Au tournant de l'histoire |
Luo Hongbing et Li Yongjing Après la libération pacifique du Tibet en 1951, des troupes de l'Armée populaire de Libération et des fonctionnaires du gouvernement communiste se sont installés au Tibet. Mais pourquoi n'ont-ils pas abrogé immédiatement le système féodal de servage qui y était pratiqué depuis plusieurs centaines d'années, ni réformé la religion locale ? Selon Balsang Wangdui, directeur de l'Institut de recherche sur les ethnies de l'Académie des sciences sociales du Tibet, le gouvernement central, après la libération pacifique du Tibet, faisait face à un dilemme : d'une part, la nécessité de réformer la société tibétaine retardataire où la population menait une vie extrêmement misérable, et d'autre part, les différends religieux et idéologiques ainsi que des malentendus entre les Han et les Tibétains, à cause de l'instigation de longue date des impérialistes (Etats-Unis et Grande-Bretagne), et des politiques ethniques de discrimination et d'oppression adoptées par les gouvernements de la dynastie des Qing et du Guomindang. L'analyse de Parsang Wangdui reflète d'un côté les idées des leaders de la Chine nouvelle qui ont été exprimées d'ailleurs dans l'Accord en 17 articles sur la libération pacifique du Tibet. Cet accord, signé entre le représentant plénipotentiaire du XVe dalaï-lama et le représentant plénipotentiaire du gouvernement central de la Chine nouvelle, appelle le peuple tibétain à s'unir pour expulser les forces d'agression impérialistes du Tibet, et à revenir dans la mère patrie qu'est la République populaire de Chine ; il mentionne que le gouvernement central ne change pas le système politique en vigueur au Tibet, le statut et les pouvoirs dont disposait le dalaï-lama, ni le revenu des monastères, qu'il maintient le statut et les fonctions du panchen-lama ; que le gouvernement central n'oblige pas les autorités tibétaines à pratiquer des réformes, et que le gouvernement local du Tibet doit procéder volontairement à des réformes ; que si le peuple demande des réformes, il doit négocier avec les autorités tibétaines ; que le peuple tibétain, sous la direction du gouvernement central, a droit à l'autonomie dans les régions peuplées d'ethnies minoritaires. Melvyn C. Goldstein, des Etats-Unis, a écrit dans History of Modern Tibet : The Demise of The Lamaist State, qu'après la signature de l'accord, les principaux fonctionnaires du gouvernement local tibétain ne l'acceptaient toujours pas, jusqu'à ce que une réunion soit tenue à cet effet. La majorité des participants proposaient au dalaï-lama de le reconnaître puisque le gouvernement central avait promis dans l'accord que le Tibet pouvait garder son système d'union des pouvoirs temporel et religieux. Dans ce contexte, le dalaï-lama a adressé un message à Mao Zedong, alors président de la République populaire de Chine, disant que le gouvernement local tibétain et les Tibétains religieux et laïcs étaient unanimement favorables à l'Accord en 17 articles. Après la libération pacifique du Tibet, les autorités centrales, au lieu de toucher les intérêts des fonctionnaires locaux, des aristocrates et des monastères, ont construit des routes, des ponts et des centrales électriques, transformé des landes en champs, et donné des soins médicaux aux serfs de même qu'aux moines. Ngawang Cering, historien tibétain depuis plus de 50 ans, retient aujourd'hui encore dans sa mémoire l'influence apportée par la construction de la première école primaire publique au Tibet par l'Armée populaire de Libération. « En 1951, évoque-t-il, aussitôt après la libération pacifique du Tibet, la première école primaire publique a été établie à Qamdo. L'année suivante, les écoles primaires de Lhassa, de Gyangze et de Xigaze ont été construites. Des Tibétains de haut rang, ayant constaté que l'entreprise d'enseignement était bénéfique non seulement au peuple mais aussi à la société tibétaine, ont ouvert des écoles dans leurs manoirs, et ont commencé à recruter des enfants des familles pauvres. » Le dalaï-lama a ainsi offert un banquet en l'honneur des représentants du gouvernement central et des commandants de l'APL stationnés au Tibet. Il a dit joyeusement durant le banquet : « De nombreux faits ont prouvé que vous considérez les intérêts du peuple tibétain plus que votre vie et respectez beaucoup moi-même et tous les autres tulku (bouddhas vivants). Les fonctionnaires religieux et laïcs et moi-même en sommes très heureux. » En 1954, la première session de la première Assemblée populaire nationale – organe du pouvoir suprême de la Chine – s'est tenue à Beijing. Même si le million de serfs ne jouissaient pas encore de liberté personnelle, le dalaï-lama et le panchen-lama, leaders spirituel et temporel d'alors du Tibet, ont participé à la réunion en tant que délégués à l'APN. Le dalaï-lama a été élu vice-président du Comité permanent, devenant ainsi le premier et le plus jeune dans l'histoire tibétaine à devenir leader national ; il est aussi le Tibétain qui a assumé les plus hautes fonctions dans le pouvoir central de la Chine. Pourtant, les serfs vivaient toujours dans la misère. Ils devaient encore travailler pour leurs propriétaires comme auparavant, et les semences de même que l'argent de secours accordés par l'APL étaient même pillés par les propriétaires. Dengpa, jadis serf, évoque : « J'ai vu un esclave malade frappé de 150 coups de fouet avant d'être emprisonné, seulement parce qu'il avait fauché environ un mètre carré de blé de moins. Quand il est sorti de l'enclos, il n'avait pas les moyens de se faire soigner et est mort une dizaine de jours plus tard. » Au contraire, l'intérieur de la Chine, bien distant du Tibet, recourait à la réforme dans plusieurs domaines. Les gens s'organisaient spontanément pour créer des coopératives en vue de développer l'économie. Bien que l'Accord en 17 articles mentionne que le pouvoir de décision de la nécessité de procéder à la réforme est dans la main du gouvernement local tibétain, de nombreuses personnalités tibétaines ont vu, à travers des visites à l'intérieur du pays, les bienfaits de la réforme. Le dalaï-lama et le panchen-lama, en particulier, ont effectué des visites dans l'intérieur du pays pendant à peu près une année. Avec l'aide du gouvernement central et grâce à leurs propres efforts, ils ont créé le Comité préparatoire de la région autonome du Tibet. Le dalaï-lama a assumé la présidence de ce comité, et était chargé de préparer l'instauration de l'autonomie régionale au Tibet en vertu de la Constitution chinoise et de l'accord sur la libération pacifique du Tibet. Après la fondation de la région autonome du Tibet, le gouvernement central, compte tenu de la stabilité du Tibet et des intérêts des personnalités de haut rang, a décidé de ne pas pratiquer la réforme avant six ans. Or, cette réforme éclatera avant terme, à l'encontre de la volonté des dirigeants chinois.
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