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Publié le 26/03/2008
Nouvelle étude sur la situation en Irak

Wang Jinglie (Directeur de recherche à la Section Moyen-Orient à l'Institut d'études sur l'Afrique et l'Asie occidentale de l'Académie des Sciences sociales)

Il y a 5 ans, les Etats-Unis lancèrent la guerre en Irak au nom de la suppression des armes de destruction massive ainsi que de la promotion au processus démocratique en Irak et dans la région. Les Américains sont arrivés à renverser le régime de Saddam mais n'y ont trouvé aucun « pistolet fumant », pas plus qu'ils n'ont permis l'installation de la démocratie. La situation en Irak reste instable et trouble depuis 5 ans tandis que les nouvelles autorités se révèlent incapables de le contrôler et figure pour le compte au 2e rang des « pays perdus », dressés par le magazine américain « Foreign Policy » (Politique étrangère) en 2007. Cependant, c'est précisément la présence américaine qui a introduit le bouleversement depuis longtemps et la chute de l'Irak.

Restauration politique difficile

Le prestige et la légitimité des nouvelles autorités irakiennes. Les Etats-Unis ont renversé avec la force le régime du Parti Baas (Parti de la Renaissance) en 2003 et détruit l'ancien appareil d'Etat. Depuis lors l'Irak a commencé une périlleuse restauration politique. Du contrôle américain direct au Conseil de gouvernement intérimaire, du passage à l'Autorité provisoire de la Coalition, puis à la direction constitutionnelle, soit l'administration sous l'Assemblée nationale et le gouvernement élus selon la constitution, le prestige politique des autorités irakiennes provient de la désignation et la légalisation américaine, tout comme de la lutte raciale et confessionnelle détenue par les Etats-Unis. Autrement dit, le prestige et la légitimité politique de la direction irakienne sont issus d'une élection soi-disant démocratique dans un contexte qui mélange l'influence étrangère ainsi que les débats ethniques et religieux. Un tel gouvernement parviendra-t-il à gagner le soutien populaire des Irakiens ? Il semble indéniable que malgré leur puissance les troupes américaines s'attireront très difficilement les faveurs de la population locale. Ici réside la cause élémentaire génératrice du désordre en Irak.

Dysfonctionnements dans l'installation de l'appareil d'Etat. Certes, l'armée occupante de l'Amérique ne se substitue pas à l'appareil d'Etat d'Irak, pourtant ce dernier, notamment les organes du pouvoir ne sont pas encore clairement établis. On y met en exergue la suprématie de la loi, mais la loi est rédigée par l'Homme. Si les législateurs ne parviennent pas à se dégager des intérêts raciaux et confessionnels alors que le sectarisme est en vogue, les lois établies ne sauront éliminer toutes traces du sectarisme et présenteraient pour cette raison des défauts et des limites. Pour le moment, le statut marqué par une répartition tripartite entre les Chiites, Kurdes et Sunnites a déjà été reflété à travers l'installation du fédéralisme. Le modèle d'une « séparation multiple des pouvoirs » a sévèrement affaibli la reconnaissance de la nation irakienne, qui n'était pas solide. Par conséquent, le renversement du régime du Parti Baas et la condamnation de Saddam Hussein n'ont pas donné un nouveau visage à l'Irak tandis qu'ils ont livré la nation à la souffrance du bouleversement. L'établissement de la nouvelle armée irakienne ainsi que les forces de sécurité doivent également faire face aux troubles cités plus haut, qui rendent le maintien de l'ordre très difficile voire impossible.

Racisme, confessionnalisme et tribalisme influencent l'intégration de la nation. Les tenants du pouvoir du Parti Baas appliquèrent autrefois, d'une main de fer, diverses mesures visant à éliminer les barrières ethniques, diminuer les écarts confessionnels et réduire l'influence des puissances tribales. Ils préservèrent ainsi l'unité de l'Irak en installant un régime laïc et renforçant la souveraineté d'Etat. Cependant, à cause des limites imposées par l'époque du régime nationaliste et des cancers qui rongèrent l'intégration contraignante, dans une certaine mesure, le régime ancien a réprimé et dissimulé les contradictions au lieu de réaliser parfaitement l'intégration du pays. De ce fait, à l'issue de la chute du Parti Baas, les conflits ethniques et confessionnels se singularisèrent par leur extrême radicalisme. Les puissances tribales saisirent cette occasion pour se soulever et exercer une influence sur l'évolution politique. Jusqu'à présent, les tribus, les peuplades ou les associations de tribu constituent encore des composantes importantes de l'édifice social d'Irak. Bon nombres d'Irakiens restent plus ou moins attachés et fidèles à leur tribu d'origine. Selon les statistiques, il existe aujourd'hui plus de mille tribus en Irak, mais encore près de soixante-dix tribus ou associations influentes qui jouent des rôles vitaux sur le plan politique et culturel dans le pays, surtout dans les petites villes et dans les campagnes.

L'effet Kurde. Le sujet Kurde concerne l'intégrité du territoire et de la souveraineté de l'Irak. Dans un contexte où le fédéralisme est progressivement appliqué au sein du pays, le courant de séparatisme des Kurdes connaît un regain manifeste. A l'heure actuelle, les Kurdes en Irak exercent une autonomie sans équivalent. Ils ont réalisé l'autonomie dans les trois provinces du nord, soit le Dahuk, le Sulaymaniyah et l'Arbil. En établissant leur gouvernement autonome, les Kurdes même disposent de leurs propres forces armées, drapeau et emblème. C'est pourquoi au regard de l'environnement socio-historique au Moyen-Orient, le développement économique et politique dans les régions autonomes Kurdes concerne non seulement l'avenir de l'Irak, mais aussi la stabilité politique et le progrès social des pays étroitement liés à la région. Si les régions Kurdes autonomes décident de quitter la fédération d'Irak et qu'ils se déclarent « Etat indépendant », il est possible que les Kurdes présents sur les territoires iranien et turc suivent cet exemple. Cela pourrait produire un « effet domino » qui ébranlerait les politiques au sein des plusieurs pays.

Post-occupation et le repliement des Américains

L'Irak parviendra prochainement à la post-occupation. En tenant compte de l'évolution de la situation après la guerre d'Irak, il semble peu probable que les Etats-Unis pratiquent, à la manière des anciens pays colonialistes, une longue occupation militaire en Irak. C'est pourquoi l'on peut affirmer sans ambages que l'Irak devrait prochainement entrer dans une époque de post-occupation. Quelles en sont les manifestations essentielles ? Le transfert du pouvoir politique des autorités américaines aux autorités irakiennes ; le retour de la souveraineté pour l'Irak et le rétablissement du « droit des Irakiens à disposer d'eux-mêmes » ; les Etats-Unis font évoluer la nature de leurs armées considérées autrefois comme des « forces d'occupation », en réduisant pas à pas le contingent de troupes en Irak, et la conservation des bases militaires au même titre que la subsistance de certaines forces armées par la signature de traités relatifs à la coopération militaire avec le gouvernement irakien. D'après le statu quo en Irak, l'entrée du pays dans une époque post-occupation n'est pas encore à l'ordre du jour, cette métamorphose devrait s'effectuer progressivement. Les armées américaines ont d'ores et déjà achevé le transfert du pouvoir aux autorités irakiennes qui prépare actuellement « l'administration autonome ». Si les Etats-Unis ne parviennent plus à « contrôler » le pays (tout du moins sur la forme), ils continuent de « guider » la situation de l'Irak à plusieurs titres. L'évolution de la fonction des armées occupantes a satisfait non seulement à la demande de la restauration de l'Irak, et a répondu aux besoins politiques du gouvernement américain. L'initiative d'augmentation du contingent américain en Irak, déclenchée par les Américains au début de 2008, n'a pas été validée par les autorités irakiennes. Cela atteste du fait que la souveraineté de l'Irak en tant qu'Etat indépendant n'a pas été parfaitement rétablie tandis que l'image des armées américaines perçues comme des forces d'occupation n'a pas changé d'un iota. En fin de compte ces cinq dernières années depuis le lancement de la guerre en Irak en 2003 constituent une période de l'occupation américaine où les Etats-Unis ont joué un rôle dominant tandis que l'Irak se dirige inexorablement vers une période post-occupation.

Les doubles influences exercées par l'occupation américaine sur la situation sécuritaire. L'occupation américaine en Irak constitue un sujet très complexe, qui foisonne de paradoxes. Dans un contexte actuel d'agitation en Irak, les armées américaines en garnison cherchent en fait à maintenir les ordres de sécurité locaux et jouent un certain rôle dans le maintien de la stabilité de l'Irak, malgré leur rôle très faible. Si les troupes américaines décident de se replier au pied levé, la situation évoluera sans doute de Charybde en Scylla. Autre point, en raison de leur nature de puissance étrangère, et notamment au regard des nombreux scandales qui ont émaillé leur intervention militaire, les occupants américains ne sont pas parvenus à se faire accepter par les habitants locaux, pire, l'armée américaine a essuyé de plus en plus de résistances avec la marche du temps. La zone où est stationné le gros du contingent, Bagdad est également le lieu où éclatent le plus souvent des incidents tels que des attentats à l'explosif, des fusillades sanglantes, entres autres. Si l'on s'attache aux statistiques, parmi tous les attentats à l'explosif et les fusillades sanglantes, un quart se produisent dans la capitale irakienne et ciblent les occupants américains. Ces manifestations de violence illustrent également la tension palpable entre les deux parties. Enfin, à long terme, la garnison en Irak constituera un véritable fardeau pour les Etats-Unis, car la guerre en Irak lancée par la superpuissance mondiale est dénuée de tout sens de la justice ou de légitimité. Comme l'avait indiqué M. Kofi Annan, l'ancien secrétaire général des Nations Unies, « la guerre d'invasion en Irak dirigée par les Etats-Unis est illégale car elle constitue une violation du Chartre des Nations Unies. »

L'Amérique diminuera le déploiement de son armée en Irak. Bien que cette initiative ne semble pas être prévue à l'échéance 2008, les successeurs de l'administration de Bush devraient également exercer un repliement graduel. Toutefois, il ne s'agira pas d'un repli intégral, qui représenterait un aveu de défaite politique des Américains à ce sujet. Ces derniers resteront vigilants quant au fait que leur « retrait pourrait dans une certaine mesure exacerber les velléités terroristes en Irak et dans d'autres régions ». En dépit de ces risques, il sera difficile de maintenir les 168 000 militaires américains stationnés actuellement en Irak. En effet, il semble peu plausible que l'armée américaine maintienne une garde aussi pléthorique en Irak. Cette éventualité s'éloigne car le gouvernement doit fait face à de multiples pressions à cet égard : primo, l'influence interne, y compris celle qui ressort des différentes couches de population et des partis d'opposition au Congrès. En 2007, le Congrès américain avait approuvé plusieurs motions liées au retrait de l'armée en Irak. Jusqu'à la mi-février 2008, les dépenses militaires des Etats-Unis destinées à la guerre en Irak ont atteint 496,4 milliards de dollars. Selon les statistiques publiées par le centre de recherche économique dirigé par Joseph E. Stiglitz, lauréat du Prix Nobel d'Economie, l'occupation en Irak entraîne des dépenses quotidiennes de 720 millions de dollars, soit une dépense totale proche de 500 000 dollars par minute (rapatriements et compensations pour les morts et blessés inclus) pour la guerre en Irak. Un chiffe quasi astronomique. Pis encore, les pertes militaires ne cessent d'augmenter. A l'heure actuelle, le nombre de décès a atteint déjà les 4 000 unités tandis que le nombre des blessés a dépassé 60 000. Secundo, les tensions au sein de l'Irak. Depuis les cinq dernières années et l'occupation de l'Irak, les Etats-Unis n'ont pas été en mesure d'établir une « démocratie à l'américaine ». Au contraire, l'hostilité à la puissance américaine gagne de plus en plus le cœur des Irakiens, les attaques ciblant l'occupant se succèdent les unes après les autres, de nombreuses manifestations éclatent à Bagdad et ailleurs, le gouvernement irakien manifeste une attitude très sévère après que le président du Parlement s'indigne du massacre des populations civiles par les forces d'occupation, une indignation qui a été embrasée après le scandale Blackwater, toutes ces réactions prouvent que les armées américaines deviennent de plus en plus indésirables. Tercio, les réserves et les critiques de la communauté internationale. La plupart des pays du monde s'opposent à l'occupation militaire américaine en Irak. Plusieurs pays qui avaient envoyé leurs troupes dans un premier temps en suivant les Etats-Unis ont déjà leurs troupes retiré les unes après les autres. La « coalition internationale » soi-disant dirigée par l'Amérique n'a plus d'internationale que le nom, puisque certains pays n'ont jamais participé à l'effort de guerre. Avec le repli des nombreux pays, y compris celui de l'allié fidèle des Américains, la Grande-Bretagne qui a réduit son contingent en Irak, la coalition s'est en réalité effondrée.

Conclusion

La restauration politique à la suite de la guerre d'Irak est confrontée à de nombreux obstacles. Le fédéralisme et « le morcellement du pouvoir » engendrés par le racisme et le confessionnalisme ont sévèrement affaibli la reconnaissance de la nation irakienne. L'Irak restera incapable de se défaire de l'agitation tant que sa reconstruction sera fondée sur le pouvoir accordé aux influences ethniques, confessionnelles et tribales. Certes, il faudra pour cela que les forces dirigeantes soient directement issues de la société irakienne en lieu et place des puissances étrangères. Au regard du niveau de développement en Irak, la consolidation de telles forces nécessitera un long processus. C'est pourquoi, l'amélioration de la situation sécuritaire connaîtra des difficultés sur le court terme.

En outre, les Etats-Unis vont changer la nature de leurs armées comme occupants mais maintiendront parallèlement leur présence militaire en Irak. Il est possible que les Américains adoptent une relation similaire à l'image de la présence militaire en Corée du Sud, conservent en Irak leurs bases militaires, des armements lourds et un contingent déterminé par le biais d'un type d'accord convenu entre les deux parties, afin de défendre les intérêts américains en Irak et dans le Golfe en formant une dissuasion stratégique à courte distance de l'Iran qui se trouvera ainsi sous « l'épée de Damoclès » formée par les Américains.



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