Le dragon chinois et le monde |
Le 23 janvier 2012 est la fête du Printemps de l'Année du Dragon (Nouvel An du calendrier lunaire chinois). En Chine, les observateurs occidentaux constatent sans surprise que le Dragon se décline sous toutes les formes possibles et imaginables : calendrier, papier découpé rouge, peluches et poupées, T-shirt, ou encore sous forme de danse du dragon effectuée en pleine rue. Et cela dans un seul but : fêter l'entrée dans l'Année du Dragon. Pour les Occidentaux, l'image du « dragon chinois » n'est pas inconnue. Pourtant, cette image est parfois biaisée. La couverture du magazine américain Time a plusieurs fois fait honneur au « dragon chinois », notamment dans les vingt ans qui ont suivi la fondation de la Chine nouvelle en 1949. Sur le numéro paru en mars 1954, le dragon paraissait effrayant : des yeux comme des flammes, une langue de serpent, et des griffes acérées qui s'agrippent à une clôture en bambou ; dans un numéro d'août 1950, la bouche du dragon ressemble à un bec pointu orienté vers « Formosa », appellation occidentale de « Taiwan ». Mélangeant la caricature et l'esprit de guerre froide, le Time a montré aux Occidentaux un « dragon chinois » hostile. The Economist, qui a la même influence dans le monde anglophone, a dépeint un dragon similaire. Dans un article publié en 2006 dans le Phoenix Weekly de Hongkong, un journaliste discutait de l'image du « dragon chinois » dans des caricatures politiques occidentales. Parmi les trente caricatures liées à la Chine publiées par The Economist de 2003 à 2006, dix-huit faisaient référence au dragon. « La déformation de l'image du dragon reste le principal moyen de mettre en évidence la soi-disant menace chinoise », a-t-il indiqué. « Aucun Chinois ne souhaite utiliser le 'dragon' pour symboliser la puissance (dans la culture occidentale, le dragon représente l'avidité, le mal, et le désastre) », écrit l'India Times dans un article relatant le fait que l'économie chinoise a récemment dépassé le Japon pour devenir la deuxième grande économie mondiale. « La Chine espère être considérée comme 'Loong', dragon chinois inoffensif et de bon augure, et pas comme ce monstre solide en apparence mais faible au fond, et qui ne sait que cracher du feu », est-il écrit dans l'article. Ce commentaire traduit une certaine vérité, bien que le remplacement du « dragon » par « Loong » pour dissiper les malentendus en Occident ne soit pas du goût des Chinois, qui ne veulent que laisser au monde une image réelle et objective. En effet, avant de faire certains commentaires sur la Chine en détournant l'image du dragon, les auteurs occidentaux feraient mieux de s'intéresser à l'origine du « dragon chinois ». Le dragon, qui n'existe pas dans la vie réelle, est un animal sacré imaginé par les Chinois dans l'antiquité, et, à la suite d'une longue évolution, il est devenu une image symbolique et mythique. L'image traditionnelle du « dragon chinois » a des bois de cerf, le crin de cheval, un nez de cochon, un corps de serpent, des écailles de poisson et des griffes d'aigle. Le dragon sculpté sous les auvents de la cité impériale ne diffère de celui des estampes du Nouvel An chinois des campagnes que par la finesse de la gravure. Avant la fin du régime monarchique en Chine, le dragon était seulement un symbole honorifique et mystérieux de la famille impériale ; pour les petites gens, le dragon, comme un dieu, abaissait son regard sur les êtres et représentait, dans une grande mesure, une personnification de la grande puissance de la nature, ce qui explique pourquoi le « dragon chinois » qui peut accumuler les nuages pour faire tomber la pluie vit toujours dans des rivières et lacs, selon les légendes chinoises. Contrairement à son homologue occidental, le dragon chinois a une puissance divine, et il n'est jamais l'ennemi de l'humanité. Dans une ancienne légende, un passionné de dragon, Ye Gong, désespère de ne pouvoir rencontrer de vrai dragon ; un jour, le dragon descend dans le monde humain pour lui faire plaisir ; mais cette rencontre a effrayé Ye Gong. D'où le proverbe « Ye Gong adore le dragon ». Evidemment, cette légende s'apparente plutôt à une comédie, et non à une production hollywoodienne telle que Reign of Fire. Les Chinois modernes se prétendent « descendants du dragon ». « Dans ce vieil Orient, il y a un dragon, il s'appelle la Chine », « Avec les cheveux noirs, les yeux noirs et la peau jaune, ils sont toujours et toujours descendants du dragon ». Vous entendrez cette chanson dans toutes les villes de Chine, à Hongkong, à Macao, à Taiwan, de même que dans les quartiers chinois des pays européens et américains. Mais beaucoup de Chinois ou d'Occidentaux n'ont sans doute pas compris le lien étroit qui unit le dragon à l'identité de la nation chinoise. Il s'agit sans doute d'une transformation moderne du dragon au cours des cent dernières années. A la fin des années 1930, menacés par le spectre des envahisseurs japonais, le poète chinois Wen Yiduo et ses collègues et étudiants de l'Université Tsinghua se sont déplacés à Kunming, dans le sud de la Chine. En 1942, le poète y a publié un article, faisant savoir que « le dragon est un totem, et il est un animal virtuel, qui n'existe que dans le totem, mais pas dans la biosphère, car il est un mélange de plusieurs totems différents. » La recherche de totem a pour but de trouver une origine commune pour la nation chinoise. Le fait que le dragon soit le « symbole de tous les Chinois » est à la fois une expression classique des savants chinois et une reconnaissance identitaire innée des Chinois. Derrière cela, l'histoire de la grande souffrance est le contexte final qui a poussé l'établissement de cette imagination moderne. Le dragon, avec son inclusion omniprésente et sa force cachée, mais puissante, laisse facilement évoquer ce qu'exprime le terme « dragon caché » dans l'hexagramme Qian du Livre des Mutations, il fournit un symbole approprié pour la dignité et la puissance des Chinois modernes. Lorsque les auteurs occidentaux ont considéré le dragon comme une superbe métaphore de la « menace chinoise », ils n'ont pas constaté que l'apparition de la version moderne du « dragon chinois » est justement une résistance culturelle quant il est menacé et massacré, ou bien, on peut dire qu'il est obligé de « renaître de ses cendres ». Evidemment, vu la position actuelle de la Chine sur l'échiquier économique du monde et le marasme de l'économie mondiale, ce que le « dragon » fera dans l'« Année du Dragon » semble avoir une signification exceptionnelle. La croissance économique chinoise et l'aide chinoise à l'étranger font que les médias du monde écrivent des titres comme « Le dragon chinois continue son essor ». Mais, de tels titres peuvent donner une variété de sens, la louange, ou le mécontentement. Par exemple, la BBC a diffusé début 2011 un documentaire The Chinese Are Coming, qui raconte le périple du journaliste sur les traces de Chinois en Afrique et en Amérique du Sud. Hormis la forme innovante, ce documentaire siffle toujours la même rengaine : les Chinois sont venus pour acheter des matières premières, endommager l'environnement et voler l'emploi des populations locales. Autant de préjugés de la part du réalisateur. En fait, le « dragon chinois » devient de plus en plus puissant, mais il n'est ni prédateur ni « Sauveur du monde ». « Mener d'abord à bien nos propres affaires », telle est la voix des Chinois. Mais comment le faire ? Le principe fondamental d'« aller de l'avant à pas assurés » sera poursuivi tout au long de l'Année du Dragon, cela signifie que tout en maintenant la stabilité globale des politiques macroéconomiques, le développement stable et rapide de l'économie, la stabilité essentielle du niveau des prix et la stabilité sociale, il faut obtenir de nouveaux progrès dans la mutation du mode de développement économique, l'approfondissement de la réforme et de l'ouverture, et l'amélioration des conditions de vie de la population. La Chine a la conviction que cela permettra la réalisation de son développement durable. Si le titre du livre de l'auteur britannique Martin Jacques, When China Rules, est difficile à accepter, certains de ses points de vue méritent au moins d'être soulignés : la modernisation à l'occidentale n'est pas la seule voie à suivre ; avec la montée de la Chine, le modèle chinois jouera un rôle prépondérant dans le monde. Il est trop tôt pour définir maintenant le « modèle chinois ». Couronnée de succès remarquables de développement, la pratique chinoise menée depuis la réforme et l'ouverture a un caractère bien distinct, elle diffère du pillage à l'étranger que l'Occident avait fait au début de sa modernisation avec une mentalité de « jeu à somme nulle », et elle n'accepte pas d'être dépendante de l'extérieur. Sur la Terre, où la population est tellement nombreuse et les ressources sont tellement restreintes, un « dragon chinois » marqué par l'indépendance, la paix, la réforme et l'ouverture fait son apparition. On pourrait constater de plus en plus qu'il symbolise la force d'un Etat-nation (ou pays civilisé), et qu'il représente notamment un arrangement moderne pouvant rendre le monde pacifique, équilibré et durable.
Beijing Information |