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Chroniques des hutong de Beijing |
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YU XIANGJUN, membre de la rédaction · 2024-10-31 · Source: La Chine au présent | |
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Des enfants devant la Tour des Archers à Qianmen, le 7 juin 2014
Impossible de décrire Beijing en un seul mot. Cette ville est d’une complexité inouïe. Chaque voyageur arrivant par avion, de nuit, peut contempler cette mer de lumières depuis les cieux, évoquant une lave bouillonnante qui s’écoule méthodiquement le long du plan urbain. Si l’Avenue Chang’an, Sanlitun, Guomao et le Stade olympique représentent les points culminants de la capitale, les hutong, disséminés le long de l’Axe central de Beijing, en incarnent l’autre facette. Ils narrent l’histoire de la ville et de ses habitants avec une douceur particulière, dans des lieux où les lumières du CBD et les néons de la ville ne parviennent pas. Les petits restaurants familiaux, les brochettes de fruits caramélisés et même un bol de douzhi (lait de haricots fermentés) incarnent l’essence quotidienne de cette métropole.
Durant mes années d’études, rares étaient ceux, dans le cercle artistique de Beijing, qui s’intéressaient aux hutong. À cette époque, la ville en conservait encore un grand nombre intacts. Ces lieux considérés comme familiers manquaient d’un charme particulier, et les gens étaient souvent indifférents à ces éléments ordinaires qui les entouraient. Cependant, après l’an 2000, la rénovation de la ville s’est accélérée, et de nombreux hutong ont disparu, remplacés par des gratte-ciel à perte de vue. C’est à ce moment-là que les gens ont pris conscience que ce qui leur était familier s’éloignait progressivement. Beaucoup ont alors commencé à utiliser leurs objectifs et leurs pinceaux pour immortaliser les images des hutong, tentant de préserver les souvenirs et les scènes de vie chaleureuses.
Le hutong Yangmeizhu Xiejie est bien préservé avec ses librairies, restaurants et boutiques élégantes.
Pour moi, la véritable prise de conscience de l’importance de documenter les images des hutong et de l’axe central remonte à une photographie prise en 1993. C’était encore l’époque de la pellicule. Un soir, en longeant la Cité interdite, j’ai aperçu deux enfants vêtus de blanc jouant dans le crépuscule, une scène qui évoquait fortement un plan du film La Rivière de boue du réalisateur japonais Kōhei Oguri. Au moment où j’ai appuyé sur le déclencheur, j’ai ressenti une profonde émotion. Par la suite, la mémoire urbaine est devenue un thème majeur de mes prises de vue. Ce qui est précieux, c’est que malgré la démolition rapide et la rénovation de la ville, de nombreux hutong près de l’axe central de la ville ont été préservés et, grâce à une nouvelle planification, ont retrouvé leur vitalité. En explorant l’histoire de la ville, j’ai documenté son apparence et capturé de nombreuses images près de cette artère principale qui traverse Beijing.
L’essor fulgurant des médias sociaux a transformé la vie quotidienne dans les hutong en l’un des sujets de création les plus prisés. De nombreux anciens résidents de Beijing ainsi que certains jeunes artistes en visite ont commencé à véritablement scruter et apprécier le charme unique de cette vieille capitale. Ils utilisent leurs caméras pour capturer les joies et les peines des habitants des hutong ainsi que les changements des saisons. Ces hutong ancestraux incarnent la vie des citoyens ordinaires de Beijing et témoignent des évolutions historiques et culturelles de la ville.
Ces dernières années, les jeunes artistes évoquent fréquemment le « style de la République de Chine ». Ils cherchent constamment à retrouver, à travers les images, le Beiping (ancien nom de Beijing) d’antan. Hélas, les remparts de Beijing ont été démolis il y a plusieurs décennies, et le concept de « ville intérieure » ne subsiste plus que dans les souvenirs. En 1981, lorsque le réalisateur Ling Zifeng a adapté le célèbre roman de Lao She, Le Pousse-pousse, les scènes de Beijing ont été tournées à Xi’an (Shaanxi), où les remparts étaient encore intacts à l’époque. La restauration préventive des hutong a permis à un grand nombre de ceux situés près de l’Axe central de Beijing de retrouver leur apparence originelle. À travers ces quartiers et cours presque intacts, les gens peuvent revivre les moments disparus. En automne, les feuilles de ginkgo tapissent le sol, et en hiver, la neige immaculée crée une atmosphère intemporelle. Se promener dans ces lieux, c’est comme voyager dans le temps, retournant dans l’ancien Beijing, où le temps semble ralentir, contrastant fortement avec le rythme effréné de la ville, offrant ainsi une saveur unique.
Un jeune en tenue traditionnelle dans la rue Jingshan Qianjie à Beijing, le 7 novembre 2021 (PHOTOS : YU XIANGJUN)
Avec le développement économique fulgurant, les activités de loisirs des jeunes se sont diversifiées de manière exponentielle, et les hutong ont commencé à rajeunir. Pour permettre d’échapper au stress quotidien, certains hutong emblématiques situés près de l’Axe central de Beijing sont devenus des destinations prisées pour les sorties du week-end. Par exemple, Yangmeizhu Xiejie, près de Qianmen, est un hutong particulièrement dynamique. Les ruelles autrefois encombrées et les habitations délabrées ont été transformées en une multitude de bars, cafés et boutiques de design, devenant ainsi de plus en plus tendance. La Semaine internationale du design de Beijing s’y est d’ailleurs tenue en 2015. Il existe un dicton selon lequel, lorsque les habitants de Beijing parlent d’histoire, les gens de Xi’an rient, mais la plupart de l’histoire de Xi’an est enfouie sous terre et n’est pas facilement accessible aux non-professionnels. Beijing, en revanche, est différente ; les histoires des hutong sont vivantes et animées. Boire le dernier cocktail à la mode dans de vieilles cours, chanter des chansons populaires et observer les passants devant la porte répondent aux aspirations esthétiques des nouvelles générations.
Le chanteur folk de Beijing, Zhao Lei, évoque dans sa célèbre chanson Gulou : « Je suis un passager silencieux, pensant à toi en regardant par la fenêtre, lorsque le bus 107 passe à nouveau, le temps est celui qui emporte la jeunesse ». Cette chanson confère une grande poésie à l’intersection de Gulou Dajie, et même lorsque le bus 107 arrive lentement, une touche de romantisme commence à se diffuser dans l’air. Au fil des années, ce carrefour a vu d’innombrables personnes aller et venir. Personne ne reste jeune éternellement, mais Beijing reste vivante grâce aux âmes vibrantes de ses habitants.
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