Les 3e et 4e étages du centre commercial Huawei à Beijing proposent des espaces de produits dérivés ACGN. 

Un badge en métal et plastique plus cher qu’un bon repas au restaurant à Beijing ? Wang Hui aurait eu du mal à l’imaginer. Arborant un personnage de dessin animé, cet objet qu’elle considère comme simple « gadget » est pourtant précieux aux yeux de sa fille lycéenne. Pour cette dernière, il représente un rayon de soleil dans sa vie scolaire stressante.

Mais ne nous y trompons pas : cette anecdote n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans un mouvement bien plus large. En effet, les produits dérivés des univers de l’animation, des bandes dessinées, des jeux vidéo et des romans (ACGN, en anglais) suscitent un réel engouement chez les jeunes Chinois, particulièrement chez les générations Z et Alpha, c’est-à-dire les moins de 28 ans. Par ailleurs, ces marchandises liées à des personnages de franchise populaires sont surnommées affectueusement guzi. Un terme choisi à la fois pour sa prononciation proche de « goods » en anglais et sa signification de « grains de céréales » en chinois. L’acte d’acheter des guzi est souvent appelé chigu, ce qui signifie littéralement « manger des goods ». Comme pour rappeler qu’il est nécessaire de se nourrir de culture ACGN !

« Le week-end, ma fille écume les magasins de guzi dans les centres commerciaux, et y passe souvent plus d’une heure », confie Mme Wang, ajoutant qu’elle débourse entre 50 et 200 yuans par semaine pour ne pas décevoir sa fille. « Je le fais en guise de récompense pour ses bons résultats scolaires, mais aussi pour l’aider à souffler face à la pression des études. »

Selon les données de la firme de conseil iiMedia Research, le marché des guzi en Chine a atteint environ 169 milliards de yuans en 2024, contre 120 milliards en 2023. Une progression fulgurante, qui devrait se poursuivre avec un marché estimé à plus de 309 milliards de yuans d’ici 2029.

Véritable reflet des aspirations des jeunes générations, ce segment en plein essor illustre l’impact culturel profond des produits dérivés ACGN. Loin d’être de simples objets, ces guzi incarnent des extensions de leur personnalité, des ponts vers leurs pairs et des emblèmes de leur identité sociale.

Shanghai Bailian ZX Creative Center, premier centre commercial pour la culture ACGN, est une destination incontournable pour les passionnés.

Un marché en plein essor

Les guzi se déclinent en une multitude de produits variés : badges, figurines, porte-clés, charmes de sac, ainsi que des accessoires de papeterie. Ces objets, à la fois ludiques et fonctionnels, séduisent par leur originalité et leur capacité à personnaliser le quotidien. Parmi les tendances les plus prisées, les boîtes mystères, qui renferment des objets de collection, captivent les amateurs grâce à leur aspect imprévisible et leur promesse de découverte.

Les prix des guzi varient considérablement selon plusieurs facteurs, notamment le type de produit, leur popularité et la marque. Pour les petits articles comme les badges ou les porte-clés, les prix démarrent à environ 10 yuans. En revanche, pour des produits plus élaborés tels que des figurines ou des vêtements, ils peuvent atteindre plusieurs centaines de yuans. Les éditions limitées, quant à elles, se distinguent par des prix plus élevés, certains objets très recherchés dépassant même plusieurs milliers de yuans.

Selon les statistiques de Tianyancha, l’une des plus grandes bases de données d’entreprises en Chine, le nombre de sociétés actives dans la filière des guzi a augmenté de 14 % entre janvier et novembre 2024 par rapport à la même période en 2023, atteignant un total de 64 000.

Cette dynamique positive est également soulignée par Ma Yuanfang, analyste chez Zheshang Securities, qui met en avant le potentiel de croissance à long terme de l’économie des guzi. « De nouvelles licences et franchises continueront d’émerger et de se développer, tandis que les stratégies de marketing et les scénarios de consommation deviendront plus diversifiés et sophistiqués », explique-t-il au portail d’information Tidenews.

Cependant, tout n’est pas rose au pays des guzi. Xiao Qi, propriétaire d’un magasin de ces produits à Beijing, met en garde contre plusieurs défis. « Le marché des guzi devient de plus en plus concurrentiel, avec l’arrivée de nombreux nouveaux acteurs. Certains d’entre eux privilégient les profits rapides au détriment de la qualité, allant même jusqu’à vendre des produits contrefaits à bas prix. Ces pratiques nuisent au développement durable de la filière. »

Mme Wang souligne un autre écueil majeur : l’homogénéisation croissante du marché. En effet, les magasins de guzi se concentrent souvent sur les mêmes licences populaires, ce qui entraîne une répétition des articles d’un magasin à l’autre et limite la diversité et l’originalité offertes aux consommateurs.

Wang Peng, chercheur associé à l’Académie des sciences sociales de Beijing, a quant à lui mis en avant les conditions nécessaires à la durabilité de l’économie des guzi. Selon lui, les jeunes consommateurs font preuve d’un intérêt durable pour les produits qui résonnent émotionnellement avec eux et offrent une personnalisation. Cependant, il met en garde : si le marché est porté par un battage médiatique excessif ou par des comportements spéculatifs qui font flamber les prix, cette croissance pourrait n’être que temporaire. « Pour assurer un avenir pérenne à la filière, il est essentiel d’améliorer la qualité des produits, de diversifier les sources d’inspiration, d’innover continuellement dans la conception des produits, de renforcer les capacités de recherche et développement, et de mieux réguler le marché », indique le chercheur au journal China Consumer News.

Émergence d’une sous-culture ACGN

La fille de Mme Wang, Wu Ziyi, a partagé qu’elle avait collectionné près de 100 articles guzi. « J’adore particulièrement Haikyū!! [un shonen japonais populaire sur le volley-ball, ndlr] ! Je classe soigneusement et expose tous les produits que j’ai achetés, et chaque fois que je les vois, cela me procure de la joie. »

Mais pourquoi les guzi exercent-ils un tel attrait sur les jeunes ? Selon Tang Qiao, directeur adjoint du bureau de recherche sur la littérature en ligne à l’Institut de littérature de l’Académie des sciences sociales de Chine, ils incarnent l’affection profonde et la fidélité que les fans ressentent envers les personnages et les univers de leurs œuvres préférées, qu’il s’agisse de littérature en ligne, d’anime ou de films. Ces objets ont une double valeur : ils sont à la fois des pièces de collection et des supports d’expression personnelle, mais surtout, ils revêtent une dimension sociale essentielle.

Pour de nombreux jeunes, les guzi sont bien plus que de simples objets : ils sont un langage. Un moyen d’exprimer leur identité et de créer des liens avec d’autres passionnés. Sur les réseaux sociaux, les fans partagent fièrement leurs collections et échangent des conseils. Comme le répète souvent une phrase culte parmi les amateurs : « Si tu ne montres pas tes guzi, c’est comme si tu ne les avais jamais achetés. »

Ces objets jouent également un rôle central dans la création de communautés soudées autour de leurs univers préférés. Les jeunes se retrouvent dans des magasins de guzi, transformant ces visites en moments clés de leur vie sociale et en occasions de renforcer leurs amitiés autour de passions partagées.

La culture des guzi s’est ainsi imposée comme une sous-culture majeure. Face à cet engouement, les centres commerciaux ont repensé leurs espaces et intégré des boutiques spécialisées, ce qui a ramené dans les magasins physiques un public jeune qui avait pris l’habitude de privilégier les achats en ligne.

Alors que de nombreux centres commerciaux vieux de plusieurs décennies, autrefois marqués par des décors désuets, se métamorphosent en hubs vibrants dédiés à la culture ACGN. Ils ne se contentent pas de redynamiser leurs espaces : ils redéfinissent leur rôle dans la société. En accueillant régulièrement des événements à thème, ils créent une atmosphère unique où se croisent nostalgie et pop culture moderne. Ces lieux, devenus des destinations culturelles à part entière, montrent comment les guzi transcendent leur statut d’objets pour inspirer de nouvelles formes de sociabilité et de créativité. Un bon deal, n’est-ce pas ?

*LU YAN est journaliste à Beijing Information.