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Etiemble, un intellectuel de son siècle |
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Jacques Fourrier · 2016-04-05 · Source: Beijing Information | |
Mots-clés: René Etiemble; Arnaud Viviant; Qian Linsen; Culture |
L'Institut français de Beijing et l'ambassade de France en Chine ont proposé le 30 mars une rencontre avec l'écrivain et critique littéraire français Arnaud Viviant et le professeur Qian Linsen autour de l'œuvre et de la pensée du sinologue français René Etiemble.
René Etiemble
Etiemble…Un intellectuel tombé dans l'oubli en France, et dont le seul nom pourrait évoquer davantage un philosophe des Lumières, à la manière d'un Voltaire, d'un d'Holbach ou d'un Sade, que celui plus anodin d'un professeur agrégé ancien pensionnaire de la rue d'Ulm, d'un sinologue universitaire et d'un écrivain dans l'ombre d'un Jean Paulhan qui aura traversé le XXe siècle. C'est de cet homme de son temps, ce siècle du « grand schisme idéologique » dont parle l'historien Michel Winock, mais aussi de ce lettré à la destinée contrariée qu'Arnaud Viviant avait choisi de parler lors d'une rencontre avec le professeur Qian Linsen intitulée « De la défense du français à Mao : itinéraire d'un intellectuel dans le siècle. Sur les traces de René Etiemble ».
Qian Linsen et Arnaud Viviant
Un lettré à la destinée contrariée
Né en 1909, René Etiemble entame un parcours fulgurant à la manière de certains de ses contemporains les plus illustres en intégrant la promotion 1929 de l'Ecole normale supérieure aux côtés notamment du philosophe Mikel Dufrenne et de Jacques Soustelle. Attiré par l'Orient, il étudie le chinois à l'Ecole des langues orientales. Le jeune agrégé devient ensuite pensionnaire pendant trois ans à la Fondation Thiers pour se consacrer à la recherche dans un champ disciplinaire encore confidentiel, les études chinoises. C'est à cette époque, en 1934, que ce jeune Communiste fonde « Les amis du peuple chinois » avec André Malraux et Paul Vaillant–Couturier alors que la République soviétique chinoise de Mao Zedong subit les assauts des Nationalistes et que va débuter la Longue marche. En 1964, dans son livre « Connaissons–nous la Chine ? », Etiemble fait part de son admiration pour Mao Zedong et de son attrait pour le maoïsme. C'est la grande période du maoïsme sublimé en France qui culmine en 1974 avec le voyage en Chine de collaborateurs de Tel Quel, dont Philippe Sollers, Roland Barthes et Julia Kristeva. Simon Leys avait pourtant publié plus de deux années plus tôt un verdict sans merci sur le maoïsme et avait été couvert d'opprobres …à l'exception notable d'Etiemble, qui le défendra dans le Nouvel observateur. C'est avec son livre « Quarante ans de mon maoïsme », un recueil d'articles parus en 1974, qu'Etiemble fait ce qu'Arnaud Viviant appelle une « autocritique » et dénonce les « intellectuels dévoyés » de son temps – Simone de Beauvoir en tête.
Car Etiemble connaissait la Chine, même si cette connaissance était surtout livresque et semblait empreinte de passion autant que de raison. Arnaud Viviant a voulu montrer cette relation passionnelle en diffusant une interview d'Etiemble par Pierre Dumayet dans l'émission « Lectures pour tous » en 1958. On y découvre un Etiemble enthousiasmé par la Chine nouvelle après un voyage de sept semaines effectué l'année précédente alors que le mouvement des Cent fleurs bat son plein. Cet enthousiasme s'exprime surtout par son amour de la culture classique chinoise, qu'il s'agisse de son ode aux apports de la culture chinoise à l'Europe – les deux gros volumes de « L'Europe chinoise » en témoignent – mais aussi des ouvrages de référence sur le taoïsme et sur Confucius ou des thèmes aussi divers que l'érotisme dans la Chine ancienne ou la présence des Jésuites en Chine.
Arnaud Viviant rappelle aussi la contribution littéraire d'Etiemble, protégé de Gaston Gallimard. Il est ainsi l'initiateur des études rimbaldiennes et a dirigé la collection « Connaissance de l'Orient ». Mais, comme le fait remarquer Arnaud Viviant, s'il a écrit des romans et de la poésie, « ce n'est pas ce qui va rester de son œuvre. […]. Il n'a pas réussi à devenir l'écrivain qu'il aurait voulu être ». Etiemble avait en effet devant lui Jean Paulhan, directeur de la NRF, un « écrivain exceptionnel », qui faisait figure de père. Arnaud Viviant décrit ainsi la complexité de la relation entre les deux hommes : « Un père qu'Etiemble n'a jamais réussi à tuer, alors que Jean Paulhan a peut–être réussi à tuer Etiemble en tant qu'écrivain. »
Etiemble est surtout connu du grand public grâce à son best–seller paru en 1964 « Parlez–vous franglais ? », un plaidoyer pour la défense de la langue française. Il défend aussi les valeurs de la langue française dont il regrette l'effacement. Dans le tome premier de sa biographie « Ligne d'une vie », Etiemble évoque ainsi son passage à l'université d'Alexandrie dans les années 1940 où « musulmans, juifs, chrétiens, athées, grecs orthodoxes communiaient librement grâce […] à ce que leur apportaient les valeurs véhiculées par la langue française ».
Une référence en Chine
Arnaud Viviant rappelle qu'Etiemble est l'inventeur de la littérature générale et comparée et c'est en Chine, où les milieux universitaires le considèrent comme le « maître des comparatistes chinois », que sa renommée s'est assise. Le Centre de recherche sur les échanges littéraires et culturels sino-français fondé en 1991 à l'Université de Beijing a d'ailleurs pris le nom de Centre Etiemble en 1995.
Le professeur Qian Linsen a évoqué son premier contact avec l'œuvre d'Etiemble. Cet octogénaire à la santé fragile a fait le trajet depuis son alma mater de Nanjing pour rencontrer Arnaud Viviant et effectuer un passage de relais. A la fin des années 1980, il a pu obtenir une copie des deux volumes de « L'Europe chinoise ». « Avec un jeune collègue, explique–t–il, nous avons décidé de traduire son livre. Nous lui avons écrit et rapidement il nous a répondu en nous envoyant la version originale de son livre. A l'époque, c'était le début de la réforme et l'ouverture et très peu de livres étrangers arrivaient en Chine. Nous avons obtenu le soutien de l'ambassade de France et ils nous ont aussi encouragés à traduire cet ouvrage. » Le livre est publié en chinois en 1995. Sous l'impulsion de ce précurseur, Etiemble est ainsi devenu – et il le reste encore de nos jours – un auteur de référence pour les chercheurs en littérature comparée en Chine. A cette époque, la santé déclinante d'Etiemble l'avait cependant empêché de répondre à l'invitation des universitaires chinois et d'encadrer les doctorants chinois en France. Qian Linsen, qui a enseigné plusieurs années en France, regrette de ne pas avoir pu le rencontrer et évoque les liens épistolaires qui les unissaient. « A la mort d'Etiemble, en 2002, sous l'égide du professeur Meng Hua, l'Université de Beijing a organisé un colloque en son hommage dont les actes ont exercé une grande influence dans le milieu universitaire. »
Qian Linsen poursuit inlassablement ses recherches et a publié des œuvres en chinois qui font de lui un passeur, notamment « La littérature chinoise en France » et « Les écrivains français et la Chine ». Il conclut en reprenant les propos d'Arnaud Viviant : « Des gens meurent, mais leur esprit demeure ».
Beijing Information
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