|
||
Crise des réfugiés : l'Allemagne peut-elle de nouveau guider l'Europe ? |
||
Wu Huiping | ||
Mots-clés: crise des régugiés; Allemagne; prédominance; Wu Huiping; Monde |
L'Europe est aujourd'hui de plus en plus fréquemment en proie à des crises. Devant les épreuves internes et externes, la Grande-Bretagne donne l'impression d'être indifférente, la France a déjà du mal avec ses propres affaires et les principales organisations de l'Union Européenne sont relativement faibles. Il semble par conséquent que la prédominance de l'Allemagne reste irremplaçable. En particulier, depuis l'arrivée au pouvoir de Mme Merkel il y a 10 ans, l'Europe est de plus en plus dépendante de l'Allemagne sous la direction de Mme Merkel pour gérer les crises, que ce soit la prise de décisions au sein des organismes de l'Union européenne (UE) ou les négociations sur la sortie éventuelle de la Grèce de la zone euro ou encore les bons offices dans les conflits entre la Russie et l'Ukraine.
La montée en puissance de l'Allemagne au sein de l'UE est incontestable. Jamais cette dernière n'a été aussi influencée par l'Allemagne en ce qui concerne ses intérêts, ses conceptions, ses modèles et ses stratégies. En particulier au cours de la crise de la dette dans la zone euro, l'Allemagne est devenue progressivement la force directrice de l'Europe, certains pays l'ont même incitée à assumer un rôle de leader de l'Europe.
Il faut constater que l'Allemagne domine l'Europe au lieu de la diriger. Elle se sert de sa prédominance économique pour défendre les principes normatifs et faire respecter les principes fondamentaux de l'ordre européen. Elle s'engage à la coexistence civilisée entre les pays par le biais de la négociation et du droit et à la diffusion des conceptions et des règlements avec ses résultats politiques et économiques pour obtenir la confiance des autres pays et être suivie. En tant que grand pays politique régional, la principale méthode à travers laquelle l'Allemagne exerce son influence tient peu à la direction, car elle est souvent liée aux responsabilités et aux engagements, ce qui l'accablerait. L'Allemagne n'a donc pas épargné ses efforts dans l'application de ses conceptions, de ses modèles, de ses décisions et de ses intérêts nationaux à l'Europe, elle domine et influe sur l'Europe par ses résultats politiques et économiques.
L'Allemagne pousse à une solution européenne dans la crise des réfugiés
Dans le dossier de la crise des réfugiés en Europe, l'Allemagne s'est aussi distinguée par sa prédominance. Le pays, qui est attendu au tournant, a appliqué des politiques souples en acceptant un nombre de réfugiés qui dépasse de loin celui de tout autre pays. Par ce geste, elle est arrivée à assurer, dans une certaine mesure, le « leadership moral » de l'Europe. Mme Merkel, qui a sauvegardé fermement le droit d'asile, est devenue une héroïne et a même été nommée « Personnalité de l'année » par le Time et le Financial Times. Donald Franciszek Tusk, ancien premier ministre polonais et président du Conseil européen, a appelé début novembre l'Allemagne à prendre en charge la responsabilité principale, en précisant que « l'avenir de l'Europe dépend en grande partie de la manière dont l'Allemagne traitera la crise des réfugiés » et que « tout le monde regarde l'Allemagne et observe les signaux en provenance de Berlin ».
L'Allemagne a associé entre autres l'Autriche et la France pour faire parvenir à une solution au niveau de l'Europe. Le moteur intégré franco–allemand est entré en service une nouvelle fois. Le 7 octobre, lors d'une réunion du Conseil européen, Mme Merkel et M. Hollande ont appelé tous deux l'UE à maintenir la solidarité et à étaler la pression du flot de migrants au sein des pays de l'UE. Avec les efforts de l'Allemagne, l'UE s'est progressivement débarrassée du désordre et de la passiveté qu'elle a connus au début de la crise des réfugiés. Au fur et à mesure que l'Allemagne procédait à des révisions de ses lois et à la mise en application d'une série de politiques, les mesures en réponse à la crise à l'échelle de l'UE ont gagné en maturité pour former un réseau d'idées systématiques. L'influence et l'appel de l'Allemagne au sein de l'UE ont été considérables pendant ce processus. C'est le même cas pour le lancement du plan de répartition des réfugiés contraignant établi par l'UE. Bien que quatre pays membres d'Europe centrale et orientale (PECO), soit la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque et la Slovaquie se sont opposés à l'idée des quotas migratoires et que le Danemark, le Royaume-Uni et l'Irlande ont refusé un quota de migrants imposé par l'UE, l'Allemagne a associé entre autres l'Espagne et la France par le biais de la persuasion et de la pression pour favoriser l'adoption du plan de répartition des réfugiés le 22 septembre au cours du Conseil des ministres de l'Intérieur de l'UE. Même la Pologne, qui s'était opposée à cette répartition, a voté pour ce plan avec une attitude coopérative.
Les caractéristiques politiques de l'Europe font obstruction à la prédominance allemande
La conception du système de l'UE s'oppose à l'hégémonie. Par conséquent, une Allemagne de plus en plus prédominante peut susciter un sentiment défensif de la part des autres pays. Malgré l'appel franco-allemand à la solidarité européenne, le fossé entre les pays membres d'Europe du sud et ceux du nord s'est élargi suite à la crise de la dette dans la zone euro et les relations entre les pays membres de l'UE se sont fragilisées avec la crise des réfugiés. Une grande divergence de positions émerge entre l'Europe occidentale et orientale : le premier ministre hongrois Viktor Orban a blâmé « l'impérialisme moral » de l'Allemagne en proclamant que la question des réfugiés n'est plus hongroise ou européenne, mais allemande ; la République Tchèque a reproché à l'Allemagne d'imposer une nouvelle fois ses volontés à d'autres pays, déclarant que les relations entre les deux pays avaient reculé de 20 ans ; la Slovaquie a déposé plainte début décembre auprès de la Cour européenne contre la répartition obligatoire de réfugiés, soulignant qu'il s'agissait d'une guerre éclair déclenchée par l'Allemagne et Bruxelles, et Donald Tusk, président du Conseil européen, qui a appelé l'Allemagne à assumer la responsabilité principale dans cette crise, a déclaré que la répartition des réfugiés était une « menace politique ». A propos du plan de répartition, chaque pays a sa propre position. Sous prétexte d'identité nationale, des pays refusent d'accepter les réfugiés et détournent la responsabilité de l'admission des migrants vers des pays riches comme l'Allemagne et la Suède.
La grande envergure de la crise des réfugiés dépasse de loin la portée d'un pays. La question de savoir si l'Allemagne pourra ou non persuader des pays membres de l'UE à parvenir à une solution commune est devenue la pierre de touche de son rôle directeur en Europe. Néanmoins, l'influence de l'Allemagne sur les autres pays est assez limitée ; mis à part l'appel à la solidarité et à la justice, Berlin manque de mesures efficaces pour coopérer avec d'autre pays membres et ne peut que faire avancer le plan de répartition au sein de quelques pays membres qui ont formé volontiers un « club bénévole », par exemple, par l'intermédiaire du renforcement de la coopération avec la Turquie. Comme grand projet politique, l'intégration européenne demande le compromis et l'équilibre de tous les pays membres, basés sur leurs propres intérêts, et il est impossible de les contraindre par des mesures obligatoires. La Pologne a refusé le quota imposé avec l'arrivée du nouveau gouvernement et fin 2015, quelques centaines de réfugiés seulement ont été délocalisés. Pour cela, il n'y a rien que l'Allemagne puisse faire.
La crise des réfugiés pousserait l'Allemagne à la retenue diplomatique
Dans son livre « Les paradoxes de la puissance allemande », Hans Kundnani, membre du Conseil européen des relations internationales, explique de manière pointue que les paradoxes du rôle directeur de l'Allemagne résident dans ses contradictions et antinomies structurelles, que l'Allemagne est à la fois puissante et faible, ce qui fait obstruction à son statut de grand pays politique régional. La crise des réfugiés témoigne de ces paradoxes, l'Allemagne ne peut ni contrôler la source de la vague des migrants, ni commander les attitudes des alliés européens et Mme Merkel a ainsi subi une grande pression dans le pays à cause de sa politique de répartition sans plafond. Les intérêts nationaux de l'Allemagne déterminent une position qui a tendance à être dure face à l'UE.
En réalité, même si l'Allemagne se tient à une certaine hauteur morale dans la crise des réfugiés, elle n'est pas traditionnellement favorable aux migrants et elle ne brandit pas depuis le début l'étendard de la moralité, de la responsabilité et de la solidarité européenne. Sa position concernant la répartition des réfugiés connaît un changement. En fait, l'Allemagne et la France se sont opposées pendant longtemps au système des quotas au sein de l'UE, car si les quotas dépendent de la population et de la puissance économique, l'Allemagne sera sans aucun doute le pays qui accueillera le plus de migrants. Le 13 septembre, ne supportant plus les foules interrompues de réfugiés depuis 2015, elle a finalement pris la décision de reprendre les contrôles aux frontières avec l'Autriche et a appelé à un plan de répartition plus juste à l'échelle européenne.
La crise des réfugiés pourrait pousser l'Allemagne à réorienter ses politiques diplomatiques et européennes, et, après quelques années de pratique d'une politique diplomatique proactive, à se replier sur sa retenue traditionnelle. L'Allemagne n'a aujourd'hui ni la volonté ni la capacité d'assumer le rôle de « leader » pour dominer l'UE face aux différents défis. Son influence sur l'Europe est limitée par sa propre force ; il ne faut donc pas surestimer la volonté politique et la capacité d'agir de l'Allemagne dans la résolution des affaires européennes voire même internationales.
(Wu Huiping est chercheuse au Centre de recherche sur l'Allemagne de l'université Tongji, professeure à l'Institut des affaires de la République fédérale d'Allemagne de l'université Tongji.)
Beijing Information
![]() |
Liens: |
|
24 Baiwanzhuang, 100037 Beijing République populaire de Chine
京ICP备08005356号 京公网安备110102005860号