Développer le territoire rural en tenant compte des particularités locales sans défigurer le paysage ? C’est ce que vise une méthode conçue par un cabinet d’architecture chinois au Zhejiang.

La restauration par Xu Tiantian d’un vieux pont en pierre entre deux villages de Songyang réhabilite le monument dans son rôle utilitaire d’espace social pour les marchés et les événements. (VCG)

Dans le village de Xingcun, relevant du district de Songyang (Zhejiang), des structures en acier léger se dressent près d’un champ de cannes à sucre et font écho aux pics rocheux des montagnes situées derrière. À travers de grandes cloisons vitrées, on peut suivre la production de sucre roux comme une performance en direct : l’aménagement de l’espace, l’éclairage, l’uniforme des travailleurs, les effets ombre et lumière, même la chaleur et la vapeur du wok de cuisson, tout est chorégraphié ; les dessins au crayon sur les murs de verre indiquent le processus traditionnel de production de sucre telle la trame d’une histoire qui se joue à l’infini.

La région de Songyang est importante pour la culture de la canne à sucre et la production de sucre roux, qui est désormais la principale source de revenus de Xingcun. Avant la construction de cette installation métallique en 2016, les familles fabriquaient du sucre dans de grands pots en fer directement sur leurs exploitations. Il leur était difficile de joindre les deux bouts, les conditions ne répondant pas aux normes de sécurité alimentaire pour que le sucre roux soit vendu dans les supermarchés. La jeune génération, elle, n’a guère eu envie de rester à la campagne ni de reprendre des ateliers familiaux en difficulté.

Cette nouvelle usine a été établie pour regrouper les ateliers familiaux et améliorer les conditions de production. Ainsi, le prix du sucre a pu augmenter, de même que les revenus de la population locale. Une cinquantaine d’anciens habitants sont même revenus vivre à Xingcun pour rejoindre l’équipe de production. Servant aussi d’espace de communication sociale entre le village et le monde extérieur, ce bâtiment se caractérise par son chic rustique, contribuant à attirer une foule croissante de citadins curieux en quête de micro-aventures. Leur nombre total par an est passé de 200 en 2016 à 15 000 en 2019, ce qui a créé une forte demande en termes de gîtes et de commerces de proximité.

Le cas de Xingcun illustre bien la méthode mesurée et durable, nommée acupuncture architecturale, mise en place par Xu Tiantian, fondatrice du cabinet d’architecture DnA à Beijing, et les autorités locales depuis 2014. Les bâtiments qui intègrent les ressources existantes et l’artisanat traditionnel tombé aux oubliettes créent des perspectives positives pour l’avenir du développement culturel, social et économique.

Acupuncture stratégique

La stratégie d’acupuncture architecturale mise en œuvre à Songyang sert de nouvelle approche pour la préservation des villages historiques. (VCG)

Constitué de plus de 400 villages, Songyang est un district rural dans le sud-ouest de la province du Zhejiang. Son paysage particulier, composé de douces collines, de rizières et de plantations de thé, se retrouve dans la littérature traditionnelle chinoise et dans de nombreuses peintures. Le magazine National Geographic l’a qualifié de « dernier endroit mystérieux au sud du fleuve Yangtsé ». Avec l’accélération de l’urbanisation, la majorité de la main-d’œuvre s’est déplacée des zones rurales vers les villes, la campagne s’étant retrouvée avec une majorité de parcelles cultivables en jachère et des maisons vacantes et délabrées, où seules subsistaient les cultures et traditions agraires du passé. Songyang n’a pas fait exception à la règle.

Au cours des sept dernières années, les dirigeants du district ont travaillé, en collaboration avec l’équipe de Mme Xu, pour relancer l’économie rurale en créant un écosystème local constitué de nouvelles installations et d’autres bâtiments réhabilités dans les différents villages de la région. Qu’il s’agisse de la fabrique de tofu, de l’atelier d’huile de camélia, de la distillerie de vin de riz ou encore de l’usine de poterie, chacun de ces programmes publics multifonctionnels a été adapté à la complexité du patrimoine culturel et du contexte respectifs, en adoptant une approche d’interventions minimales. Ce faisant, Mme Xu cherchait à appliquer une stratégie partageant une notion conceptuelle similaire avec l’acupuncture dans la médecine traditionnelle chinoise.

En effet, en positionnant les aiguilles sur un ensemble de points méridiens du corps humain, en prenant en compte les fonctions des divers systèmes d’organes, les interventions ont pour effet d’améliorer le bien-être global du patient plutôt que de cibler uniquement les symptômes. Avec l’acupuncture architecturale, Mme Xu essaye d’améliorer le système de manière holistique et de redonner aux habitants la fierté de leur identité locale. La plupart des projets font appel à des matériaux locaux simples et à des techniques de construction traditionnelles, le tout mis au goût du jour pour créer un art vernaculaire contemporain.

Circulation économique

Contrairement à certains villages touristiques du pays qui ont bénéficié d’investissements massifs, la stratégie d’acupuncture de Songyang fonctionne avec un budget limité pour motiver et inspirer les communautés locales ainsi que pour attirer des investissements et des ressources externes. Peu de temps après la réalisation des projets initiaux, de plus en plus de villages ont exprimé leur intérêt à rejoindre l’écosystème basé sur l’acupuncture architecturale. Certains ont même proposé des programmes détaillés.

En parallèle, une nouvelle circulation économique a pris forme dans toute la région. L’usine de poterie fournit des produits d’emballage pour le vin de riz et le sucre roux, et l’atelier de production de soie et l’usine de fabrication de papier proposent du matériel de teinture à un atelier du village de Pingtian. Le concept de Mme Xu agit comme un catalyseur qui permet aux communautés de se construire un avenir selon leurs propres termes, tout en contribuant à combler le fossé béant entre la campagne et la ville. « Nous essayons de jeter un pont entre les villages et la ville », explique-t-elle. Depuis ses premiers projets à Songyang, plus de 6 000 personnes sont retournées à Songyang pour créer de nouvelles entreprises, fortes de leurs expériences en milieu urbain. Les revenus bruts du tourisme dans le district sont passés de 1,85 milliard de yuans (287,3 millions de dollars) en 2016 à 5,37 milliards de yuans (833,96 millions de dollars) en 2020, avec 4,9 millions de visiteurs l’an dernier.

Entre-temps, l’histoire du développement de Songyang a suscité un vif intérêt dans le monde entier grâce à des expositions à Berlin, à Vienne et à la Biennale d’architecture de Venise. À l’occasion de la première Assemblée d’ONU-Habitat en mai 2019 à Nairobi, au Kenya, son expérience a été citée comme un bel exemple de revitalisation rurale.

Remy Sietchiping, chef de l’unité de planification régionale et métropolitaine d’ONU-Habitat, a indiqué que le développement dans le district avait transformé cette zone rurale en adoptant des innovations à bas coût. « Ce modèle de transformation rurale prouve que les villages pourraient bénéficier d’un niveau de vie élevé. Les projets sont peu onéreux et réalisables à court terme car ils utilisent des matériaux locaux. Le résultat fait le lien entre l’écologie et l’économie », a-t-il souligné.

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