Dans cette tribune, l'auteur s'interroge sur les motivations réelles des Etats-Unis à l'égard de la Corée du Nord après la visite du secrétaire d'Etat américain John Kerry à Beijing fin janvier 2016. Il souhaite voir Washington assumer ses responsabilités et jouer un rôle constructif.  

Le secrétaire d'Etat américain John Kerry vient d'effectuer une tournée qui l'a conduit au Laos, au Cambodge, puis finalement en Chine. Un enchaînement de visites surprenant. M. Kerry a en effet discuté de la question de la mer de Chine méridionale avec ces deux premiers pays, qui ne sont absolument pas concernés. Il les a enjoints de s'unir avec les autres pays de l'ASEAN pour s'opposer à la Chine aux côtés des Etats-Unis sur cette question. Après ces mauvaises intentions diplomatiques à l'égard de la Chine, M. Kerry s'est immédiatement rendu à Beijing, demandant que la Chine accepte les lourdes sanctions présentées au Conseil de sécurité de l'ONU que Washington veut imposer à la Corée du Nord.  

Le gouvernement de la République populaire de Chine s'oppose fermement aux essais nucléaires de la Corée du Nord. Sur ce point, il n'y a aucun doute à avoir et c'est un point commun entre la Chine et les Etats-Unis. La divergence porte plutôt sur les modalités de réponse au développement du nucléaire en Corée du Nord. Les résolutions coercitives proposées par les Etats-Unis au Conseil de sécurité ne sont que des sanctions, et n'apportent pas de solutions. Ce sont des sanctions qui ont pour objectif de porter atteinte aux conditions de vie de la population, et à moins d'une capitulation immédiate de la Corée du Nord, elles n'aboutissent à rien. Devant des dossiers qui ne font que pousser l'adversaire dans ses retranchements, les Etats-Unis ne peuvent en fait apporter aucune réponse. Si la Corée du Nord ne craint pas les sanctions et continue de développer des armes nucléaires, que doivent faire les Etats-Unis ? Si la Corée du Nord commet un acte désespéré et encore plus dangereux, qui en assumera les conséquences ? Ou alors, les Etats-Unis veulent dire aux gens que, comme ils l'ont fait en Syrie, ils ne se préoccupent pas de ces dizaines de milliers de morts, de ces millions de personnes qui ne peuvent rentrer chez eux, de ces centaines de milliers de réfugiés qui affluent en Europe, qu'une telle situation peut se produire en Corée du Nord. S'il s'agit de cela, nous devons demander aux Etats-Unis, quel est finalement votre objectif véritable ?  

Le vrai désaccord qui existe entre la Chine et les Etats-Unis sur cette question porte sur les moyens à utiliser, sur le type de monde à construire. La Chine préconise la paix, avec des moyens pacifiques, inclusifs, de coopération et avec bénéfices mutuels, la construction d'un monde multilatéral harmonieux. Les Etats-Unis veulent construire un monde qui ne puisse être contrôlé que par eux-mêmes, et ce par des moyens conflictuels. L'objectif réel des Etats-Unis et les méthodes utilisées pour y parvenir sont en fait une des causes des nombreux troubles qui affectent le monde.  

Dans les faits, les Etats-Unis peuvent bien s'en prendre à la Corée du Nord, ils ne peuvent pas nier que la cause de la question du nucléaire nord-coréen est le fruit de l'antagonisme entre Washington et Pyongyang. Les Etats-Unis ne peuvent aussi pas nier ce que Pyongyang prétend, à savoir le fait qu'ils avaient déployé un arsenal nucléaire sur la péninsule coréenne, et qu'actuellement, des armes nucléaires stratégiques visent la Corée du Nord. Et les Etats-Unis peuvent encore moins expliquer pourquoi ils ne souhaitent pas mettre un terme légal à l'état de guerre qui prévaut encore avec la Corée du Nord.  

A peine la guerre froide avait-elle pris fin que la Corée du Nord et la Corée du Sud ont entamé le chemin de la réconciliation et signé la « Déclaration pour la dénucléarisation sur la péninsule coréenne ». Or, les Etats-Unis n'ont pas suivi cette tendance et au lieu d'appuyer le processus de réconciliation pour parvenir à une dénucléarisation réelle de la péninsule coréenne, ils l'ont interrompu et par des moyens hostiles, Washington a fait pression pour que Pyongyang renonce à ses armes nucléaires. Après un « Accord-cadre sur le nucléaire »,  la situation est tombée de Charybde en Scylla et l'accord n'a pas été respecté. En 2005, après le « Communiqué conjoint du 19 septembre » publié lors des pourparlers à six sur la question du nucléaire nord-coréen, les Etats-Unis ont immédiatement pris des sanctions financières à l'encontre de Pyongyang, qui a répondu par un essai nucléaire.  

Après l'arrivée de Barack Obama au pouvoir, les Etats-Unis ont adopté une « patience stratégique » et la Corée du Nord une stratégie simultanée alliant nucléaire et développement. Les deux parties ont fait preuve d'une résolution à toute épreuve. Pour décider du vainqueur, il fallait attendre celui qui allait « cligner des yeux le premier ». C'est la Corée du Nord qui l'a fait en février 2015. Pyongyang a proposé que Washington cesse ses manœuvres militaires conjointes avec la Corée du Sud pour qu'en retour, le pays interrompe ses essais nucléaires. Les Etats-Unis ont cependant catégoriquement refusé, ne laissant aucune marge de manœuvre pour des négociations. Ils ne se sont absolument pas préoccupés d'avoir perdu une occasion de faire revenir la Corée du Nord à la table des pourparlers à six. Les Etats-Unis peuvent-ils donner une explication ? Comment des manœuvres militaires conjointes Etats–Unis–Corée du Sud peuvent-elles être plus importantes que la dénucléarisation de la péninsule coréenne, que la paix durable sur la péninsule coréenne, comment peuvent–elles être si sacrées ?  Pour le dire simplement, si tout ce que font les Etats–Unis, c'est pour la paix sur la péninsule coréenne, une péninsule coréenne pacifiée peut alors complètement se passer de ces manœuvres militaires conjointes. Actuellement, les Etats-Unis ne veulent pas assumer leurs responsabilités et au contraire, exercent des pressions sur la Chine. Nous pouvons donc à juste raison soupçonner les Etats–Unis d'avoir d'autres visées.  

Le plus grand paradoxe de la diplomatie américaine, c'est que d'un côté elle s'est attribué la mission de diriger le monde, et que d'un autre côté, elle proclame que la politique étrangère des Etats–Unis est entièrement dans les intérêts des Etats–Unis. C'est précisément la définition de l'hégémonisme. Dans ces conditions, nous ne pourrons pas voir les Etats–Unis adopter des moyens constructifs pour résoudre les problèmes. Ainsi, si les Etats–Unis veulent vraiment diriger le monde, ils doivent d'abord apprendre à utiliser des moyens constructifs avec des objectifs qui soient mutuellement bénéfiques.  

Shi Yongming (vice-chercheur de l'Institut d'études sur les questions internationales de Chine) 

Beijing Information