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Les lois de l'attraction exotique |
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Jacques Fourrier · 2015-11-12 · Source: | |
Mots-clés: mariages mixtes;Chine |
Les mariages mixtes deviennent sans cesse plus fréquents dans la plupart des villes de Chine. Avec le développement du pays et la globalisation accrue, des milliers de couples mixtes se forment chaque année, qu'il s'agisse d'une aventure sans lendemain ou d'une union pour la vie.
A Beijing, c'est à Sanlitun que l'on remarque vraiment les couples mixtes. Ce qui fut dans les années 1990 une rue à la réputation sulfureuse près du quartier des ambassades abrite maintenant une zone commerciale où les grandes marques côtoient les restaurants branchés. Caché derrière un pilier près de la boutique Apple, M. Zhang tient un téléobjectif et mitraille les couples mixtes. « C'est un hobby, je viens ici tous les week-ends », explique-t-il sans gêne apparente avec une gouaille typiquement pékinoise. « Certains parmi nous ont un blog et on y met nos meilleures photos », dit-il en montrant un groupe de photographes amateurs à quelques mètres de là.
Une tendance en hausse
Des statistiques du ministère chinois des Affaires civiles montrent que depuis l'ouverture de la Chine en 1978, les mariages entre étrangers et ressortissants chinois ont connu une forte hausse pour atteindre un pic vers 2005 avec 80 mille mariages (les chiffres incluent Taïwan, Hongkong et Macao). Depuis, leur nombre se stabilise autour de 50 mille par an. Alors que ce phénomène prévalait dans les grandes villes chinoises, les mariages mixtes sont maintenant un phénomène généralisé dans toute la Chine.
Si les couples mixtes sont majoritairement composés (90 %) d'un homme étranger et d'une femme chinoise, il faut noter la complexité de ce phénomène dans les faits. De plus, la situation évolue très rapidement. Par exemple, la proportion des hommes chinois dans les couples mixtes est nettement plus importante à Shanghai qu'à Beijing. Les pays voisins de la Chine attirent aussi les hommes chinois à la recherche de partenaires. De 2003 à 2013, le nombre d'hommes chinois mariés à des ressortissantes sud-coréennes a décuplé. Le Vietnam est par ailleurs connu pour la pratique des « mariages par correspondance », fournissant des partenaires aux hommes chinois dans les régions où le déséquilibre entre les sexes atteint des niveaux alarmants. Enfin, les femmes russes sont très recherchées par les hommes dans le nord de la Chine. Entre 2004 et 2012, le nombre d'hommes chinois mariés à des femmes russes a été deux fois plus important que le nombre de femmes chinoises mariées à des hommes russes. L'agence de presse russe RIA Novosti va même jusqu'à parler d'une « union idéale sous le ciel » !
James Huang et Viola
James Huang est un entrepreneur de 31 ans originaire de Beijing. Il y a trois ans, il a rencontré Viola, une étudiante de 21 ans originaire de Vladivostok. Ils se sont mariés l'an passé et filent le parfait amour. « Nous nous sommes connus sur un site de rencontres. Il m'envoyait des messages touchants. Nous nous sommes vus pour la première fois dans un café à Beijing », se souvient Viola. Ils communiquent en anglais, une langue étrangère pour ces deux tourtereaux enlacés qui estiment que cela ne pose aucun problème. « Elle a appris le chinois rapidement, explique James Huang, et ce qui m'inquiète le plus si nous avons des enfants, c'est l'environnement et l'éducation », ajoute-t-il. Tous deux comptent en effet avoir leur premier enfant l'an prochain. Viola est d'accord. « Peut-être qu'un jour, on pensera à émigrer. Comment les enfants peuvent-ils jouer dehors si l'air est pollué ». Existe-t-il une recette de longévité pour un couple mixte ? « Apprenez la culture, apprenez la langue et apprenez à bien vous connaître », conclut James Huang en souriant.
Siya Wang et Barak Hurvitz
Siya Wang symbolise à elle seule cette nouvelle jeunesse cosmopolite chinoise. A 24 ans, elle est diplômée d'HEC et travaille dans une grande banque hongkongaise à Shanghai. Elle a rencontré Barak Hurvitz, un Américain de 23 ans, il y a à peine deux mois. Il travaille dans l'enseignement supérieur. « On peut beaucoup apprendre l'un de l'autre. Nous venons tous deux de milieux totalement différents. Même si on venait du même pays, nos expériences seraient différentes. Siya a étudié en France pendant deux ans et j'ai de la famille en Israël, donc nous avons une vision internationale et nous pouvons ainsi trouver des points communs », explique Barak Hurvitz. « C'est parfois difficile, ajoute Siya Wang, si les deux partenaires n'ont pas vécu dans un autre pays, ou dans une autre culture. Il y a tellement de choses que vous ne pourrez pas comprendre. Les femmes asiatiques ont besoin de beaucoup d'attention, elles ne sont pas aussi indépendantes que cela ». Marquant une hésitation, elle poursuit. « J'ai déjà eu deux petits amis en France. Je ne peux pas dire que nous ne nous intéressions pas l'un à l'autre, mais nous étions très indépendants ».
Certains préjugés ont la vie dure
A une certaine époque pas si éloignée en Chine, le mariage mixte aurait été chose inconcevable. Quand la Chine s'est ouverte au monde, le fait de se marier avec un étranger était considéré comme la voie par excellence pour émigrer et contourner la politique de l'enfant unique.
Tiffany, 35 ans, est originaire de Beijing. Elle a divorcé il y a cinq ans. Elle ne regrette pas ses choix. « Je venais juste de divorcer et je me retrouvais seule avec un enfant d'un an. Je voulais qu'il grandisse dans un environnement plus sain, mais je voulais aussi avoir une vie meilleure, dit-elle. Je me suis donc inscrite sur un site de rencontres et j'ai cotisé pour avoir un accès privilégié à des profils d'hommes occidentaux ». Elle a sélectionné trois hommes qui sont venus la rencontrer à Beijing sur une période de six mois. Elle habite maintenant en Australie où elle a eu depuis deux enfants.
De telles histoires suscitent à la fois l'envie et le mépris. « Ces femmes chinoises qui se marient avec des étrangers devraient avoir honte », dit avec un certain mécontentement M. Wu, un homme d'une cinquantaine d'années. « Elles ne font cela que pour avoir un passeport et de l'argent », estime-t-il. Mlle Lu, 31 ans, de Beijing, fait preuve de plus de circonspection. « Sans doute veulent-elles se sentir spéciales, mais je dois dire que je serais heureuse d'avoir un bébé aux yeux bleus », avoue-t-elle.
Il est difficile de modifier du jour au lendemain des préjugés et certaines conceptions sur des sujets aussi sensibles que l'éducation, les habitudes de vie, l'argent ou la sexualité. Une étude sur ce sujet a d'ailleurs été effectuée sur internet en 2013 par le site cankaoxiaoxi.com. Les personnes interrogées estiment que les femmes chinoises sont attirées par les hommes étrangers pour les performances sexuelles (35%) et l'argent (31%). Au bas de la liste figurent l'amour (6%) et la culture (2%). Inversement, si les hommes chinois épousent des femmes étrangères, toujours selon les personnes interrogées, c'est pour leur beauté (plus de 30%) et le statut social que confère une « femme trophée » (22%)
Vers une explication psychanalytique
Le docteur Eric Smadja est un psychanalyste de couples et anthropologue français. Il a notamment publié « Le couple et son histoire » aux Presses universitaires de France en 2011.
Pour parler des couples, il convient de les aborder dans la durée moyenne de leur histoire. « En général, les "couples" à durée de vie courte sont des histoires d'ordre érotique avec toujours une dimension narcissique. Les ruptures sont précoces et fréquentes car ces "couples" reposent essentiellement sur la recherche de satisfactions érotiques et narcissiques », explique-t-il. « Quant aux couples à durée de vie plus longue, avec cohabitation, par exemple, on y trouve l'autre dimension fondamentale, défensive, protectrice de tout "vrai couple" qui supportera les conflits et crises inévitables ».
Sur la question de la prédominance des couples composés d'une femme chinoise et d'un homme étranger vivant en Chine, Eric Smadja évoque la problématique strictement personnelle de ces hommes, notamment « le désir de fuir leur réalité quotidienne trop contraignante ou par opposition à certaines normes, pratiques, idéaux et valeurs, mais aussi par goût de l'aventure. La rencontre des femmes chinoises pourrait satisfaire cette recherche. En Chine, comme à l'étranger souvent, certains interdits, certaines exigences, d'ordre inconscient, se libèrent et on s'autorise ce qui n'est pas possible chez soi, dans son pays ».
Eric Smadja constate aussi que pour la femme chinoise, l'image de l'homme occidental est souvent valorisée, voire idéalisée. « Etre séduite par [l'homme occidental] la valorise, donc augmente l'estime d'elle-même. C'est une promotion pour elle. Le gain chez elle est surtout d'ordre narcissique, tandis que pour l'homme, on peut imaginer que les gains sont d'ordre narcissique par sentiment de supériorité et de possible soumission de la femme, mais aussi d'ordre érotique ».
Il note aussi que les rapports entre l'homme et la femme au sein d'un couple chinois contemporain évoluent, mais restent marqués par le jeu de rapports traditionnels, avec d'un côté « la femme soumise à l'homme, dépendante affectivement et sexuellement, dans l'imaginaire inconscient de l'homme » et de l'autre, « l'homme, dans l'imaginaire inconscient de la femme chinoise, dominant, surestimé, protecteur de la femme et de la famille, donc assurant la sécurité affective et matérielle du couple et de la famille ».
Eric Smadja y voit d'autres facteurs déterminants. « On peut imaginer une opposition inconsciente au désir parental et au modèle parental, donc une manifestation d'hostilité et de révolte aux normes et valeurs familiales. Il s'agit de contre-identifications au père et à la mère. Mais aussi une tentative de s'affranchir d'une dépendance affective par la prise de distance géographique et culturelle qui passe par le mariage avec une étrangère. Le fantasme incestueux inconscient de l'homme à l'égard de la mère dans son enfance, toujours vivace, peut alors trouver une "solution défensive" en rencontrant une femme "étrangère", qui le "protègera " de ses angoisses œdipiennes. Enfin, la rivalité œdipienne (avec le père) et fraternelle peut aussi trouver une "solution" à l'étranger, donc à distance de sa propre famille, là où l'on peut enfin s'épanouir, exprimer pleinement son identité, sans danger d'être menacé ».
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