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Publié le 28/04/2010
Pékin, à mes yeux

Quand je pense à Pékin, je me plais à donner à cette place un caractère central. Avec une carte et un crayon, il est même possible d'en faire le centre d'un caractère. Il suffit pour cela de chercher à déchiffrer la carte comme si les rues dessinaient des idéogrammes. Avec un peu d'imagination, on peut alors voir le caractère gen, 艮.

Il suffit de considérer Guowang Hutong, Zhangwang Hutong et Doufuchi Hutong, et d'en faire la partie supérieure du caractère. Ce sont trois hutongs au nord de la place, qui sont parallèles, et sont orientés d'ouest en est. On les complète avec une portion de Zhaofu Jie sur le côté droit, entre Guowang Hutong et Doufuchi Hutong. Sur le côté gauche, on descend Jiugulou Dajie, jusqu'à Gulou Xi Dajie, et on remonte sur le côté nord-ouest de la Tour du Tambour. D'un coup de crayon, il n'y a plus qu'à souligner le côté sud-est de la Tour de la Cloche, puis à traverser la place du nord-ouest vers le sud-est. Le caractère 艮signifie inébranlable, solide, franc. C'est aussi un des huit trigrammes dans le Livre des Mutations, qui signifie stabiliser. A chaque fois que je suis passée à Pékin, je suis allée revoir les deux tours, les Tours du Tambour et de la Cloche. Il me semblait trouver là un élément invariant, qui, malgré les changements intervenant ailleurs, résistait à la frénésie ambiante, et donnait à la ville sa force et son charisme. Et encore aujourd'hui, quand je repense à Pékin, ce sont d'abord Gulou et Zhonglou qui attirent mon attention, comme les deux pôles d'un aimant.

L'autre respiration, Pékin la doit à ses habitants. Bien sûr, je ne prétends pas parler de la population de Pékin dans son ensemble, mon propos se limite à ma brève expérience. Ce qui m'a frappée, dans les rencontres que j'ai faites, c'est leur simplicité, et, malgré leur contingence, les amitiés qui en sont nées.

J'ai vécu dans d'autres grandes villes, à Paris, à Londres, à Milan. Mais nulle part des passants croisés par hasard se sont révélés de vrais amis. L'hétérogénéité sociale des personnes avec lesquelles je me suis liée m'a donné une impression de fluidité que je n'ai pas ressentie en Europe. Il m'a semblé que les frontières sociales s'autorisaient un peu plus d'absences qu'ailleurs. Cela étant dit, je ne suis pas dupe.

Ma condition d'étrangère en Asie modifie la donne, changeant à la fois ma manière de regarder les gens et leur attitude à mon égard. Mais cela m'a frappée, car la ville réunit des personnes de conditions très diverses, que distinguent la culture, la langue maternelle, l'expérience, et qui sont loin de partager les mêmes opportunités.

Je me souviens des paroles d'un migrant avec lequel j'avais sympathisé. Un homme adorable, qui avait quitté le Henan pour travailler à Pékin, et faisait vivre sa famille en récoltant cartons et plastiques sur sa carriole à trois roues. Après quatre années passées à Pékin, il décrivait ses difficultés à habiter cette ville, il parlait de la distance qu'il voyait dans le regard de ses résidents, et qui faisait de lui un éternel « migrant local », un dididaodao de nongmingong. La conversation entre nous n'en restait pas moins tangible, et précieuse. C'est aussi la mixité de la ville, la diversité des personnes qu'elle réunissait, qui rendait une telle conversation possible.

L'afflux de personnes de tous horizons rend Pékin particulièrement intéressante à mes yeux. La proportion conséquente de waidiren, « personnes de l'extérieur », est une richesse ; elle aide le nouvel arrivant, en lui laissant un peu de répit, en le rendant moins visible, moins singulier. Ce n'est pas le cas de nombre de grandes villes de Chine ou d'Europe qui n'accueillent que peu de migrants, d'étrangers, de voyageurs. Parmi ceux qui rejoignent Pékin, il y a un nombre considérable d'artistes, parce que la ville est une capitale culturelle. Ce sont aussi ces artistes qui font vivre le Pékin que j'aime, et contribuent à le rendre fascinant.

Enfin, l'ambiance de la ville tient aux Pékinois eux-mêmes, à la culture populaire de la ville, à l'animation qu'elle porte dans les rues, à la saveur du parler local. Je ne sais rien du dialecte pékinois, mais je n'en apprécie pas moins ses accents colorés, sa théâtralité.

Un souvenir est particulièrement présent à mon esprit : un jour que je déjeunais au restaurant, en compagnie de collègues, l'un d'entre eux reconnut, dans le groupe qui venait d'arriver dans la salle à côté, Ma Ji, un acteur célèbre (décédé depuis) de xiangsheng, cette forme de comédie traditionnelle dialoguée. Ma voisine, m'attrapant par le bras, m'emmena le voir ; à notre grande surprise, il nous invita à nous asseoir avec eux. Tout en découvrant des spécialités culinaires pékinoises, j'eus la chance d'entendre l'un des acteurs du groupe déclamer un extrait d'un spectacle à venir. La musique de la langue me sembla plus goûteuse encore que les plats qui avaient défilé sur la table. Ce qui s'est dit exactement, les paroles échangées, le nom des plats partagés, tout ça a été oublié. Mais je me souviens d'une chose : le regard de Ma Ji était surprenant de gentillesse.

Les yeux des inconnus peuvent beaucoup pour rendre l'atmosphère d'une ville respirable. C'est avant tout de cette gentillesse, rencontrée dans tant de regards à Pékin, que j'ai gardé la nostalgie.

Beijing Information

 

 

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