de la communauté des propriétaires s'est enfuie. Les serfs répartirent le bétail en fonction du nombre de membres de la famille. Par ailleurs, l'actuel septuagénaire reçut à l'époque 150 kg de céréales, des ustensiles ménagers ainsi que des couvertures et des costumes.

« Notre nouveau mode de vie a été une réelle délivrance ! » Toinzhub rappela que le jour de l'obtention de sa parcelle de terre, il but de l'alcool d'orge avec ses amis sur son lopin de terre pour célébrer l'événement.

Il serait difficile de qualifier son émotion à l'époque. Sa première réaction fut marquée par une certaine appréhension : celui-ci n'osait pas en croire ses yeux et craignait le retour des propriétaires de serfs.

Avec le temps, ce vieil homme s'est progressivement habitué à un nouveau mode de vie et mène depuis une existence paisible avec ses enfants.

Mimar Toinzhub a pu reprendre son destin en main. Ce jeune tibétain autrefois servile est devenu une personne âgée dont les besoins fondamentaux d'existence ont trouvé une réponse positive.

Le 28 mars 1959, le Conseil des Affaires d'Etat ordonna de dissoudre les autorités locales du Tibet et déclara l'entrée en fonction du Comité préparatoire de la région autonome du Tibet en tant que gouvernement local du Tibet. Selon l'ordre du Conseil des Affaires d'Etat, le Comité préparatoire de la région autonome du Tibet devait démarrer la réforme démocratique tout en abolissant le servage féodal caractérisé par l'union du temporel et du spirituel. Plus d'un million de serfs et d'esclaves ont ainsi obtenu les libertés civiques, des terres et des droits politiques protégés dans un cadre législatif.

Au mois de janvier 2009, les députés à la IXe assemblée populaire de la région autonome du Tibet ont décidé par vote, lors de la deuxième réunion annuelle, de désigner le 28 mars comme « Journée de l'émancipation des serfs ».

Documentation annexe :

En 1951, le gouvernement populaire central et le gouvernement local du Tibet signèrent l'« Accord en 17 points ». Pourtant, cet accord n'a pas touché l'ancien système de servage féodal caractérisé par l'union du temporel et du spirituel au Tibet. Une poignée d'aristocrates, de clercs et de membres du gouvernement réactionnaire du Tibet possédèrent toutes les terres cultivables et les pâturages, ainsi que la plupart du bétail au Tibet. Ils eurent un grand nombre de serfs et d'esclaves. Ces derniers ne pouvaient jamais bien se nourrir ni s'habiller et leurs propriétaires avaient droit de vie ou de mort sur eux.

Au mois de mars 1959, le groupe réactionnaire tibétain de la couche supérieure rompit l'« Accord en 17 articles » et déclencha une rébellion militaire visant à saper l'intégrité territoriale du pays et s'opposer à la réforme sociale vivement réclamée par les serfs et esclaves. L'APL mata cette rébellion avec le soutien du peuple tibétain, ce qui créa des conditions propices à l'avancée de la réforme démocratique.

Durant la dernière quinzaine du mois de mars 1959, la réforme démocratique fut entamée et fut achevée dans son ensemble en 1961.

 

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